Ahlem Gharbi, directrice générale de l’Institut français d’Algérie : “80 % des étudiants algériens qui font des études à l’étranger vont en France”

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Ahlem Gharbi, directrice générale de l'Institut français d'Algérie :
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Ahlem Gharbi est directrice générale de l’Institut français d’Algérie et conseillère culturelle à l’ambassade de France à Alger depuis septembre 2021. Elle revient dans cet entretien sur la coopération culturelle entre l’Algérie et la France et les projets en cours. 

24H Algérie: Comment évolue la coopération culturelle entre l’Algérie et la France?

Ahlem Gharbi: La pandémie de Covid-19 a eu des effets négatifs sur le travail de l’Institut français d’Algérie et sur la coopération institutionnelle. Tout était à l’arrêt, il n’y avait plus de voyages, de missions, d’expertise. Il était compliqué de travailler, de faire venir des artistes de France.  La reprise a commencé à partir de février 2022 avec l’amélioration de la situation sanitaire. Les choses reprennent doucement. En ce mois de juin 2022, nous atteignons presque le rythme de croisière.


La crise diplomatique entre l’Algérie et la France (fin 2021) n’a-t-elle pas eu d’influence sur la coopération culturelle ?

Cela a forcément compliqué les choses. Nous avons gardé malgré cela les contacts avec les ministères, essayé de discuter davantage. Cet épisode est dépassé.  Les deux présidents de la République et les ministres des Affaires étrangères des deux pays ont eu des échanges téléphoniques. Nous sommes dans une dynamique positive. Il y a une volonté de part et d’autre pour reprendre le travail et les projets là où on les avait laissés.


Cette année,  l’Algérie célèbre les soixante ans de l’indépendance et du recouvrement de la souveraineté nationale. Est-ce que cela aura un écho dans la coopération culturelle ?

En France, notamment à l’Institut du monde arabe (IMA), c’est une année spéciale avec les soixante ans de l’indépendance de l’Algérie. Une année dédiée à l’Algérie. Au programme de l’IMA, figurent des expositions, des projections de films, des concerts de musique…Une délégation de l’IMA  viendra en Algérie pour rechercher des designers aux fins d’organiser un défilé de mode à Paris.

Il y a aussi une production de films documentaires. Au  Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée de Marseille (Mucem), une exposition est consacrée à l’Emir Abdelkader (qui se tient jusqu’au 22 août 2022). Au-delà de la relation bilatérale, qui est complexe, il existe des relations humaines fortes. L’Algérie, c’est  un partenaire, une Histoire, une culture…forcément le lien avec la France est important.  


Comment évoluent les échanges universitaires et scientifiques entre les deux pays ? Et quel est le nombre d’étudiants algériens inscrits actuellement en France ?

La demande des algériens pour poursuivre leurs études en France est importante. Chaque année, on octroie 7000 visas pour études pour les algériens. Les étudiants passent par Campus France. Cette année, nous avons reçu  presque 50.000 dossiers d’étudiants algériens voulant poursuivre leurs études en France.

Après, les universités se prononceront sur les candidatures, les accepter ou pas. Le contingent des étudiants algériens en France est le deuxième après celui du Maroc et devant la Chine. 80 % des étudiants algériens qui font des études à l’étranger vont en France. Ce n’est pas le cas des marocains ou des tunisiens qui se dirigent vers d’autres pays. Le choix de la France s’explique par les liens familiaux et la langue.


Avez-vous le taux des étudiants qui reviennent en Algérie après la fin de leurs études en France ?

Nous n’avons pas de chiffres. Mais, le réseau algérien d’alumni est dense. Il est le premier au niveau mondial.  Cela veut dire que les étudiants algériens reviennent en Algérie, se mobilisent, ont envie de s’investir dans leur pays, veulent monter des projets. Ils viennent pour coacher de nouveaux étudiants, demandent des CV pour embaucher les étudiants qui sont passés par Campus France dans les entreprises en Algérie. C’est une dynamique positive.


Quelles sont les disciplines qui sont les plus demandées?

Les disciplines scientifiques et surtout l’informatique. Tout ce qui est sciences dures, mathématiques…


Qu’en est-il des programmes de recherches entre les universités algériennes et françaises ?

Énormément de programmes sont en cours. Les contacts entre chercheurs se sont poursuivis même durant les moments difficiles qu’ont connu les relations bilatérales. Il y a beaucoup de collaborations entre laboratoires de recherche des deux pays. L’université d’Alger travaille avec un laboratoire de recherche sur les mathématiques à Nice. Il existe aussi une coopération importante dans le domaine de l’archéologie entre le laboratoire d’Aix-Marseilles et l’université de Tipaza. Beaucoup de chercheurs se déplacent entre les deux pays.


