Histoire: le projet “1000 autres” pour rechercher “les disparus” algériens de 1957

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Histoire: le projet
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Les historiens Malika Rahal et Fabrice Riceputi mènent une enquête sur les algériens disparus entre 1957 et 1958 à Alger. Ils ont lancé en 2018 le site 1000autres.org contenant un appel à témoin.
“Durant cette période, la répression menée par les parachutistes français était la plus violente”, a précisé l’algérienne Malika Rahal, lors d’un débat organisé au Forum du quotidien El Moudjahid, dimanche 13 novembre, sous le thème “Les disparus forcés dans la grande répression d’Alger : 1957-1958”.  


Le projet intitulé “1000 autres” est né lorsque Fabrice Riceputi avait consulté en janvier 2018 un document aux Archives nationales d’Outre-mer à Aix-en-Provence en France. “C’est un document rare qui a échappé aux nettoyages des archives qui ont eu lieu après le 13 mai 1958. Je cherchais les archives de Paul Teitgen, secrétaire général à la préfecture d’Alger, chargé de la police, qui a démissionné en s’opposant aux méthodes du général Massu. Des méthodes qui lui rappelaient cette des nazis allemands qu’il avait lui-même subi comme ancien résistant”, a précisé Fabrice Riceputi.


“Les traces profondes des sévices ou des tortures” 

“J’ai acquis la certitude depuis trois mois que nous sommes engagés non pas dans l’illégalité – ce qui dans ce combat est sans importance, – mais dans l’anonymat et l’irresponsabilité, qui ne peuvent conduire qu’aux crimes de guerre. Je ne me permettrais jamais une telle affirmation si, au cours des visites récentes aux centres d’hébergement de Paul-Cazelles et de Beni-Messous, je n’avais reconnu sur certains assignés les traces profondes des sévices ou des tortures qu’il y a quatorze ans je subissais personnellement dans les caves de la Gestapo de Nancy(…)”, avait écrit Paul Teitgen, dans sa lettre de démission, envoyée le 24 mars 1957 à  Robert Lacoste, gouverneur général d’Algérie.


“Je n’ai pas trouvé les archives de Paul Teitgen, qui ont manifestement disparu,mais je suis tombé sur une archive du fond de la préfecture d’Alger, du service des Liaisons nord-africaines, un héritier des “affaires indigènes”, qui porte un fichier de gens enlevés par l’armée française en 1957 à Alger. Ce fichier était destiné à rester secret.

En mars 1957, après l’éclatement d’un scandale en France sur la torture en Algérie, Guy Mollet (président du Conseil des ministres) envoie une inspection en Algérie pour vérifier si d’éventuelles exactions avaient été commises. Un membre de la commission avait demandé la consultation de ce fichier au préfet d’Alger. Refus catégorique. Pourquoi? Parce que cette liste de gens arrêtés documentait ce qui se passait à Alger en ce moment-là, c’est-à-dire, un système de terreur militaro-policière, basé sur la disparition forcée”, a détaillé Fabrice Riceputi.
Ce système s’appelait, selon lui, “arrestation-détention” et qui s’appelle aujourd’hui, en droit international, la disparition forcée, considérée comme un crime contre l’humanité (depuis 2006).


“Éradiquer toute autonomie politique chez les colonisés”

“En février 1957, quelque semaines après le début de ce qui a été appelé “La bataille d’Alger”, la Préfecture d’Alger et Lacoste sont submergés par les interventions d’avocats défendant des familles algériennes se plaignant d’enlèvements de leurs proches. Les familles cherchaient si leurs proches étaient en vie et dans quels endroits ils étaient.

La préfecture d’Alger ne pouvait pas répondre à ces questions parce qu’elle a abandonné tout contrôle sur la répression confiée au général Massu et ses officiers qui appliquaient la doctrine de la guerre contre-insurrectionnelle faisant une cible toute la population algérienne. Un système basé sur l’action psychologique et la terreur”, a encore précisé l’historien français, auteur notamment de  “Ici on noya les Algériens, la bataille de Jean-Luc Einaudi ».


