Zoubida Assoul: “Le projet de révision constitutionnelle n’est pas une priorité”

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Zoubida Assoul:
Zoubida Assoul: "Le projet de révision constitutionnelle n'est pas une priorité"
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Zoubida Assoul est avocate et présidente de l’Union pour le changement et le progrès (UCP). Soutenant le Hirak du 22 février 2019, elle est opposée au projet de révision constitutionnelle qui sera soumis au référendum populaire le 1er novembre 2020. Elle explique les raisons de cette opposition.

Le projet de révision constitutionnelle est considéré par le président Abdelmadjid Tebboune comme une étape vers le changement politique dans le pays. Qu’en pensez vous?

Il n’est pas juste de réduire la crise politique en Algérie à l’amendement de la Constitution. Ce n’est pas la solution. Et, le projet de révision constitutionnelle n’est pas une priorité. La priorité de l’Algérie est la résolution de la crise de légitimité et la réponse aux problèmes économiques et sociaux, devenus plus graves avec la crise sanitaire liée à la Covid-19. Le pouvoir a gardé le même plan en imposant la révision constitutionnelle d’une manière unilatérale. Cette révision ressemble à une vente d’illusions aux Algériens. La crise de l’Algérie n’est pas celle des constitutions. La véritable crise en Algérie est l’absence de confiance entre le citoyen et les institutions de l’État.

Les autorités disent que le projet de révision constitutionnelle a apporté des réponses aux demandes du hirak. Elles soulignent l’introduction du hirak du 22 février 2019 dans le préambule du texte amendé….

Les demandes du hirak étaient claires. D’abord, refus du 5ème mandat pour Bouteflika. Ensuite, changement du régime et application des articles 7 et 8 de la Constitution relatifs à la souveraineté du peuple. Cela veut dire que la Constitution n’est pas une loi ordinaire, mais un contrat social entre le citoyen et son État. Les deux parties doivent être présentes dans l’élaboration de cette Constitution. Le pouvoir a choisi d’élaborer le projet de révision constitutionnelle d’une manière unilatérale en chargeant une équipe d’experts de le faire.

Le hirak n’a pas demandé le changement de personnes ou de Constitution, mais le changement du système de pouvoir et la construction de l’État sur de nouvelles bases (…) Les amendements de la Constitution sont formels, ne changent pas la nature du pouvoir. Nous demandons autant que hirak l’application de ce qui a été proposé depuis 2019 comme plans d’action. Il faut engager un dialogue sérieux et élaborer une feuille de route consensuelle, assainir la situation dans le pays concernant le mode de gouvernance et les institutions.

La révision des lois et l’agenda du changement doivent suivre. La Constitution doit être le produit d’un dialogue national rassembleur qui n’exclut personne. Ce n’est qu’après ce dialogue qu’on va vers une Constitution qui garantit la séparation réelle entre les pouvoirs ainsi que l’équilibre entre ces mêmes pouvoirs. Il s’agit aussi de garantir une véritable indépendance de la justice et la liberté pour tous les citoyens algériens. Le projet de révision constitutionnelle va à contre sens de ce que déclare le pouvoir.

Comment ?

Il n’y a pas d’équilibre entre les pouvoirs. Le président de la République garde tous les pouvoirs et ajoute d’autres prérogatives au point que le chef du gouvernement ou le premier ministre se trouve dépouillé de tous ses pouvoirs. Le président de la République reste ministre de la Défense nationale et président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Cela est déjà une violation du principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Les contre pouvoirs n’existent pas dans le projet de révision constitutionnelle. Un tiers de la Cour constitutionnelle est désigné par le président de la République.

La centralisation des pouvoirs entre les mains d’un seul responsable va provoquer, comme lors de la période d’Abdelaziz Bouteflika, des situations de blocage (…) Le projet d’amendement constitutionnel est une décision prise par le président de la République à défaut de trouver les solutions aux vraies problématiques du pays.

Pour nous, il s’agit de lutter contre ce système opaque et corrompu qui a mené le pays à une situation chaotique sur le plan économique et institutionnel. La corruption s’est généralisée et s’est même transformée en mode de gouvernance. Il n’y a qu’à voir les dossiers qui sont au niveau de la justice. Beaucoup d’ex-responsables politiques ont été condamnés à de lourdes peines en raison de leurs pratiques dans le pouvoir.