Vous plaidez pour “le renforcement de l’amour de la langue française ” en Algérie. C’est même l’une de vos priorités. La langue française n’est-elle pas en régression en Algérie?

Je ne suis pas certaine qu’il ait moins d’intérêt pour la langue française en Algérie, mais il y a de l’intérêt pour d’autres langues. Avoir une diversité des langues est tout à fait normal. Les langues ouvrent des perspectives en termes de connaissance et d’apprentissage. Nous encourageons le multilinguisme.


C’est à nous de rendre le français plus attractif et plus intéressant pour les jeunes algériens en instaurant de nouvelles méthodes d’apprentissage (numérique, jeux, quizz, etc) et une offre en ligne pour permettre aux jeunes d’apprendre le français à distance. Les jeunes sont fascinés par l’anglais parce qu’ils consomment beaucoup de contenu sur internet dans cette langue. Cela nous oblige à repenser la façon avec laquelle le français est enseigné en recourant à des méthodes ludiques, de la musique, des images, etc. Il faut noter que ce problème se pose en France. Le niveau de la langue des jeunes générations a baissé tant pour la lecture que pour l’écriture.


Vous insistez souvent sur la nécessité d’attirer de “nouveaux publics”  à travers “la culture urbaine”. Pourquoi?

La culture urbaine, c’est la danse, le breakdance, le rap, le street art, le skateboard…Le programme culturel qui prend en compte ces formes d’expression peut plaire et attirer les jeunes. Nous avons repensé notre programmation au niveau des Instituts pour répondre à la demande du public, notamment des jeunes. Une demande importante surtout que les jeunes sont majoritaires en Algérie. Les gens veulent parfois des spectacles de théâtre, de danse, etc (…) Nous avons commencé à présenter des conférences en langue arabe.

Il y a plus d’une année, nous avons organisé les rencontres Ibn Khaldoun. Des conférences ont été faites en ligne en raison de la pandémie de Covid-19. Nous voulons aller aussi vers un contenu en arabe pour consacrer l’idée que la culture, c’est pour tout le monde, pas uniquement pour les francophones. Nous voulons par exemple faire des podcasts sur les auteurs français en arabe.


Les Instituts français d’Algérie (IFA) vont-ils sortir de leurs murs ?

C’est une priorité. Il faut aller vers d’autres publics dans les quartiers où, par exemple, il y a moins d’offres culturelles. Beaucoup de gens pensent que les IFA sont fermés sur eux même, que l’accès est payant et que l’entrée n’est réservée qu’à l’élite francophone. Pour montrer ce que nous faisons, nous sommes obligés d’aller vers ce public, notamment vers les jeunes arabophones. Il s’agit aussi d’aller vers des villes où nous ne sommes pas présents comme Tamanrasset et Ouargla. Nous travaillons beaucoup avec nos partenaires publics ou privés en Algérie. Nous discutons avec l’Office Riadh El Feth (OREF) et avec le Théâtre national d’Alger (TNA) pour travailler ensemble. Nous collaborons déjà avec le Théâtre régional d’Oran(TRO). Il existe une demande de la cinémathèque algérienne aussi pour travailler ensemble.


Avez-vous préparé une programmation à l’occasion des 19ème Jeux Méditerranéens qui se déroulent à Oran du 25 juin au 6 juillet 2022 ?

Oui, il y a une programmation spécifique. Les Jeux Méditerranéens sont un moment important. La délégation française est composée de 450 personnes dont 350 athlètes avec la présence de franco-algériens. Le Comité d’organisation des jeux nous a sollicités pour proposer une programmation culturelle. Il y aura du cinéma, du théâtre, du breakdance, du basket de ville, des débats d’idées avec des conférences autour du sport.


Il existe cinq IFA en Algérie (Alger, Tlemcen, Constantine, Oran et Annaba). Avez-vous un projet pour ouvrir d’autres antennes dans le pays?

C’est important de travailler dans d’autres villes mais pour ouvrir une nouvelle antenne, cela exige des moyens financiers et humains. On verra plus tard. Mais, là nous travaillons pour déployer une activité culturelle avec nos partenaires algériens.


Dans un texte publié sur le site de l’IFA, vous évoquez “l’héritage méditerranéen commun”. Existe-t-il des projets allant dans ce sens au-delà des Jeux Méditerranéen ?

