Taha El Amiri, comédien  : « Mahieddine Bachtarzi était notre père spirituel »

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Taha El Amiri, comédien  :
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Taha El Amiri, doyen des comédiens algériens, a été honoré par le 15ème Festival national du théâtre professionnel d’Alger (FNTP) qui s’est déroulé du 23 décembre 2022 au 1 janvier 2023.


Taha El Amiri, qui n’accorde presque pas d’interviews, a livré un témoignage précieux lors d’un débat sur la troupe artistique du FLN, créée le 18 avril 1958 et dirigée par Mustapha Kateb. Il est revenu sur ses débuts au théâtre durant les années 1940 et son travail avec Mahieddine Bachtarzi et Mustapha Kateb à l’Opéra d’Alger, actuel Théâtre national algérien (TNA).

A l’époque, des spectacles étaient assurés chaque vendredi. « Pour moi, les pères du théâtre algérien sont Rachid Ksentini, pour sa connaissance artistique, Allalou (Ali Sellali de son vrai nom), qui écrivait des pièces de théâtre, la première étant « Djeha », et Mahieddine Bachtarzi. Avec le temps, Allalou s’est retiré de la vie artistique (à partir de 1932). En 1947, nous présentions chaque semaine des pièces de théâtre. C’était un rythme infernal. Nous n’avions que cinq jours de répétitions. Nous présentions des pièces, pas des sketchs », s’est rappelé Taha El Amiri, lors d’un débat à l’espace M’Hamed Benguettaf au TNA.


Selon lui, les spectacles de théâtre étaient accompagnés de concerts de musique dans le but d’attirer le public vers les salles.


« On nous traitait de « Aajajbia » pour se moquer de nous »


« C’était une idée de Mahieddine Bachtarzi pour que le public s’habitue aux représentations théâtrales. Nous étions opposés à cette idée en tant que comédiens. Après, on s’est rendu compte que Bachtarzi avait raison.

La saison théâtrale durait huit mois, d’octobre à mai. Le reste de l’année nous restions au chômage forcé. A l’époque, on nous traitait de « Aajajbia » عجاجبية (les amuseurs de foules) pour se moquer de nous. On considérait comme honteux que les femmes fassent des activités artistiques. Mon propre père n’a pas accepté le fait d’avoir un contrat avec Mahieddine Bachtarzi pour faire du théâtre. Il était hors de lui lorsqu’il avait appris la nouvelle et trouvait que je souillais la réputation de la famille. J’étais obligé alors de changer mon nom et de prendre le nom de scène, Taha El Amiri au lieu d’Abderrahmane Bastandji, », a-t-il confié.


Selon lui, plusieurs artistes étaient obligés à l’époque de prendre des pseudonymes en raison du refus de leurs familles et du regard méprisant de la société.


« Les français avaient ouvert la salle Bordes pour suggérer que l’Algérie était en fête »

« En 1949, le MTLD (Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques)  avait pris la municipalité d’Alger et avait chargé Mohamed Farah pour former une troupe artistique. Beaucoup de comédiens avaient rejoint cette troupe qui n’a vécu qu’une année. A l’époque, nous avions joué la pièce « Montserrat » en présence de son auteur Emmanuel Roblès (pièce écrite en 1948). Nous avons joué aussi la pièce « Salah eddine El Ayoubi », rôle incarné par Abderrahmane Aziz. Nous ne pouvions pas assurer le rythme d’une pièce par semaine », a-t-il dit.


Et d’ajouter : « Mahieddine Bachtarzi était notre père spirituel. Sans lui, il n’y aurait pas eu de troupes artistiques algériennes. Il nous payait à partir des entrées des spectacles. Il avait une petite subvention. Il payait tous les comédiens qui travaillaient avec lui, ne laissait personne de côté. J’étais avec Allal El Mohib, Abdelhalim Raïs et Mustapha Kazdarli. Chaque année, nous partions en France pour un stage de formation d’un mois en jouant et en contribuant à la mise en scène de pièces telles que « Hamlet », ‘Ubu roi », « