Sonatrach veut préserver ses parts de marché
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Tewfik Hasni est expert en transition énergétique et membre fondateur de l’Association des ingénieurs diplômés de l’Institut algérien du pétrole (AIED-IAP). Il revient sur les derniers accords gaziers signés par Sonatrach avec l’italien ENI. Il plaide pour l’exploitation du hélium, un gaz noble, et pour une véritable transition énergétique.

24H Algérie: Sonatrach vient d’annoncer la signature d’accords gaziers avec l’italien ENI, après avoir renouvelé un accord avec le français Total sur le GNL. Peut-on parler d’un retour sur la scène internationale?

Tewfuk Hasni : Le retour sur la scène internationale, vous ne pouvez l’obtenir que par votre position dans l’OPEP. C’est elle qui peut redonner un poids à toutes les compagnies nationales d’hydrocarbures. La conjoncture est loin d’être favorable à cela. La priorité pour Sonatrach est, à mon avis, de maintenir ses parts de marché dans le pétrole et, surtout, dans le gaz. Les positions de repli opéré par les autres pays consistent aujourd’hui à voir comment réduire les coûts et des coûts qui peuvent assurer un minimum de rentabilité. Aujourd’hui, on assiste à des ventes de quantités de gaz à des prix négatifs.

Avec ENI, Sonatrach va commercialiser le gaz sec produit dans trois périmètres dans la région de Hassi Messaoud

Il s’agit de gisements où les partenaires sont concernés. Si vous mettez en exploitation ces gisements, il faut bien vendre la production. Ce n’est pas évident que vous ayez un marché. Ceux tenus d’acheter sont ceux qui sont partenaires avec vous. Il faut dire que ce n’est cela qui va être une solution à tous les débouchés du gaz algérien demain. La concurrence est tellement forte qu’il faut baisser pavillon pendant encore quelque temps et espérer de meilleurs jours avec la reprise économique mondiale.

Même si la conjoncture est défavorable, ce type d’accords est-il positif pour Sonatrach?

Tout accord ne peut être que positif surtout dans une conjoncture où il existe des problèmes. Maintenant, quel sera le prix du gaz qui va être cédé, on ne le sait pas. Quand on saura le prix retenu dans les accords, on pourra se prononcer et dire que c’est positif ou pas. On n’a pas tous les détails des accords pour l’instant.

Dans pareilles conjonctures et avec toutes ces contraintes, quelle serait la meilleure stratégie pour Sonatrach pour se redéployer ?

Le meilleur stratégie est de se positionner comme un marché total, un marché énergétique global qui intègre l’électricité. Nous connaissons les limites de nos réserves de pétrole et de gaz. Vous ne pouvez pas faire des investissements pour une dizaine d’années. Aujourd’hui, il faut résolument aller vers la transition énergétique. Cette transition est un élément du développement durable. Vous n’aurez aucun financement si vous ne vous inscrivez pas dans le développement durable demain. Même si vous cherchez à développer le pétrole et le gaz, vous n’aurez pas d’argent. Autant faire comme les autres sociétés alors.

C’est à dire ?

Améliorer l’efficacité de l’exploitation de vos gisements, optimisez ce que vous avez. Pour le pétrole, l’Algérie a le champs de Hassi Messaoud qui a encore de beaux jours devant lui. C’est le seul champs qui peut être compétitif en terme de coûts d’exploitation. Avec un pétrole à 30 ou 40 dollars, certains gisements ne seront plus rentables. Avant, il fallait dix ans pour aller vers un nouveau gisement. Est-il possible aujourd’hui d’attendre dix ans pour pouvoir espérer un retour? Non. Il y a dix ans, Sonatrach était forte. Ce n’est plus le cas. Vous constatez ailleurs que BP, ExxonMobil et les autres sont en train de s’écrouler, de se retirer car ils n’ont plus d’argent pour investir. ExxonMobil a emprunté depuis août 2019, 30 milliards de dollars. Le firme a été forcée d’enlever de ses actifs, 9 milliards de dollars. Qui va alors venir investir ?

Certains experts disent qu’il faut investir dans les anciens gisements. Qu’en pensez-vous ?

C’est justement ce qu’on doit faire. On doit s’occuper de Hassi Messaoud pour le pétrole et surtout préserver notre richesse, le champs de Hassi Rmel pour le gaz et pour le Helium. Le hélium est une richesse que nous méconnaissons. Hassi Rmel est un des premiers réservoirs mondiaux d’hélium. Cette ressource deviendra très rare dans le monde. Il ne s’agit pas de la brûler dans les torches ou de la consommer localement. A mon avis, il faut envoyer tout le gaz de Hassi Rmel à la liquéfaction. Au niveau des unités de liquéfaction, l’hélium peut être récupéré. Hassi Rmel, c’est aussi du condensat qui disparaît lors que vous ne faites plus de réinjection. Donc, le fait de réduire dans les soutirages de Hassi Rmel pour la liquéfaction permettra de conserver ce champs plus longtemps.

