Disco Maghreb, Saint Crepin, Zed el Youm et les autres….

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Disco Maghreb, Saint Crepin, Zed el Youm et les autres.... Youcef Elmeddah
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Le dernier clip de DJ Snake a enflammé récemment les réseaux sociaux qui a vu des réactions plus ou moins mitigées des internautes. Dans ce clip, DJ Snake a voulu rendre hommage à Boualem Benhaoua, patron de la maison de disque Disco Maghreb situé dans un quartier populaire d’Oran et dont la devanture a été immortalisée par des dizaines de photos des nostalgiques de cette époque.

Boualem Benhaoua  n’est pourtant pas le seul à avoir contribué à l’essor du Rai dans les années 80.

On comptabilisait 120  éditeurs en 1983 contre 64 en 1982 la majorité établis à Oran et sa proche banlieue. C’était l’époque ou la « cassette » remplaçait le disque vinyle que certains considèrent comme l’âge d’or du Rai.

Mais au-delà de cette image nostalgique de la maison de disque, il faut rappeler le contexte de la production, la diffusion et la commercialisation de cette musique longtemps réduite à l’Ouest du pays avant de se généraliser sur tout le territoire national et même en France.

Avant l’apparition du Rai avec Bellemou le trompettiste qui a remplacé la gasba par la trompette puis l’accordéon et le saxo entre autres, et qui a sorti Belkacem Bouteldja de son ghetto en  l’accompagnant, les adolescents algériens de l’Ouest de cette époque écoutaient les mélodies marocaines de Ness El Ghiwane, Jil Jilala et El Mchaheb jusqu’en 1975, année de la première fermeture des frontière avec le Maroc suite au déclenchement du conflit du Sahara Occidental.

Bellemou, Boutedja et Bouatiba Sghir sont alors considérés comme les précurseurs du Rai moderne. C’est un voisin, Fodil Bounadja Allah yedekrou bel Khir,  qui m’a fait écouté le premier sur son poste cassette qu’il promenait dans le quartier une chanson de  Bellemou dans les années 75.

Cette époque des cassettes était caractérisée par une incroyable anarchie quant au respect des droits d’auteur, la production et la commercialisation de ces supports.

Ce témoignage d’un internaute illustre on ne peut mieux le malaise ambiant :

« C’était de l’escroquerie à grande échelle, les chanteurs, musiciens etc….arnaqués et le trésor public aussi, jusqu’au moment où on a commencé à étudier l’affaire de près , j’étais aux impôts dans les services des TCA (aujourd’hui TVA) , on a constaté l’arnaque sur les déclarations , tous les éditeurs déclarés un taux à 6% comme prestation de services , alors que ce sont des producteurs, j’ai commencé le premier en Algérie à Oran , la régularisation des dossiers d’éditeurs et leurs notifier de nouvelles impositions à 30% suivi de 200%de pénalités pour dissimulation de chiffres d’affaires , on était les premiers à le faire après il y a eu extension dans tout le pays , des sommes énormes sont réclamés par le trésor, la colère est monté au plus sommet de l’état jusqu’au président Chadli (ALLAH yarhmou) qui a intervenu pour nous calmer et faire le nécessaire dans la modération et l’histoire est longue. ».

Dans l’aventure du Rai de Bouziane Daoudi et Hadj Meliani, les auteurs rapportent que Belkacem Boutedja reprochait à son éditeur Brahim d’Elfeth, de l’avoir exploité en même temps que Ahmed Saber et Chikha Rimiti, dans les années 60, en le rémunérant 2500 DA  pour un 45 tours. Cette exploitation fut poursuivie en France lorsque l’éditeur a quitté l’Algérie pour créer la maison d’édition Chant d’Or. Une cassette de Rachid et Fethi a été piratée par la maison El Feth.

Même le chanteur Bedoui d’El-Asnam, Mohamed Belkhiati, autre ami de mon frère El Mehdi d’Oran à qui il a dédié de nombreuses chansons, s’est plaint de ce plagiat scandaleux avec cette chanson en en nommant ses plagiaires :

Chal men Maaza etguedmete ou sjete

Combien de chèvres se sont enhardies, prenant de l’assurance
Ou adeaate moughania ou tekalem

Se proclamant chanteuses et prirent la parole

Chat’hou Aliha ennassa ndama ghanate

Les gens ont dansé quand elles ont chanté
Ou Kalou hada fen metghenem

Et ont déclaré que c’était là un art avancé
Dar elhal ou ennass en amete

Les temps ont changé et les gens se sont aveuglés

Ki Adou yousghawel l’hayeme

Depuis qu’ils acclament des bestiaux
Mithele Zahouani, Benchenet ou nasra ou Jamelt’houm

Comme Zahouani, Benchenet, Nasro et leurs semblables
Yahafdou el klem ghir mene el cassette

Qui n’apprennent les textes qu’en écoutant les cassettes.

Il poursuivra d’ailleurs en justice de nombreux interprètes qui l’ont plagié notamment Hasni, Benchenet.

