L'économiste Youcef Benabdallah
L'économiste Youcef Benabdallah
Google Actualites 24H Algerie

Youcef Benabdallah est économiste. Il est auteur de plusieurs études et ouvrages sur le surendettement, l’économie rentière, le Processus de Barcelone et l’économie en Méditerranée. Il a été enseignant à l’ex-Institut national de planification et de la statistique (INPS) et membre du Conseil d’administration de l’Institut de Diplomatie et des Relations internationales qui relève du ministère des Affaires étrangères. Il a mené des travaux pour le compte du Centre de recherche en économie appliquée (CREAD) d’Alger.

24H Algérie: L’Algérie a enregistré une croissance économique négative de -3,9% au 1er trimestre 2020, contre une croissance positive de 1,3% à la même période de 2019, selon l’Office national des statistiques (ONS). Comment expliquer cette croissance négative ?

Youcef Benabdallah: L’ambiance actuellement est à dire que la pandémie de la Covid 19 a eu des effets négatifs sur l’économie algérienne. Cela est juste. Toutes les économies du monde sont touchées. Mais, il y a un problème par rapport à la mesure et à la période. Le taux de croissance concerne un trimestre, c’est à dire janvier, février et mars. Or, les premiers cas positifs de Covid 19 n’apparaissent en Algérie qu’au début mars 2020, donc, ce chiffre ne couvre, au mieux, qu’un mois au titre de la pandémie. Qu’en est-il des deux autres mois? Au fait, cette croissance négative est un cumul de phénomènes qui sont antérieurs à la pandémie. Un certain nombre d’entrepreneurs et d’observateurs ont déclaré que 2019 était une année blanche (sur le plan économique). Donc, ces effets cumulés ont débordé sur l’année 2020. Il ne faudrait pas faire d’erreur d’analyse. La croissance négative à -3,9% n’est pas à lier uniquement à la pandémie de Covid 19 mais aux difficultés structurelles de l’économie algérienne à se mettre sur une trajectoire de croissance durable. La pandémie ne fait qu’aggraver les choses.

Quelles sont donc les autres causes ?

Dans le court terme, le Hirak a influencé dans une certaine mesure le fonctionnement de l’économie par une baisse d’activité qu’on ne saurait préciser. Il faut rappeler tout de même qu’on ne peut noter plus d’arrêts de travail durant l’année 2019 dans le pays que d’habitude. Au fait, il y a une baisse d’activité depuis fin 2014 en raison de la chute des prix du baril de pétrole qui a réduit la demande publique qui a été le moteur principal de l’économie. L’économie algérienne n’est pas à l’abri des aléas extérieurs qui l’ont déjà frappée par le passé et qui n’ont pas été suffisamment médités. Un ensemble de dysfonctionnement structurels de l’économie s’entrelacent et donnent le résultat qu’on connaît depuis assez longtemps et sur lesquels vient s’ajouter l’effet de la pandémie. .

A la fin juin 2020, toujours selon l’ONS, le taux d’inflation moyenne annuelle était de 2,1 %. Ce taux traduit-il la réalité ?

Depuis des années, l’Algérie, grâce à la politique de la Banque d’Algérie, a un taux d’inflation raisonnable. Les économistes vous diront que l’inflation est sous contrôle. Je ne pense pas qu’il y ait un commentaire particulier à faire sur le taux d’inflation. On reste avec un taux légèrement supérieur à ceux de nos partenaires commerciaux, ce qui a des répercussions sur le taux de change.

Donc, la création monétaire, décidée en 2018, n’a pas eu des retombées sur le taux d’inflation. A l’époque, on avait parlé d’une « explosion » de l’inflation en raison du recours à la planche à billets pour faire face au déficit budgétaire…

Cela a été dit par des gens qui vont très rapidement en besogne. Tout l’argent créé à la faveur du financement non conventionnel n’a pas été mis en circulation. C’est ce que les économistes appellent la stérilisation. Et puis, une partie de l’argent mis en circulation a été utilisé pour financer les importations. Finalement, c’est la baisse des réserves de change qui a absorbé les effets inflationnistes potentiels qu’on lie traditionnellement à ce type de financement. Donc, on ne voit pas encore l’effet inflationniste sur les prix intérieurs de ce financement non conventionnel. L’argent créé est repris par le circuit monétaire et transformé en devises. Autrement dit, dans une perspective d’ajustement des importations, il sera difficile de recourir à ce type de financement sans en subir les conséquences inflationnistes car l’argent créé alimente la circulation monétaire dans un contexte de raréfaction de l’offre de marchandises.

