Décédée le 7 juin dernier, Bettina Heinen Ayech, une artiste à l’air libre

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Bettina Heinen Ayech
Bettina Heinen Ayech/ DR
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Bettina Heinen Ayech avait un grand amour : Guelma et sa nature verdoyante. Les prairies, les collines, les vallons, les cours d’eau, les terres labourées, les champs de blé dorés, les arbres fleuries, les coquelicots rouges, les chardons bleus, et les plaines de cette région de l’Est algérien constituaient pendant plus de 55 ans la matière première de cette aquarelliste hors-pair d’origine allemande devenue algérienne par adoption. « Guelma est devenue une part de moi même », confie-t-elle. Pendant des années, l’artiste sortait en dehors de la ville pour admirer les paysages dont la beauté évolue au fil des saisons et des lumières. « Donc, je devais rester à Guelma », appuie-t-elle. Épouse d’Abdelhamid Ayech qu’elle rencontre à Paris, elle s’installe à Guelma, en 1963, après un séjour en Egypte où elle a été impressionnée par la culture arabe et musulmane et par les lumières et les senteurs de l’Orient. Au début, elle voulait découvrir l’Algérie avant de repartir en Allemagne. Son mari a réussi à la convaincre de rester. « Je me suis vite adaptée ! J’allais repartir trois mois plus tard pour une grande exposition en Allemagne, je devais prendre avec moi des toiles peintes à Guelma », se souvient-elle. Elle était conduite en dehors de la ville par des habitants qui, au fil du temps, s’étaient habitués à cette artiste, au sourire angélique, venue d’ailleurs avec des idées colorées et fraîches. La Mahouna était sa destination préférée. Elle a consacré plus de 200 tableaux rien qu’à ces montagnes de l’Atlas Tellien au Nord-Est de l’Algérie. Elle a repris merveilleusement dans ses toiles les couleurs, les tonalités, les courbes, les montées et les descentes, les airs et les lueurs de la Vallée du Seybouss, de Ghardaia, d’Heliopolis, de Timgad, de Djemila, de Biskra, de Hammam Meskhoutine et d’autres régions d’Algérie. Ses portraits regorgent de vie comme ceux de son époux qu’elle considérait comme son meilleur modèle. «Bettina Heinen-Ayech peut, à juste titre, revendiquer son algérianité autant que ses origines allemandes. Elle est née le 3 septembre 1937 à Solingen, en Allemagne, où elle a connu toutes les difficultés matérielles de l’après-guerre. Mais le milieu d’intellectuels et d’artistes auquel appartenait sa famille sut favoriser l’éclosion de dons précoces –ainsi vend-elle son premier tableau à 12 ans, écrit l’universitaire Claude Touili, cité dans le beau-livre « Bettina Heinen Ayech, la rencontre d’un peintre et d’un pays » de Taïeb Larak, paru en 2007 à compte d’auteur, à Alger (les éditeurs de la capitale ont curieusement ignoré ce livre malgré sa valeur historique).

Les lumières du Nord

L’artiste peintre allemand Erwin Bowien (1899-1972 ), qui a appris l’art en Suisse soutenu notamment par le célèbre chocolatier Carl Russ-Suchard, a initié Bettina Heinen Ayech à la peinture. Il était l’ami du père de Bettina, lui même poète et journaliste qui recevait souvent des artistes et des écrivains à la maison. Elle a ensuite approfondi ses connaissances de l’art pictural à l’Ecole des beaux arts de Cologne, à l’Académie des beaux arts de Munich et à l’Académie Royale des beaux arts de Copenhague (Danemark). « Avec mon maître Erwin Bowien, j’ai voyagé dix huit fois en Norvège. C’était toujours en été. La nature était colorée. La lumière du Nord est présente lorsqu’il fait beau. Arrivée en Algérie, j’ai vu les montagnes de la Mahouna qui me faisait penser à la Norvège. J’ai dessiné un tableau avec trois soleils pour montrer les changements », se souvient-elle. Elle a également voyagé avec son maître en Suède, en France et en SuisseErwin Bowien, qui a appris à Bettina la maîtrise de la couleur et la valorisation de l’élément humain, est venu en Algérie invitée pour son élève. Il a immortalisé son passage dans le sud algérien dans certains tableaux et écrits. « En Allemagne, on ne connaît pas bien l’Algérie. J’ai exposé dans la plupart des grandes villes allemandes. A chaque fois, j’invitais les visiteurs à se rendre en Afrique du Nord. Ils partaient tous en Tunisie alors que l’Algérie est beaucoup plus belle. La Tunisie a peu de montagnes. Les paysages comme ceux de Guelma, on les retrouve rarement en Europe. J’ai expliqué, notamment aux journaux, que l’Algérie est un pays différent par ses paysages, ses montagnes, son soleil, sa mer. La côte du Nord en Europe est blanche alors que la côte d’Algérie est rouge. Ici à Guelma, la terre est rouge. Une terre fertile », souligne Bettina Heinen Ayech dans une rare interview, réalisée chez elle au quartier de l’ancien abattoir à Guelma. L’artiste n’hésitait pas à se déplacer dans le même endroit en suivant le cycle des saisons pour « capter » la métamorphose de la nature.

« Pour l’artiste, l’argent ne veut rien dire »

A Guelma, où elle a forgé sa personnalité d’artiste aimant l’air libre, Bettina n’aimait pas trop fermer ses fenêtres. «Tous les Méditerranéens ferment leurs persiennes, surtout en été. Moi, je n’ai jamais pu faire cela ! Sans la lumière, j’ai l’impression d’être enterrée, j’étouffe », confie cette native de la région de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, à l’ouest de l’Allemagne. « L’art n’a pas de frontières. Dans l’art, nous recherchons quelque chose qui est plus haut que soi même. Pour l’artiste, l’argent ne veut rien dire. L’art n’est pas uniquement de peindre un beau paysage. L’art va au-delà de la réclame pour un paysage fabuleux  », dit-elle. Pour elle, la plupart des artistes-peintres sont paresseux. « Ils ne doivent pas l’être ! », insiste-t-elle. Ses mots d’ordre étaient : « vivre, peindre, travailler ». En marge d’une exposition à Constantine, elle a appelé les artistes de la ville des Ponts à s’intéresser à la cité. « Il y a des choses merveilleuses. Ils peuvent travailler toute une vie dans cette ville », confie-t-elle. Depuis le milieu des années 1950 et jusqu’à 2018, une centaine d’expositions collectives ou individuelles ont été consacrées aux oeuvres de Bettina en Algérie, en Afrique, en Europe, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud (sa fille vit actuellement au Pérou). Le Musée national des beaux arts d’Alger a acquis plusieurs tableaux de Bettina dans les années 1960-1970. L’art de Bettina a été analysé et détaillé dans une dizaine d’ouvrages et dans deux documentaires (réalisés par Ali Aissaoui et Hassen Bouabdellah).

Hocine Himer, l’ami

Bettina Heinen Ayech vouait beaucoup d’admiration pour son ami l’artiste peintre Hocine Himer, natif de Guelma. Elle regrettait qu’il n’ait pas eu beaucoup d’espaces dans les galeries pour exposer ses oeuvres et faire connaître ses dessins au crayon et ses toiles en art semi-figuratif. Hocine Himer, qui n’est plus de ce monde, était parmi les fondateurs de l’Association « Bassamates » (Empreintes) qui a organisé pendant une douzaine d’années le Salon national des arts plastiques à Guelma. Il avait milité pour l’ouverture d’une école des beaux arts dans la ville du 8 Mai 1945. Il avait constaté dans un de ses écrits que Bettina Heinen Ayech n’utilisait pas d’ombres dans ses peintures remplacées par les gammes de couleurs. Il avait parfaitement la philosophie de l’oeuvre de Bettina.

Bettina Heinen Ayech est décédée le 7 juin 2020 à Munich à l’âge de 83 ans.

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