Dans les années 80, les éditeurs les plus performants commercialement parlant sont aussi propriétaires de studios d’enregistrement et de ce fait, avaient un pouvoir non négligeable quant à la carrière d’un chanteur débutant. A côté de Disco Maghreb, on avait aussi les éditions Zed El Youm, Saint Crepin, MCPE, Rallye, …
Il se dit que pour une de ses grands succès, Khaled a été payé par une R5 d’occasion comme avance. Dans la majorité des cas, le chanteur débutant ne percevait aucune rétribution. « Si les ventes sont bonnes, les cassettes suivantes se négocient au forfait entre 5000 et 10 000 DA (le SMIG à la fin des années 80 étant d’environ 2 500 DA). Le succès des ventes donne lieu à des sommes variant entre 20 000 et 40 000 DA. Dans les années 80, la dizaine de têtes d’affiche vend son produit entre 50 000 et 80 000 Da. Les stars les mieux payés touchent 100 000 et 300 000 DA (Khaled, Hasni, Mami, Sahraoui…). »
Ces stars partageaient leurs émoluments avec les musiciens arrangeurs et les techniciens qui participaient aussi à modifier ou compléter une des six chansons des cassettes vendues.

Je me souviens très bien d’une conversation, dans les années 70, dans un café entre un de mes demi frères d’Oran – inspecteur des douanes à cette époque- et Kadi Missoum, patron de Zed El Youm qui voulait avoir des renseignements sur les taxes douanières relatives à l’importation de cassettes vierges de France.

Dans un récent article, le journal le Monde soulignait le piratage massif qu’a subi le Rai qui a été à l’origine de la quasi faillite de la maison d’édition Disco Maghreb dont le patron affirmait que « C’est l’arrivée du graveur CD à la fin des années 1990 qui nous a tués. Des fraudeurs de plus en plus nombreux se servaient gratuitement, dupliquaient nos créations et vendaient leur marchandise sur le trottoir ».

La création de l’’Office national des droits d’auteur – ONDA- dans les années 70 était censée protéger les intérêts moraux et matériels des auteurs ou de leurs ayants droit. Beaucoup d’entre nous se souviennent de la vignette bleue accolée sur les cassettes et garantissant cette protection. Sauf que les éditeurs écoulaient sur le marché une infime partie de leurs productions « certifiées » par l’ONDA. L’écrasante majorité   des cassettes enregistrées inondait le marché informel.

Ahmed Zergui, cet autre pionnier du Rai, décédé tragiquement en 1983, qui fut parmi les premiers à introduire les instruments électriques, aurait renoncé à diffuser sa propre chanson dès lors qu’elle était plagiée. Ce fut le cas avec notamment Chab Khaled. C’est après sa mort que des enregistrements pirates ont été diffusés sur la chaine Youtube trahissant ainsi sa mémoire.

La vie privée des stars du Rai de cette époque était suivie par de nombreux fans de ce genre musical. Qui a fait de la prison, qui a violenté sa femme, qui se drogue, qui sort avec qui, qui fraude le fisc…  Cette médiatisation de la vie privée des stars du Rai a contribué grandement à sa mise à l’index par certains médias qui, pendant longtemps ont considéré le Rai comme une sous culture musicale, aux paroles pauvres, à la musique non travaillée et à la limite comme une imposture culturelle.

Lors des émeutes d’Octobre 1988, Rai et « Islamisme » tentaient d’attirer vers eux les jeunes en mal de vie. Et pourtant Sahraoui s’est défendu de récupérer cette jeunesse en soulignant « qu’il n y a aucun rapport entre le Rai et les violences d’octobre. Le Rai ne pousse pas à la révolte. C’est un truc (sic) de jeunes pour s’amuser et oublier les difficultés. Le Rai c’est l’ambiance, la fiesta, pas du tout la politique. Pendant les événements, nous ne sommes pas sortis de chez nous. Les journalistes nous interrogent mais c’est aux spécialistes de répondre, pas à nous. Nous ne faisons ni politique ni rien, seulement de la musique.». Cela n’a pas empêché l’assassinat du « rossignol » Chab Hasni le  29 septembre 1994 par deux balles à bout portant dans un café du quartier Gambetta à Oran.

Après les émeutes qu’a connue l’Algérie dans les années 80 en Kabylie, Oran, Constantine et Alger, le pouvoir de cette époque opta pour une « démocratisation » du pays, une économie de marché et une ouverture vers la jeunesse. C’est ainsi qu’en juillet 1985 a vu apparaitre le festival de la jeunesse au complexe de Riadh El Feth d’Alger. C’est l’apparition de cette nouvelle jeunesse aisée, enfants de la nouvelle bourgeoisie, que les algériens qualifiait de « Tchi-Tchi » qui côtoyait les « zawali » qui faisaient un effort pour paraitre à la page en matière de mode et de comportements sociaux.
Et le mois d’après, fort de ce succès, le Lieutenant-Colonel Senoussi, directeur de l’OREF Riadh El Feth, a décidé de sortir le Rai de son ghetto et l’exporter en France. C’est lui qui serait à l’origine du très grand succès de Khaled « Kutchi », enregistré à Londres en 1987 et produit par Safy Boutella.

Qui ne se souvient pas du concert 1,2,3 soleil avec Rachid Taha, Cheb Khaled et Faudel en 1998 où l’album du live a remporté le World Music Awards ?

Et ce n’est qu’en 1988, soit une dizaine d’années après l’apparition de ce genre musical, que la télévision officielle retransmettait enfin des concerts du festival du palais des sports d’Oran. Le Rai enfin reconnu s’est alors exporté au Maroc puis en Tunisie sans parler de la France où Barbes à Paris, Place du Pont à Lyon et Belsunce à Marseille sont devenus des plaques tournantes du Rai où se sont multipliés les producteurs et éditeurs qui a vu la qualité des cassettes puis des CD s’améliorer.Avec le dernier clip de DJ Snake, c’est cette période qui est mise à l’honneur au grand bonheur de celles et ceux qui l’ont vécue

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