Levée du secret sur les “archives judiciaires”: l’historien français Fabrice Riceputi émet des réserves

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L’historien français Fabrice Riceputi émet des réserves sur l’annonce par la ministre de la Culture de son pays Roselyne Bachelot d’ouvrir “les archives judiciaires”.


“Je peux vous en dire davantage lorsqu’on aura l’arrêté de dérogation qui doit définir très précisément quel fond d’archives sont désormais communicables, une quinzaine d’années d’avance sur les délais légaux prévus par la loi de 2008. Pour le moment, nous n’avons qu’une annonce sommaire sur les archives judiciaires. En matière d’archives, le diable habite dans les détails”, a averti, vendredi 10 décembre, l’historien sur le plateau de France 24.


Le même jour, la ministre de la Culture française annoncé l’ouverture avec quinze ans d’avance des archives sur les enquêtes judiciaires de gendarmerie et de police “qui ont rapport avec la guerre d’Algérie ».


« On a des choses à reconstruire avec l’Algérie, elles ne pourront se reconstruire que sur la vérité. Je veux que sur cette question – qui est troublante, irritante, où il y a des falsificateurs de l’histoire à l’œuvre – je veux qu’on puisse la regarder en face. On ne construit pas un roman national sur un mensonge », a soutenu Roselyne Bachelot dans une interview accordée à BFMTV.


“Un travail de vérité indispensable”

“Ce que la ministre a dit est conforme au processus que nous avons enclenché et qui d’ailleurs associe l’ensemble des ministères concernés. Les ministères des Armées, de la Culture, etc. Cela s’inscrit dans ce travail de profondeur que nous avons entamé, avec le rapport Stora, un travail de vérité indispensable. Je veux que cela se fasse dans l’apaisement. Nous en sommes capables. Il s’agit de la reconnaissance de toutes les composantes mémorielles qui forgent la nation français, toutes”, a repris le président français Emmanuel Macron lors d’une conférence de presse conjointe à Paris avec le nouveau chancelier allemand Olaf Scholz, vendredi 10 décembre.


Fabrice Riceputi a estimé que l’ouverture des archives judiciaires constitue une avancée “dans l’état actuel de la recherche” dans la mesure où les historiens ne seront plus obligés de demander une dérogation, sorte d’autorisation spéciale. “L’accès à ce type d’archives est plus compliqué parce qu’ici entre en jeu la protection de la vie privée des personnes dont les noms sont mentionnés dans les dossiers. Globalement, on ne peut pas s’attendre à des révélations extraordinaires. De plus, il ne s’agit pas de l’ouverture de toutes les archives. Il s’agit d’une partie petite des archives sur la guerre d’Algérie”, a-t-il dit.


Et d’ajouter : ” et donc, la revendication d’un certain nombre d’historiens d’ouvrir, comme c’était le cas pour la deuxième guerre mondiale, toutes les archives, une bonne fois pour toute, n’est toujours pas possible pour la guerre d’Algérie. Je le regrette”.


Quid des archives des massacres du 17 octobre 1961 à Paris ?

Fabrice Riceputi s’interroge si les archives judiciaires, qui seront ouvertes, couvrent “l’Algérie coloniale” et la Métropole. “La dérogation irait jusqu’en 1966 pour couvrir toutes les affaires relatives à l’OAS”, a-t-il dit. Opposée à l’indépendance de l’Algérie, l’OAS (Organisation armée secrète) a commis plusieurs crimes durant les années 1961 et 1962.


L’historien  écarte la possibilité que les archives soient ouvertes pour situer les responsabilités sur les massacres du 17 octobre 1961 à Paris commis par la police française contre des manifestants algériens.


“Les plaintes déposées à l’époque ont déclenché quelques procédures judiciaires. Des procédures stoppées quelques mois après par l’Amnistie générale de 1962. Il n’y a donc pas grand chose à attendre, sous réserve d’un examen plus approfondi, sur le 17 octobre 1961”, a souligné l’auteur du livre “Ici on noya les Algériens” (Préfacé par l’historien Gilles Manceron, paru aux éditions indépendantes Le Passager clandestin, en septembre 2021, en France).
Selon lui, les archives des tribunaux militaires d’exception sont également concernées par la nouvelle dérogation.


Ouvrir “les archives privées”

“Sur les disparition, aucune enquête n’a abouti à la vérité. Vérité connue par quelques militaires encore en vie. En plus de l’ouverture des archives publiques, il faudrait qu’il ait une enquête pour que les gens qui ont des archives privées les communiquent, parlent aussi”, a proposé  Fabrice Riceputi. L’ouverture des “archives privées”par les anciens soldats ayant “servi” en Algérie, durant l’occupation français, est rarement évoquée en France.


Une résistance à la déclassification des archives en France

Fabrice Riceputi a rappelé que l’Algérie continue de réclamer à la France la restitution de l’ensemble des archives. “Là, on n’est pas dans ce registre. D’autre part, les chercheurs et les historiens algériens qui voudraient venir consulter les archives françaises ont beaucoup de mal à le faire, ne serait-ce que parce qu’on ne leur donne pas de visas. En 2020, le gouvernement français a fait exactement le contraire de ce qu’avait annoncé le président Macron en 2018, c’est-à-dire la fermeture des archives tamponnées “secret défense”. Cela a été annulé par le Conseil d’Etat, mais le ministère des Armées a introduit une loi rendant incommunicable un certain nombre d’archives”, a-t-il détaillé.


Il existe, selon lui, au sein de l’Etat français des personnes et des organismes qui résistent à l’ouverture des archives liées à la période coloniale française en Algérie.


Citant le cas du Rwanda (l’implication des militaires français dans le massacre des Tutsi en 1994), l’historien a relevé que “le travail de mémoire” ne va pas jusqu’au bout.


Il a illustré son propos par le refus de l’Assemblée nationale (Parlement) de communiquer les archives à la Commission Duclert ( la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi (1990-1994)). “Et sur la question de la Guerre d’Algérie, la reconnaissance pleine et entière de ce qui a été la colonisation n’est toujours pas possible manifestement. On fait des actes symboliques, des petits pas, parfois des petits pas en arrière d’ailleurs…Ce qu’attendent les Algériens, en tous cas autant que je puisse le savoir par mes travaux, ce n’est pas les excuses mais la reconnaissance de la vérité, toute la vérité”, a soutenu Fabrice Riceputi.

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