Théâtre: plaidoyer à Djelfa pour les formes d’expression populaires dans l’espace ouvert

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Théâtre: plaidoyer à Djelfa pour les formes d'expression populaires dans l'espace ouvert
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Les chercheurs et universitaires présents à Djelfa, au deuxième jour du séminaire sur “Le théâtre et les formes des spectacles populaires en Algérie à travers les écrits des explorateurs arabes et européens”, plaident pour donner plus d’importance aux études sur les expressions artistiques populaires algériennes. 


Mardi 23 mai 2023, Abdelnacer Khellaf, directeur du Théâtre régional Ahmed Benbouzid de Djelfa (TRD) et organisateur du séminaire, a évoqué le manque de recherches en Algérie sur les récits de voyage, les spectacles populaires et le parathéâtre. “Aujourd’hui en Europe, dans le théâtre post dramatique, on revient à ces formes d’expression. Les Occidentaux écrivent l’histoire du théâtre pratiqué dans les salles. Même en Algérie, on a repris cette habitude et on oublie le théâtre existant dans l’espace ouvert. Il y a eu des tentatives d’effacement de ces pratiques”, a-t-il relevé.


Le séminaire de Djelfa va, selon lui, ouvrir la voie à d’autres débats et d’autres recherches sur les cultures populaires, les récits de voyage et le théâtre. Idée partagée par l’universitaire Khamsa Alloui qui a estimé que le séminaire de Djelfa va instituer un débat et “tracer une nouvelle voie pour la recherche sur le rapport entre le théâtre, la forja populaire et  le récit de voyage”.  


Abdelhamid Allaoui, professeur d’université et coordinateur du séminaire, a souligné, pour sa part, que les récits de voyages des européens ont mal retransmis les formes de spectacles populaires. “Des récits bourrés de stéréotypes et écrits avec beaucoup de condescendance. Le moment est venu de rectifier certaines choses et de parler de notre héritage artistique populaire à notre manière, avec nos propres mots et avec un regard critique”, a-t-il plaidé.


La fête des vautours

L’universitaire Abdesselam Yekhlef a, à l’appui d’un diaporama, évoqué un ancien rite qui existait à Constantine, “Zardat ennoussour” (la fête des vautours).  “Il en reste quelques bribes dans des familles dont les membres ont la peau noire. On parle de diour (maisons). Dar Bahri, Dar Haoussa, Dar Barno, etc. Ce patrimoine a disparu avant le début de la première guerre mondiale”, a-t-il noté.


“La centralité européenne a donné naissance à des connaissances desquelles nous sommes exclus. Les études produites par les universités ne donnent pas d’importance à nos cultures populaires. Nos expressions parathéâtrales sont inexistantes dans leurs recherches. Nous devons présenter ces héritages à l’autre. Ils ne connaissent presque rien de nous, mis à part ce qu’ils ont lu dans des livres comme données superficielles”, a a relevé Abdesselam Yekhlef  qui a étudié à Londres.


Selon lui, “Zardat Ennoussour” était un rite paein assimilé par la société après l’avènement de l’islam . “Le français Louis Régis  a écrit avec beaucoup de mépris sur ce rite présentant ses pratiquants comme des personnes moches et repoussantes. Il a osé parlé “d’odeurs de boucs” en évoquant ces personnes”, a-t-il noté. Louis Régis a publié en 1880, “Constantine, voyage et séjours” où il évoquait certains rites populaires avec son regard d’européen.


Selon l’universitaire, il n’y a presque rien sur ce rite mis part un dessin fait par un français (M. Pouilli en 1890).
“Le rite est lié à la légende de Sidi M’Cid qui aurait été un homme saint noir de peau ayant promis, après sa mort, de mobiliser les vautours pour aider les gens dans le besoin. Chaque mois de septembre, “Zardat ennoussour” est célébré avec le sacrifice de moutons et de brebis, livrés ensuite aux vautours pour se nourrir et se calmer. Les présents à ce rite sont invités à un repas copieux avec des plats à base de viande. Les femmes viennent au rituel bien habillées portant des bijoux. Elles allument des bougies alors que les gens se rassemblent autour d’un homme pieux qui récite des prières”, a détaillé Abdesselam Yekhlef.


L’humour mature des Goual

Abdelhamid Khetala, enseignant de critique théâtrale à l’université de Khenchela, est revenu, pour sa part, sur la Halqa et la forja (spectacle). “La Halqa figure parmi les expressions artistiques populaires qui ont imposé leur trame de spectacle destiné à un large public “, a-t-il dit.


Il s’est interrogé s’il y avait un rapport entre la Halqa et le Goual et si l’espace, généralement ouvert, imposait le choix de l’expression théâtrale et l’identité du texte. “Le goual dans les marchés populaires représente-t-il une forme de spectacle ? Ou s’agit-il juste d’une forme pour narrer des contes ? Il est connu que dans la culture arabe, l’oralité dépasse le visuel. Dans les marchés, on constate la présence de la narration et de l’exécution d’un jeu en même temps”, a constaté Abdelhamid Khetala.


