L’Algérie à l’épreuve du séparatisme

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L'Algérie à l'épreuve du séparatisme
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L’Algérie fait face, pour la première fois de son histoire, au séparatisme. Il ne faut pas aller chercher dans son histoire postindépendance des précédents équivalents à celui que présente le projet minoritaire du MAK en Kabylie. Les dissidences de la Wilaya 3 en 1963 et de la Wilaya 6 en 1964 ne sont pas des actes séparatistes.

Hocine Ait Ahmed et les Colonels Mohand Ou Elhadj et Mohamed Chaabani contestaient le pouvoir central. Mais ils étaient incontestablement des dirigeants nationalistes attachés à l’intégrité territoriale de l’Algérie. La question est donc nouvelle. Elle soulève plus d’émotion que de questionnements rationnels. Comme on peut s’y attendre, le pouvoir central apporte une réponse répressive.

L’idéologie nationaliste héritée de la guerre de libération conçoit la Nation comme une construction volontariste et autoritaire réalisée par l’État. Il est impensable que des citoyens puissent remettre en cause cette conquête historique. La classe politique dans son ensemble partage cette conception. Des réserves sont émises ici et là qui accusent le pouvoir d’amalgame. En effet, préoccupé par le risque de reprise des manifestations du Hirak particulièrement actif en Kabylie, les autorités paraissent profiter du motif séparatiste pour juguler le mouvement de protestation de la société civile. Mêmes les milieux intellectuels semblent tétanisés.

Ils se contentent de rejeter le séparatisme. Ce qui est tout à fait concevable. Mais on était en droit d’attendre de ces milieux intellectuels, un examen critique de l’opinion séparatiste pour dépassionner la perception de cette question nouvelle.

C’est la seule manière de soutenir une approche politique et faire reculer la répression. Réduire à la clandestinité cette opinion ne l’éradiquera pas. Bien au contraire, cette opinion sera alors mise à l’abri de la critique. Elle pourra mieux se propager si les conditions qui la fécondent, persistent ou s’aggravent.

Le séparatisme et la diversité

Le séparatisme renvoie spontanément à la question territoriale. Une partie de la population d’un territoire national revendique de constituer une nouvelle nation indépendante. La revendication de l’indépendance de l’Algérie fut une revendication de séparation vis-à-vis de l’empire colonial français. Au lendemain de la chute du mur de Berlin, avec l’effondrement du système socialiste, de nombreux séparatismes sont intervenus dans les ex-pays socialistes. C’est le cas de l’ex-Union soviétique, de l’ex Yougoslavie et de l’ex-Tchécoslovaquie.

Dans les pays démocratiques occidentaux, des revendications séparatistes continuent d’être exprimées par exemple en Espagne avec la Catalogne et au Royaume Uni avec l’Ecosse. La France reste encore confrontée à la revendication indépendantiste de la Nouvelle Calédonie. Quelques soient les différences historiques et quelques soient les modes de traitement de ces aspirations indépendantistes, le séparatisme exprime la diversité. Cette diversité peut se fonder sur des différences ethniques, linguistiques, religieuses ou politiques.

Ainsi, la différence des systèmes économiques et politiques sépare durablement la Chine et Taiwan, la Corée du Nord et la Corée du Sud. Cependant, tous ces exemples n’autorisent pas à établir un rapport de correspondance nécessaire entre la diversité et le séparatisme. Les États-Unis, l’Allemagne et la Suisse offrent les exemples de conciliation de la diversité avec un État unitaire. Les États-Unis rassemblent 52 États. La Suisse comprend 26 cantons qui sont les États fédérés de la Confédération avec quatre langues officielles. L’Allemagne confédère 16 États, les Länder.

Ces pays connaissent la stabilité et la paix intérieure. Les pays qui concilient l’unité territoriale et la diversité se caractérisent par l’économie de marché de libre concurrence, les libertés individuelles et la démocratie.

Leur organisation politique est de type fédéral ou confédéral suivant le niveau d’autonomie des États qui les constituent. Le Royaume Uni et l’Espagne répondent également à cette caractérisation malgré des velléités respectivement en Ecosse et en Catalogne qui disposent, il faut le signaler, d’un grand niveau d’autonomie.

Ainsi, il est possible de conclure qu’État unitaire et diversités régionale, ethnique, linguistique ou religieuse ne sont pas antinomiques. Ce qui tend à les rendre contradictoires, ce sont l’économie socialiste ou hyper-étatique qui pousse à la centralisation et l’absence de libertés individuelles et de démocratie. La diversité a besoin de liberté pour que s’épanouissent les richesses culturelles.

Elle s’oppose au nivellement par des standards décidés par l’État central. La diversité a besoin de démocratie pour que le pouvoir de décision se rapproche des populations locales. Elle s’oppose au centralisme autoritaire qui monopolise le pouvoir. Le terreau sur lequel naît et se développe le séparatisme couvre toute l’Algérie.

L’État central autoritaire domine l’économie, concentre tous les pouvoirs administratifs, législatifs et judiciaires. Il ne peut que contrarier les aspirations individuelles et locales. C’est pourquoi, il se trouve confronté au mouvement de la société civile sous la forme du Hirak et aux revendications de régionalisation dont l’expression extrême est le séparatisme.

Le séparatisme n’est pas une fatalité

Il faut d’abord rappeler que les autorités exagèrent à dessein la revendication séparatiste. Cette revendication reste minoritaire. L’implantation de ses partisans est amplifiée par l’amalgame opéré avec les partisans de la régionalisation dans le cadre de l’État unitaire et avec les manifestants du Hirak local. L’assimilation de son organisation au terrorisme finit de justifier l’option répressive. Cette opération de dramatisation élude la responsabilité de l’État central dans le surgissement de cette revendication.

Or la contestation de l’option répressive repose justement sur la reconnaissance de la responsabilité de l’État autoritaire dans l’excitation des ressentiments. L’étouffement des libertés individuelles, les violations des règles démocratiques et la centralisation bureaucratique inhibent les particularismes culturels et les initiatives locales. Ce sont les ressentiments accumulés qui aliment l’idée séparatiste. A la question de savoir si les aspirations régionales peuvent être satisfaites dans le cadre de l’Algérie unitaire, la réponse impatiente et extrême est négative.

Cette impatience se nourrit de la croyance que la région Kabyle souffre prioritairement d’une discrimination ou d’un « apartheid ». Sans exclure des manifestations sectaires hostiles mais secondaires, ce dont pâtit la Kabylie, à l’instar de l’Algérie entière, c’est de l’autoritarisme d’État et de la négation des libertés individuelles.

L’épanouissement individuel et local se trouve contrarié par le système d’État en cours depuis l’Indépendance. Ce système s’appuie sur une conception uniforme de la Nation et un État omnipotent. Le mouvement de la société civile, à travers les manifestations massives du Hirak, illustrait le caractère national des conflits qui opposent l’État autoritaire à la société civile.

Dans ces conditions, le séparatisme marque un retrait par rapport à ce mouvement national. Mais les manifestations du Hirak de Kabylie atteste de la marginalité de ce retrait. L’entêtement des autorités à opposer la répression aux mouvements citoyens favorisent l’extrémisme. La croyance en l’impossibilité de réformes progressives devant aboutir à l’instauration d’un État de droit encourage les illusions révolutionnaires. Le changement ne pourrait être que radical.

Pourtant, les révolutions n’ont souvent apporté que des changements de forme. Elles ont le plus souvent perpétué des tendances profondes de l’État antérieur. Et l’autoritarisme n’est pas la moindre de ces tendances. C’est donc par la voie de réformes démocratiques en appui sur l’instauration des libertés individuelles que seront créées les conditions de solutions durables aux problèmes politiques majeurs de l’Algérie. La parade essentielle au séparatisme réside dans la restructuration politique de l’État.

L’introduction progressive de pouvoirs réels au profit des régions amorcera le processus de consolidation de l’unité nationale. La crise actuelle pourra être vécue comme une crise de croissance. Le séparatisme n’est pas une fatalité. La responsabilité de ceux qui sont aux commandes de l’État est entière. La société civile n’est pas dispensée pour autant de son rôle de mobilisation, de solidarité et de rassemblement. Elle doit pour cela débattre de l’idée séparatiste.

Les limites du séparatisme

Il s’agit ici du séparatisme initié par le MAK. L’attrait du séparatisme réside dans la promesse de l’expression épanouie des particularismes culturels et linguistiques. La réalité des oppressions et brimades ressenties sous l’État autoritaire central creuse le sillon des espérances. Mais le séparatisme est-il prémuni contre les vices de l’État dont il veut se séparer ? Rien n’est moins sûr. La séparation sur la base ethnique comporte les mêmes risques

d’intolérance dans la mesure où la base constitutive est une ethnie avec ses traditions culturelles et ses coutumes. L’apologie sans cesse affichée des héritages ancestraux peut conduire à un nouveau conservatisme négateur des évolutions philosophiques et culturelles individuelles. C’est donc un pari incertain sur la liberté de choisir son idéologie et son mode de vie. Par ailleurs, le séparatisme prôné par le MAK marque une limite dangereuse et lourde de conséquences en évoquant un « colonialisme algérien ».

On se suffira ici de paraphraser Ferhat Abbas en répondant : « J’ai interrogé l’histoire, j’ai interrogé les vivants et les morts, j’ai visité les cimetières, personne ne m’en a parlé ». Mais la référence à un « colonialisme algérien » n’implique pas seulement l’État central.

Il intègre forcément la population algérienne qui fournit « les forces d’occupation ». Le séparatisme apparait comme un enclavement irréaliste mais source de haine et de discorde. Ce qui n’augure pas de relations sereines et fraternelles. Enfin, la proclamation d’un « gouvernement provisoire kabyle » est une manifestation précoce de l’autoritarisme des dirigeants du MAK. Se considérer comme le parti unique représentatif de la Kabylie est intolérable en ce 21ème siècle. C’est ignorer la diversité politique et idéologique de la Kabylie. Ce « copier-coller » du GPRA de la guerre de libération, sans considération des conditions historiques et sociologiques différentes, est une opération qui renseigne sur les prétentions hégémoniques des dirigeants du MAK.

Le séparatisme prôné par le MAK ne garantit ni les libertés individuelles, ni la démocratie. Faut-il faire la part entre les militants sincèrement acquis à l’idée séparatiste présents sur le territoire national et la direction autocratique du MAK basée à Paris ? De toute évidence. A ceux qui sont poursuivis ou emprisonnés alors qu’ils n’entretiennent aucun lien avec le terrorisme, le souhait est de les voir rapidement libérés. C’est dans un débat serein, tolérant et fraternel qu’ils doivent comprendre que le séparatisme divise non seulement l’Algérie mais également la Kabylie. Leurs aspirations fondamentales sont contenues dans le projet d’une Algérie unitaire ouverte sur ses régions et respectant les libertés individuelles et la diversité culturelle.

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1 commentaire

  1. Il aurait fallu d’un groupe minoritaire dénommé MAK pour que le terme separatisme fasse son apparition en Algerie. Or un pays , vous en avez cité certains , comme essentiellement la Russie , presente une spécificité beaucoup plus complexe , Le plus vaste pays du monde, la Russie actuelle est le fruit d’une histoire et d’une géographie singulières.
    Une analogie se distingue entre l’Algérie et la Russie, définie par plusieurs problématiques qui peuvent servir de fil conducteur à cette histoire. La première est celle du rapport à l’autre et à l’Occident. La construction nationale s’est faite en grande partie contre les puissances extérieures ou perçues comme telles. Les nombreuses interactions et l’héritage des cultures voisines dans l’identité russe n’empêchent pas la volonté de se différencier de cet autre parfois « intérieur ». C’est particulièrement vrai à partir du moment où la Russie n’est plus seulement peuplée de Slaves orthodoxes (Russes, Ukrainiens ou Biélorusses) mais qu’elle compte également d’autres peuples de religion et de culture différentes.
    Aujourd’hui la Russie est une fédération constituée de 85 “sujets” disposant d’une autonomie politique et économique variable. Le découpage, tenant compte entre autres de la présence de minorités, existait déjà dans l’ancienne URSS. Les “sujets” de la fédération de Russie ont un pouvoir exécutif (un chef, un gouverneur, un maire), un pouvoir législatif (parlements régionaux) et un pouvoir judiciaire. Les républiques ont une Constitution tandis qu’on parle de statut pour les autres sujets de la fédération. Chaque sujet de la fédération de Russie envoie deux représentants au Conseil de la Fédération (le sénat de la fédération de Russie). Il existe actuellement 85 drapeaux des “sujets” russes aux cotes du drapeau national russe.
    Tout comme la Russie , le plus pays du monde , l’Algérie reste le plus grand pays d’Afrique, qui doit se référer à cette organisation territoriale russe afin d’en finir avec ce separatisme insensé.

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