Soft Power, dites-vous ?

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Soft Power, dites-vous ?
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Après Al Jazeera et BeIn sports qui ont recruté à tour de bras en Algérie et ailleurs, voilà leur petite sœur, « Alaraby TV » qui de retour au bercail à Doha, après un petit « séjour londonien » recrute à son tour au Maroc, en Tunisie, en Égypte…et en Algérie. A côté de la chute de Kaboul entre les mains des Taliban et les drames terribles qui secouent notre pays, cela relève en apparence de la “petite info”, en apparence seulement!

Il serait naïf de croire qu’il n’y a derrière ce genre d’outils médiatiques qu’une simple volonté d’informer. Nul n’ignore qu’ils représentent les politiques d’un pays qui a compris, à l’ère de l’information mondialisée, l’intérêt de se doter de ce genre d’armes qui relèvent de ce que les spécialistes nomment le « soft power ».

Le vilan petit Qatar et le plus grand pays d’Afrique

 Voilà comment le « vilain petit Qatar » se construit une image d’un État fort et moderne résolument tourné vers l’avenir et se dote des moyens de se défendre. Ses médias lui donnent plus de force et de poids que les dollars de ses puits de pétrole et de gaz. Al Jazeera, beaucoup l’ont déjà dit, est un redoutable vaisseau amiral dont l’extinction a été exigée, en vain, sous la menace d’une guerre par Riyad et Abu Dhabi.

Ailleurs, «le plus grand pays d’Afrique», riche comme Crésus, étendu comme un continent, jeune comme Hébé persiste à prendre le chemin inverse. Quand de nombreux pays ont compris l’importance d’étendre leurs influences, notamment à travers l’expansion médiatique, l’Algérie se recroqueville.

Si de nombreuses nations se dotent de médias forts et multiplient leurs contenus sur la toile en veillant à ne pas le discréditer par des pratiques d’un autre temps, l’Algérie choisit de s’isoler tout en accusant les autres de se liguer contre elle. Cette attitude défensive affligeante peut-être rapportée mécaniquement à l’indigence de l’offre  médiatique publique et privée. Si l’Algérie semble si désarmée, c’est tout simplement qu’elle a choisi de se priver des armes d’une des grandes batailles du nouveau siècle : les médias. 

Les rares médias algériens aptes à créer du contenu national et à doter, dans le respect des règles professionnelles ( il faut toujours insister sur cela) l’opinion des outils pour connaitre notre place dans le monde et pour se prémunir des manipulations, sont de facto entravés et empêchés. Au lieu d’un contexte encourageant, ils se retrouvent à slalomer entre interdits et décrets qui n’ont d’autres objectifs qu’un contrôle politique pur et simple qui, quand il s’impose, en fait des pétards mouillés.

Quelques médias tentent de survivre, mais il faut en convenir: la “dissuasion” exercée par les autorités est une “réussite”. Être dans une logique de survie signifie qu’on ne se développe pas. Le paradoxe est qu’on a un système où la dénonciation incantatoire des “menées de l’étranger et de ses médias” s’accompagne d’un travail systématique de blocage des médias nationaux libres et de qualité. On achètera peut-être, comme cela s’est passé déjà, à prix fort des suppléments-pubs dans des médias internationaux, lesquels ne se privent pas, comme l’a fait Le Monde, de prendre ostensiblement leurs distances. De l’argent gaspillé pour un impact négatif!

Face aux offensives des pays “amis” ou “ennemis”, on s’obstine à adopter des stratégies d’une autre ère alors qu’on parle bien de guerre de «quatrième génération». On s’entête à produire des communiqués pour dénoncer des “complots” qui seraient “ourdis”  contre nous, nourrissant le sentiment de repli au lieu d’encourager à mener la bataille avec les mêmes armes. Ce discours, davantage destiné à une consommation interne, n’aide en rien à susciter des vocations dans le noble métier d’informer. 

Et pourtant dans la cacophonie médiatique ambiante existent, de jeunes volontés qui tentent, contre vents et marées, de créer du contenu algérien. Bons ou perfectibles, ces contenus faits par des Algériens s’adressant aux Algériens et au monde offrent une marge de liberté et de création qui permet de se construire de petites niches d’audiences susceptibles de grandir. Ailleurs, on encouragerait ce potentiel, ici on œuvre à l’éteindre par une attitude hostile et suspicieuse qui va jusqu’à la  suspension d’activité pure et simple.

Une stratégie contre-productive

L’intelligence aurait été de faire bénéficier ces médias de fonds d’aide à la presse qui existent même dans les grandes nations, mais aussi, c’est un tabou ici, de leur permettre de glaner habilement dans les fonds internationaux, ouverts à tous les médias de la terre, ce que les budgets de l’État ne peuvent assurer et réguler.

En Algérie, on a choisi de multiplier les sens-interdits, réduisant presque à néant les chances de réussite de toute initiative médiatique digne de ce nom. Le pouvoir dans le monde est aujourd’hui multipolaire, marqué par l’apparition de divers pôles d’influence à l’échelle internationale. La maîtrise des flux d’information au niveau international est importante en termes d’image pour les pays, et également en termes de positionnement sur la scène internationale. Et donc, d’influence.

 La notion de “Soft Power” est basée essentiellement sur la réputation d’un pays et la manière dont celle-ci peut influencer le reste du monde. Sur ce plan, on ne peut pas dire que nous avons su “vendre” notre image à l’international.  Il est évident que ceux qui restent formatés par une mentalité passéiste ne peuvent aucunement faire preuve d’innovation et de volonté de se positionner. Cela donne un immense gâchis.

Le capital d’estime d’un pays né d’une grande révolution n’a pas été fructifié. L’Algérie aurait pu d’ailleurs s’inspirer des stratégies de communication très avancées et très actives de la Chine ou de la Russie. Ces pays, pourtant dirigés par des systèmes considérés comme «autoritaires», se sont engagés dans des stratégies de diffusion de contenu au niveau mondial. Ils le font de manière très professionnelle.

De gros médias à l’image de Russia Today renforcent la présence internationale de la Russie et développent une image positive dans la presse internationale en dépit de tirs de barrage groupés qu’elle subit des médias occidentaux. Cette chaîne créée en 2005 avec un budget initial de 30 millions de dollars compte aujourd’hui 550 millions téléspectateurs (700 millions selon RT) dont 85 millions aux Etats-Unis où elle est la deuxième chaîne étrangère la plus regardée au pays.

Le développement de stratégies de soft power des pays émergents via la production et la circulation d’informations d’actualité est devenu un aspect essentiel pour accroître leur visibilité et leur influence sur la scène internationale. Les médias sont un outil clé pour l’exercice  d’influence sur d’autres pays.

L’Algérie n’est ni la Russie, ni la Chine, mais elle est en train de cumuler de prodigieux retards et d’absurdes blocages. Certes, l’élan ne peut être séparé d’un déblocage de la crise politique qui perdure depuis des décennies, mais il est urgent de changer de paradigme. Continuer à considérer les médias nationaux qui entendent préserver leur indépendance comme des “ennemis” signifie que l’on n’a rien compris de ce qu’est le Soft Power. Se priver de la pluralité du discours c’est, en définitive, aller à la guerre en enfermant ses armes dans une armoire.

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