Le 24 février 1971 : une soirée particulière

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Le 24 février 1971 : une soirée particulière
Le défunt président Houari Boumédiène
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Quand survient un événement historique, on se souvient toujours de ce que l’on faisait exactement à ce moment précis. Ce 24 février 1971 devait être un jour comme les autres. Rien ne présageait de rien. Mais en ces années-là, la vie politique n’était pas avare en événements.

Pourtant, au cours de la soirée, nous avons assisté à l’intrusion de l’Histoire dans notre quotidien , en direct et en noir et blanc. Une histoire dont les conséquences sont encore palpables aujourd’hui.

En ce temps-là régnait l’Unique. Une seule chaîne de télévision, entièrement contrôlée par l’État et vouée au seul service du régime. Un seul programme modifiable à merci.

Souvent, pour voir un film, il fallait en payer le prix : se farcir un documentaire sur la révolution agraire ou autre, ou bien le plus souvent un discours interminable de Boumediene. Sans oublier le journal télévisé de 20 heures, lui aussi interminable.

Après le dîner, on s’est tous installés autour de la télé, encore en noir et blanc. Le JT suit un rituel immuable (jusqu’à aujourd’hui d’ailleurs), et on s’était habitué à regarder sans voir, à entendre sans écouter. Seul nous importait le film de la soirée. Il faut reconnaître que la télé nous passait souvent de beaux films et nous étions rarement déçus. Mais il fallait être patient.

Ce soir-là, après le journal, on a droit à un discours de Boumediene à l’occasion de l’anniversaire de la création de l’UGTA. Et là, comme souvent, la situation devient totalement incontrôlable. On sait quand le discours commence, mais jamais quand il se termine.

Boumediene commence à parler ; il fait comme à son habitude, un tour du monde politique, avec son arabe châtié, au gré de circonvolutions plus ou moins audibles pour nous. Les positions de l’Algérie étaient archi-connues : il nous les avait rabâchées tant de fois.

C’est alors qu’au moment où l’on s’attendait le moins, se produisit un événement aussi inattendu qu’inimaginable : Boumediene mit sa main dans la poche de son veston et en sortit une feuille de papier. C’est un fait suffisamment rare de sa part qu’il nous surprend immédiatement.

Quelqu’un dans la pièce, mon frère me semble-t-il, nous arrêta de la main pour faire silence : « taisez-vous, il se passe quelque chose ! ». Et à ce moment précis, Boumediene se met à lire le texte qui commençait par la phrase devenue célèbre depuis : « qararna ibtidaen min hada lyoum taamim… », que l’on traduit ainsi : « nous avons décidé à compter de ce jour la nationalisation, etc… ».

Boumediene venait tout simplement de nationaliser les sociétés pétrolières et gazières, majoritairement françaises, opérant en Algérie, prenant de court et les Algériens et le monde. On raconte même que certains ministres de souveraineté n’auraient pas été mis au parfum. Comme il l’a souvent répété, l’indépendance formelle n’est pas l’indépendance réelle, et cela tant que le pays n’avait pas la mainmise sur ses richesses.

Juste une précision pour donner une idée de la circulation de l’information à cette époque : en réalité, le meeting du 24 février s’est tenu l’après-midi et peu de gens, à part ceux qui étaient concernés, le savaient.

Après ça, la France nous montra, encore une fois, son vrai visage : elle déclara notre pétrole rouge, c’est-à-dire qu’elle ne nous l’achetait plus et demandait à tout le monde de ne pas l’acheter.

Boumediene répliqua de façon cinglante en disant que notre pétrole était effectivement rouge, mais rouge du sang de nos martyrs.

Rarement durant son règne, Boumediene n’a réalisé une telle union nationale autour d’une décision stratégique comme ce jour-là, toutes classes confondues.

Mais le romantisme révolutionnaire qui animait certains pans de la société cachait malheureusement une réalité beaucoup plus sombre. Avant et après les nationalisations, le mouvement estudiantin progressiste subissait de plein fouet la répression du régime, paradoxalement alors même qu’il soutenait la politique de réappropriation des richesses nationales.

Que reste-il de l’esprit du 24 février ? Boumediene a-t-il seulement existé ? On était critique, on était insatisfait, mais il y avait une politique et on se déterminait par rapport à elle. Aujourd’hui, on n’arrive à se prononcer sur rien : on est comme sidéré par le niveau de l’indigence politique de nos gouvernants.

Que reste-il du 24 février ? À part un repas amélioré dans les cantines de Sonatrach , rien si ce n’est un mot. Ce soir-là en effet, ceux qui étaient peu ou pas arabisés (nous sommes en 1971) ont enrichi leur vocabulaire d’un mot nouveau : QARARNA !

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