Aussi, l’amendement de la Constitution devrait-il être l’aboutissement d’une solution politique concertée et consensuelle. Il s’agit d’assainir et reconstruire l’État souverain sur de nouvelles bases. Cela passe par un processus de consultation et de dialogue. A ce moment-là, on peut se mettre d’accord sur ce qui est urgent à établir et réunir les conditions pour aller réellement vers des élections libres et transparentes où le respect du choix du citoyen sera respecté.

Pourquoi, selon vous, le président Tebboune a lancé le projet de révision constitutionnelle après avoir entamé un dialogue avec certaines personnalités nationales sans le continuer ?

Je pense que le président n’a pas vraiment les coudées franches. Il n’est pas le seul à décider de cette situation. Sa faible légitimité ne lui donne pas la liberté d’agir, d’aller vers une solution politique. Au début, le président avait dit qu’il tendait la main au hirak et à l’opposition. Mais, après son discours de prestation de serment, il a changé de position, ne voulait plus entendre parler de dialogue.

Lors d’un récent discours, il a déclaré que les premières élections libres et transparentes en Algérie étaient les présidentielles du 12 décembre 2019. Bouteflika nous disait aussi la même chose. Aujourd’hui, il n’y a pas d’ingénierie politique. Le président de la République et avant lui, l’ex-chef d’état major de l’armée ont fait rater à l’Algérie de faire un saut qualitatif et d’aller vers la construction d’un État de droit, souverain, qui respecte les libertés des citoyens.

La révision de la Constitution marque-t-elle une rupture avec le régime de Bouteflika ou pas?

La rupture exigée par les Algériens ne peut pas se faire en amendant la Constitution. A chaque crise cyclique, le pouvoir actionne le même logiciel : réviser la Constitution. Les précédentes révisions ont-elles réglé les crises ? Non. C’est pour cela que nous disons que le système n’a pas changé de logiciel, c’est tout ce qu’il sait faire.

Cette fois-ci, le peuple est sorti dans la rue en Algérie et à l’étranger. Avant, nous étions une minorité à manifester dans la rue pour réclamer le changement. Le peuple dit qu’il a envie de participer à l’élaboration de la nouvelle Constitution, de choisir les dirigeants du pays, d’élire un président. Il veut que les conditions soient réunies pour que son choix soit respecté. Or, le chef de l’État a entamé un processus à l’envers en proposant le projet de révision constitutionnelle sans qu’il ait un véritable débat contradictoire…

Les conditions ne sont pas véritablement réunies pour un débat serein qui permet aux citoyens de connaître le contenu de ce projet d’amendements. Le président de la République a gardé tous les pouvoirs. On a même inventé un nouveau système de gouvernance portant sur la désignation d’un Premier ministre ou d’un chef du gouvernement (selon la majorité au Parlement, présidentielle ou pas). J’ai étudié plusieurs constitutions, je n’ai pas trouvé ces dispositions. On sait que l’actuel président n’a pas de majorité au Parlement, n’a pas de parti. Il cherche à se créer une nouvelle majorité à travers la société civile et exclure les partis(…) 

J’ai lu deux articles des dispositions de transition. Le premier article stipule que le pouvoir a un délai d’une année pour adapter les institutions qui doivent connaître un changement à travers cet amendement de la Constitution. On évoque par exemple la Cour constitutionnelle. Même là, le seul changement est l’appellation. Rien n’a changé dans le fond. Un autre article impose la mise en conformité de tous les textes de loi avec la nouvelle Constitution dans un délai raisonnable. Ce délai raisonnable peut aller jusqu’à des années. Je n’ai donc pas un élément qui me permet de croire que ce que contient la Constitution, avec toutes les tares qu’on puisse lui reprocher, sera appliqué réellement sur le terrain.

Vous défendez certains détenus liés au Hirak. Pourquoi certains d’entre eux ont été mis en prison ces derniers mois ?