Nous avons essayé de penser notre programmation culturelle en intégrant de façon transversale la thématique de la Méditerranéen et de l’Afrique. Lors de la semaine de la francophonie de mars 2022, la thématique était la francophonie africaine. Au salon international du livre d’Alger, nous avons invité des auteurs francophones africains et méditerranéens. Nous prévoyons des activités avec l’Institut culturel italien à Alger pour le cinéma. Pour nos conférences, nous voulons inviter aussi des intervenants d’Afrique ou de la région méditerranéenne.


A propos du cinéma, qu’en est-il de la coproduction cinématographique entre les deux pays?

Entre producteurs des deux pays existe constamment des projets. Au niveau de l’Institut français, il y a des appels à candidature et des programmes d’aide à la réalisation cinématographique. Nous avons un programme de soutien à l’écriture, à la réalisation et la post-production pour des films tels que “La dernière sultane d’Alger” et “Meursault, contre enquête”. Nous continuerons à soutenir des films algériens. Il y a une création cinématographique très riche en Algérie qu’il faut appuyer….


Qu’en est-il des échanges entre artistes algériens et français. Y a-t-il des projets en ce sens?

Nous finançons déjà des résidences d’artistes algériens en France. Actuellement, une quinzaine d’artistes algériens sont en résidence. Nous demandons aux artistes français, qui viennent en tournée en Algérie, de faire des master class. Des artistes qui ont assuré un ciné concert ici à l’IFA ont animé un master class avec des jeunes algériens.

La restitution s’est faite sur scène autour du film Hassan Terro (de Mohamed Lakhdar Hamina, sorti en 1968 ). Nous voulons que les artistes français prennent contact avec les algériens au lieu de faire des concerts ou des spectacles et repartir sans voir grand chose de l’Algérie. Nous envisageons d’organiser une résidence d’artistes français et européens en Algérie. Ils vont rester plusieurs mois pour faire des créations. Nous organisons aussi des mini résidences comme avec le film documentaire avec  Lab Dz et une résidence d’écriture à Timimoun.


N’y a-t-il pas de complication pour les artistes dans l’obtention des visas, dans les deux sens ?

C’était compliqué en raison de la Covid-19 et du manque de vols. Les flux artistiques sont bien répartis actuellement. Les artistes algériens obtiennent des visas sans difficultés. Idem pour les artistes français qui viennent en Algérie.


Les artistes algériens ne sont-ils pas touchés par la réduction des visas, côté français, de 50 % ?

Non. Les étudiants, les artistes et les hommes d’affaires obtiennent les visas. C’est important pour nous de continuer à garder ce flux de part et d’autre. 

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1 commentaire

  1. Soyons réalistes et sans snob, la majorité , quasimajorite, des algériens qui partent en France pour des études ne revient pas, pourquoi ? Faire des études en France n’est pas aisé, mis à part la langue française , plus ou moins maîtrisée, les contraintes quotidiennes , comme l’hébergement ou la restauration coûtent excessivement chers .L’étudiant étranger est dans l’obligation de trouver un job pour subvenir à ses dépenses. C’est le cas dans tous les pays européens où nos étudiants “nagent en eaux troubles”.
    Un pays , un grand pays comme la Russie accueille les étudiants algériens et les met dans de bonnes conditions : régler les études , l’hébergement, l’assurance et l’accueil à l’aéroport de Moscou avec environ 2500 Euros pour l’année . Actuellement , plus de 12 000 étudiants algériens sont inscrits en Russie dans les principales universités par l’organisme RACES.
    Le bureau RACUS de Ouled Fayet s’occupe de toutes les modalités jusqu’à installation de l’étudiant dans le campus. Si le dossier présenté est complet , le visa d’études est octroyé.
    Pour rappel , l’enseignement supérieur en Russie n’est pas fondamentalement différent de celui que nous connaissons en France. Il existe de grandes similitudes notamment au niveau des diplômes. La majeure différence reste au niveau du nombre d’établissements, proportionnel à la taille du pays, soit 25 fois la France.: La russie comporte 896 universités pour 75 universités en France. Autant dire que les étudiants étrangers et locaux ont le choix en termes de formation et de spécialité. Les étudiants etrangers ont la chance d’avoir des places dans des résidences universitaires automatiquement avec leur inscription à l’université.
    La différence majeure avec les cours en France, l’obligation d’assister en cours. En France, les cours magistraux se vident parfois de leurs étudiants dès la deuxième semaine de l’année… Impensable en Russie où les absences sont rigoureusement contrôlées et les étudiants menacés d’exclusion de l’université s’ils ne sont pas présents en cours.

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