Il a ajouté que les parachutistes français présentaient ce qu’ils faisaient comme “une opération antiterroriste contre les poseurs de bombes à Alger”.
“Le but était d’éradiquer toute autonomie politique chez les colonisés. Lorsqu’ils assignaient une personne à résidence, les militaires étaient obligés de donner un motif. Parmi les motifs présentés, figuraient : “admirateur de Nasser” ou “appartenance à un syndicat”. Cela suffisait pour enfermer une personne dans un camp pendant des années. Contrairement à ce qu’ont raconté les généraux français dans leurs mémoires, ces méthodes relevaient d’une répression politique de grande intensité”, a-t-il noté.


Il a indiqué que la Préfecture d’Alger a, face aux demandes des familles de disparus, établi des avis de recherches au général Massu, qui était à la tête de la 10ème Division parachutiste à Alger.


“En France, on ne connaît qu’une seule d’histoire de disparus, celle de Maurice Audin”

“Dans 70 % des cas, les militaires ne répondaient pas ou répondaient n’importe comment. Des réponses qualifiées de non valables. Quand je suis tombé sur cette archive à Aix-en-Provence, je me suis rendu compte que j’ai découvert quelque chose qu’on ne connaissait pas dans l’historiographie en France. En France, on ne connaît qu’une seule d’histoire de disparus, celle de Maurice Audin. J’ai décidé de rendre public le document pour connaître le sort de ces personnes forcées à la disparition. Dans les archives coloniales, on ne trouve que les mensonges et la dissimulation. Les militaires disaient qu’ils avaient libéré les personnes arrêtées. le général Aussaresses lui-même disait que les personnes liquidées par ces troupes portaient la lettre L comme libérées devant leurs noms sur un fichier, en réalité L signifiait liquidées”, a détaillé Fabrice Riceputi.


Après avoir consulté d’autres historiens, il a lancé l’idée d’un appel à témoignage en s’appuyant sur un site lancé en septembre 2018
La procédure a été accélérée après la reconnaissance officielle par le président français Emmanuel Macron de “la responsabilité de la France dans l’enlèvement, la torture et l’assassinat de Maurice Audin”, la même année. “C’est pour cette raison que nous avons décidé d’intituler le site, “Alger 1957, des Maurices Audin par milliers”.

Le site a été très médiatisé en Algérie. Et après des semaines de son lancement, nous avons reçu de nombreuses identifications. Nous demandons aux gens de reconnaître dans la liste un parent ou une connaissance pour les identifier. On demande aussi qu’on nous signale les cas qui ne figurent pas dans notre liste. Cette liste n’est qu’un échantillon”, a-t-il relevé.


“Les premiers témoins sont les familles”

Malika Rahal a, de son côté, précisé que le plus jeune disparu, 15 ans, portait dans la liste sur le site 1000 autres, s’appelait Saïd Khemissa, enlevé le 4 juin 1957 à Alger par les bérets bleus, déclaré « abattu lors d’une tentative de fuite dans la nuit du 16 au 17 juin 1957″.


“Après le lancement du site avec les photos des disparus, les familles nous ont apporté des éléments de réponses et des photographies. Majoritairement, les personnes enlevées sont des hommes de tous âges. Mais, il y a aussi des femmes, certaines connues comme Ourida Medad et Zhor Zerari. Pour faire un travail sur la disparition forcée, il faut d’abord établir la liste des personnes disparues en cherchant auprès des premiers témoins qui sont les familles. La vérité sur la disparition forcée est d’abord dans la mémoire des familles, pas dans les archives militaires. Ce site (1000 autres) nous permet de remettre la recherche dans le bon sens en mettant en avant les survivants de la disparition forcée, les familles et leurs descendants”, a détaillé Malika Rahal.

Et d’ajouter :”Les documents envoyés par les familles permettent de documenter précisément ce qui a été pour elles l’expérience de la violence mais de faire une histoire, qui n’est pas seulement une histoire militaire, mais qui est  une histoire sociale de la répression durant cette période. Cela permet aussi de dessiner les quartiers d’Alger où les disparitions ont eu lieu. On pensait au début à la Casbah, mais en réalité tous les quartiers populaires ont été touchés par la répression comme El Madania, Belcourt, La redoute, Hussein-Dey. On a pu aussi identifier les entreprises où les personnes enlevées travaillaient et leurs métiers. Il s’agit, entre autres, de dockers, d’enseignants, d’employés de mairies, d’artisans, d’ouvriers d’usines mais aussi de lycéens et d’écoliers”.  

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