Il a rappelé que les goual, qui choisissent bien les lieux de leurs spectacles, ont leurs propres habits comme le burnous ou la kachabia. “Les gouals recourent aux chants, à la musique, à base de bendir et de gasba, aux louanges à Dieu, etc. Ils mettent en rythme leur jeu pour attirer l’attention du public qui est dans l’espace ouvert. Il y a des goual qui utilisent l’humour. Un humour souvent mature, bien étudié, avec un sens profond. Il ne s’agit pas de divertir ou de faire rire uniquement”, a relevé l’universitaire.


Il a appelé à revoir le champ lexical pour bien définir ce genre de spectacle populaire et ne pas s’appuyer sur le référent occidental de la critique théâtrale. “Encore une fois, le goual n’est pas conteur mais un véritable interprète d’un spectacle”, a-t-il appuyé.


“La halqa a été le précurseur du théâtre de rue “

La thématique des formes de la forja populaire à Djelfa a été abordée par Meriem Brahmi, enseignante de communication à l’université d’Alger et chercheuse en patrimoine. Elle a cité la française Arlette Roth, auteur du livre “Le théâtre algérien de langue dialectale 1926-1954”,  qui a évoqué certaines formes d’expressions théâtrales populaires.


Selon elle, le hakawati, le goual et le meddah existent dans les pays arabes sous plusieurs formes. “La forja, à la base, contribue au divertissement du public. C’est d’abord un spectacle  populaire qui peut contenir des sujets politiques, sociaux ou idéologiques. Des spectacles nourris de croyances et de mythes. La halqa a été le précurseur de ce qu’on appelle aujourd’hui, le théâtre de rue. Un théâtre qui existe dans notre culture mais qui n’avait pas adopté les normes modernes d’un spectacle artistique. A Djelfa, et selon certains témoignages, la halqa existe depuis les années 1960. Cheikh Smaida, conteur et poète, est l’un des pionniers à pratiquer cet art ici. Il était accompagné de Cheikh Guendouz. Il y a aussi Amar El Qiyat qui s’exprimait avec des gestes acrobatiques et jouait de la flûte”, “, a-t-elle détaillé


Elle a parlé aussi de la W’aada ou Ta’âm à Laâbaziz dans la région d’El Charef (50 km de Djelfa). “C’est un rituel accompagné de repas collectifs, d’habits traditionnels, de fantasia…C’est une forme de spectacle visuel coloré qui appelle à l’harmonie entre l’homme et la nature”, a-t-elle souligné.


La halqa dans la rahba des vieux quartiers à Laghouat

Boumediène Kâabouch, enseignant en Histoire à l’université de Laghouat, a estimé que les expressions culturelles populaires ont été marginalisées après l’indépendance de l’Algérie par “un pouvoir qui y voyait des formes de discours réactionnaire”. “La région de Laghouat, qui a subi beaucoup d’influences culturelles de l’Est et de l’Ouest, est connue surtout par les contes et poèmes populaires existant dans chaque tribu ou archs. Les contes transmettent des valeurs et entretiennent la mémoire des groupes sociaux”, a-t-il souligné.


Et d’ajouter :   “Il y a aussi la halqa présente dans les lieux de regroupement des gens comme la rahba des vieux quartiers ou le marché. Même les marchands ambulants contribuaient à “la composition” de spectacles populaires en ramenant des choses exotiques de leurs déplacements”, a-t-il noté.


Le vieux lion d’Alger


Djamila Mustapha Zegaï, enseignante universitaire, chercheuse et critique, s’est intéressée, de son côté, à un ouvrage du français Hugues Leroux, spécialiste de récits de voyage (Algérie, Maroc, Mali, Tchad, etc), “Marins et soldats”, paru en 1892.


Dans un texte “Le marabout”, l’auteur français a rapporté un rituel, célébré chaque année au Square Port Saïd, à Alger, avec la présence d’un vieux lion, enchaîné et vénéré par la population comme “un saint”. Le rituel est accompagné de danses, de musique et de jeu de karkabou. Pour la conférencière, il s’agit d’une forme de parathéâtre. “L’auteur français évoquait un spectacle primitif fait par des indigènes”, a-t-elle relevé.


Elle a salué le fait de rapprocher les récits du voyage et les fables du théâtre, à travers le séminaire de Djelfa. Comme elle a essayé de trouver un rapport entre le rituel de Ayred, célébré à Beni Snouss (Tlemcen) et à Batna, et le rite d’Alger. “Les formes s’expriment dans la rue. S’agit-il d’une halqa? D’un jeu de cirque? Dans les deux cas, il y a une présence du lion. D’un lion vivant. Ou s’agit-il encore des premières expressions réelles de l’art théâtral ?”, s’est-elle interrogée.


Elle a rappelé que le rituel de Ayred de Beni Snouss est annoncé le jour, célébré la nuit pendant trois jours le mois de janvier de chaque année. Le rituel d’Alger était, selon elle, célébré en été, la saison des moissons.  

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