Le pouvoir veut faire peur aux gens. Mais, pour moi, le hirak va revenir. Les marches sont un moyen de contestation. Mais, le hirak doit passer à l’étape supérieure, élaborer le projet alternatif. Nous avons des propositions. Beaucoup de travail se fait au sein du PAD (Pacte pour l’alternative démocratique), au sein de la société civile, au sein des élites et avec les jeunes. Il ne faut pas croire que parce qu’on ne marche plus, rien ne se fait. A l’UCP, nous avons toujours fait des propositions, suggéré des alternatives. Il y a des solutions, mais il n’existe pas de volonté politique au sein du pouvoir.

Qu’en est-il de la limitation des mandats présidentiels ?

La limitation des mandats présidentiels existait déjà dans la Constitution de 1996. Bouteflika a supprimé cette disposition en 2008 parce qu’il voulait le pouvoir à vie. La réintroduction de la limitation des mandats du président n’est qu’un retour à la Constitution de 1996. Donc, ce n’est pas un nouveau changement. Par contre, on constate que le président de la République garde la prérogative de légiférer par ordonnance, de faire passer des textes de loi, sous le sceau de l’urgence, sans débat au Parlement.

De plus, toutes les institutions consultatives seront mises sous son autorité y compris le Conseil national économique et social (CNES), le Conseil national des droits de l’homme, l’Observatoire de la société civile et le Conseil national de la jeunesse. La consolidation des pouvoirs du président de la République est un signe de faiblesse du pouvoir, pas de force. Un pouvoir fort n’a pas peur d’un peuple jouissant de ses libertés et de ses droits.

Il est question d’élections législatives et locales anticipées. D’aucuns estiment que c’est une occasion pour s’impliquer dans l’action politique et essayer de changer les choses de l’intérieur des institutions. Quel est votre avis ?

La rue demande le changement du pouvoir, pas les élections. Les élections ne sont pas un objectif. C’est un moyen pour changer un système de gouvernance. Le pouvoir considère que les élections sont un objectif. Il cherche à constituer une nouvelle clientèle pour former le prochain Parlement pour donner une certaine légitimité à l’équipe dirigeante en place.

Vous n’allez donc pas participer aux prochaines élections législatives…

Nous n’allons pas participer pour des considérations objectives. En tant que politiques, nous devons écouter la voix du peuple. La voix du peuple était claire durant plus d’une année de hirak à propos du changement du régime et de la nécessité de mettre en place des mécanismes pour l’organisation d’élections libres et honnêtes où l’égalité des chances sera assurée. Cela n’est pas dans la feuille de route du pouvoir.

Est-il possible que l’opposition se rassemble autour d’un seul projet ? A-t-elle un projet alternatif ?

Je pense qu’il y a une maturité et assez de recul pour cela. Aujourd’hui, l’union fait la force. Nous pouvons nous réunir avec toutes les personnes, les partis et les parties qui ont l’intérêt de l’Algérie au premier chef et l’intérêt des citoyens qui sont sortis par millions pour essayer d’être à la hauteur de leurs revendications. Si on est d’accord autour de cet objectif, on peut se rassembler.

L’UCP a présenté par le passé le projet d’une « Constitution du changement ». C’était après l’appel de l’ancien président de la République pour introduire des réformes à travers la Constitution. Le projet a été présenté au pouvoir. Et comme d’habitude, le pouvoir, qui n’accorde aucun intérêt aux alternatives et qui est engagé dans une stratégie du maintien, a ignoré notre proposition.

Le pouvoir veut garder le même système rentier et opaque où aucun responsable ne rend des comptes. Le projet de révision constitutionnelle maintient le privilège de juridiction pour les hauts responsables de l’État même dans le cas de trahison du pays. Cela ne peut pas être accepté dans un État de droit. C’est pour cette raison que nous disons que le projet de révision constitutionnelle a pour objectif de maintenir le même pouvoir.

Comment voyez-vous l’après Référendum du 1 novembre sur le plan politique ?

L’opposition a présenté plusieurs alternatives politiques en disant que la solution n’est pas entre les mains d’un seul parti ou d’un groupe. L’opposition a toujours privilégié la solution consensuelle. Le pouvoir n’a pas réagi à ces propositions. La crise ne sera pas résolue par la révision constitutionnelle ou par les élections législatives. Le pouvoir veut changer la composition du Parlement en sollicitant la société civile. Il s’agit de pratiques connues. Pendant vingt ans, le régime de Bouteflika a appliqué la politique du bâton et de la carotte.

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