Après un ralentissement durable d’activités et une croissance négative, comment relancer l’économie en pareilles situations?

Cela concerne toute la société, le gouvernement, les acteurs institutionnels et non institutionnels, la population, etc…Ce n’est pas une décision qu’on prend dans un bureau. Ce n’est pas non plus une simple décision politique. Il s’agit d’obtenir l’adhésion de l’ensemble des acteurs avec un rôle majeur pour le gouvernement, de prendre les bonnes décisions et convaincre les autres parties d’adhérer au plan de relance économique. Et que les gens se donnent la main pour passer à une autre étape…

Les pouvoirs publics entendent engager une vaste réforme fiscale. Qu’en pensez-vous ?

Cela fait des années que la fiscalité algérienne devait être réformée par un élargissement de l’assiette fiscale et par une meilleure justice de l’impôt. Tout le monde sait que l’IRG est payé par les salariés. Ce débat existe depuis au moins vingt ans ! Il faut espérer qu’on est dans une phase où la décision va remplacer la parole ; autrement dit, aller vers de véritables décisions et avoir la volonté de les appliquer. Le terrain est extrêmement difficile. Comment allez-vous imposer des gens dont vous connaissez mal l’activité et dont vous n’avez aucune idée de leurs revenus? Sur quelle base l’imposition sera-t-elle faite? En Algérie, l’économie est mal connue par les pouvoirs publics qui reconnaissent que l’informel représente de 40 à 45 % de l’économie. Vous voyez donc la manne financière qui échappe au trésor public. Ces gens, qui ne payent pas leurs impôts, envoient leurs enfants aux écoles où l’enseignement est gratuit, se soignent gratuitement dans les hôpitaux publics, roulent gratuitement sur des routes, etc. C’est injuste. Par ailleurs l’impôt même quand il est payé a encouragé les importations, les activités spéculatives et a découragé les activités de production et de d’exportation.

Comment alors aspirer l’argent qui est dans le circuit informel?

Il faut connaître ceux qui sont dans l’informel, les contraindre à payer quand il s’agit de l’informel criminel et les convaincre de rejoindre l’économie formelle dans les autres situations en leur offrant de meilleurs services, un meilleur accès au financement, à de meilleurs institutions sans qu’ils aient à se cacher. C’est une façon aussi d’en faire des citoyens en termes de droit et de devoir.

Le gouvernement évoque la finance islamique en pensant que ceux qui sont dans l’informel viendront vers les banques déposer leur argent

Je n’y crois pas. Musulman, islamiste ou pas islamiste, celui qui a de l’argent va chercher la rentabilité. Tant qu’il y a une économie informelle qui assure des rentabilités très élevées, personne ne mettra son argent dans les banques. Il va vous dire « Tijara hlal » (le commerce est licite) et vous ne pouvez absolument rien contre lui. La seule manière qui reste est que la finance islamique ou tout simplement la finance conventionnelle offre des produits garantissant une rentabilité qui n’ampute pas l’épargne des gens. Pour le moment, il est difficile d’imaginer un taux de rentabilité qu’offrirait la « finance officielle » qui soit concurrentiel à celui de l’économie informelle. Il ne faut pas croire que ceux qui se disent islamistes oublient de gagner de l’argent, c’est faux.

On parle également de réformes bancaires et de la possibilité d’ouvrir le capital des banques publiques.

Ouvrir le capital des banques publiques à d’autres acteurs, à un autre management, à un autre type de décision et à d’autres produits serait une bonne chose. Cela pourrait profiter autant aux citoyens qu’à l’économie.

Pourquoi la réforme bancaire n’a jamais abouti en Algérie ?

L’affaire Khalifa a fonctionné comme un syndrome. Depuis cette époque, les pouvoirs publics n’ont plus fait aucun geste vers le capital privé algérien dans le domaine bancaire. Il me semble que le capital social exigé pour ouvrir une banque en Algérie dépasse les capacités de l’entrepreneuriat algérien. Il est très élevé. C’est une barre qui a été mise très haut pour décourager les gens et espérer avoir des professionnels. Donc, il faut aller vers de petites banques régionales et sectorielles qui permettent à des entrepreneurs de se mettre ensemble et de réunir le capital social pour créer un établissement bancaire.

Article précédentTebboune met fin aux fonctions du ministre du Travail
Article suivantAffaire Moncef Ait Kaci: la Justice donne des explications

Laisser un commentaire