Il y a aussi d’autres gisements

Oui, comme ceux qui sont à la frontière libyenne qui peuvent nous donner encore beaucoup de gaz. Il faut les récupérer. Nous sommes déjà en Libye pour la prospection. Il y a de forte chance d’y trouver du gaz. A ce moment là, la rémunération de la prestation sera le gaz. De cette manière, vous réglez vos problèmes en satisfaisant les autres marchés. Maintenant, il faut réduire le gaspillage du gaz notamment dans la production de l’électricité par Sonelgaz.

De quelle manière ?

En passant aux énergies renouvelables. En transférant la génération électrique dans des centrales solaire-thermiques, photovoltaïques et gaz torchés pour satisfaire nos besoins en électricité et ceux de l’Europe, du Maghreb et du Sahel. Nous sommes en train d’occulter cette capacité qui représente 40.000 millions de tonnes de pétrole par an sachant que le pétrole aujourd’hui est de 50 millions de tonnes et le gaz de 80 millions de tonnes. Y a pas photo ! Cela permettra d’économiser 30 milliards de mètres cubes par an de gaz et d’être compétitif avec les coûts actuels de Sonelgaz qui sont de 12 dinars le Kwh. Avec ces nouveaux procédés, on va descendre à 8 le Kwh. Cela veut dire que vous allez arrêter de subventionner le gaz et gagner annuellement presque 10 milliards de dollars.

Faut-il repenser tout le modèle énergétique algérien?

Il faut aller vers un nouveau modèle de consommation. Nous avons fait des propositions en ce sens mais personne n’a voulu suivre parce que cela aurait révélé toutes les lacunes constatées aujourd’hui dans le secteur.

Une priorité pour le nouveau ministère de la Transition énergétique?

Absolument. C’est la première fois où une volonté politique est exprimée en faveur des énergies renouvelables. Par le passé, plusieurs lois n’ont pas été respectées. Le ministère algérien de la Transition énergétique est le seul dans la région MENA. C’est un bon signal pour le développement durable qui va permettre d’accéder à des financements internationaux.

A un moment donné, on avait parlé de la possibilité de relancer le projet Desertec.

La projet Desertec n’existe pratiquement plus. Desertec a été bloqué par le lobby nucléaire en Europe qui ne voulait de l’électricité qui venait d’un autre pays. Avec le temps, le projet est devenu une coquille vide. Nous avons notre propre programme. Nous en discutons dans le cadre du 5+5 (dialogue entre les pays des deux rives de la Méditerranée). Notre programme est plus équilibré de ce que proposait Desertec. Actuellement, l’Algérie a son mot à dire sur cette question. Nous sommes à l’aune d’un nouveau monde, un monde totalement différent. Donc, la priorité est d’aller vers le développement durable. La sécurité énergétique n’en est qu’un élément, un pilier. Les deux autres sont la sécurité sanitaire et la sécurité alimentaire. Il faut avoir une vision globale.

Le gaz de schiste a-t-il une place dans ce futur énergétique de l’Algérie?

Tout le monde parle de la fin du gaz de schiste américain. La plus grosse société qui le produisait a fait faillite. Avant tout, le schiste est une bulle américaine, cela ne peut pas être reproduit ailleurs parce que le coût est très élevé. Quelle était la plus grande menace pour le gaz américain? C’était les énergies renouvelables. Les lobbys pétroliers dépensait 200 milliards de dollars pour combattre le développement de ces énergies. Tant que ces énergies étaient chères, on laissait faire. Mais lorsque le coût de la génération électrique, à partir des énergies renouvelables, est devenu moins cher que le gaz et que le nucléaire, les choses ont changé. Cela a tout remis en cause. Ceci explique que pour rester encore sur le marché, on va aller à des prix négatifs du gaz. Si vous êtres à des prix négatifs du gaz, comment pouvez justifier qu’on développe le gaz de schiste en Algérie à un coût élévé. La rentabilisation ne sera pas là. Je ne combats le gaz de schiste, mais je dis qu’on va y aller demain peut être lorsqu’on n’aura pas d’autres moyens pour assurer notre sécurité énergétique par d’autres moyens. Quand vous avez un potentiel de 40.000 millions de tonnes en solaire thermique, votre sécurité énergétique est assurée. On n’a pas besoin d’aller gaspiller l’argent ailleurs et développer une ressource plus chère que le prix du marché.

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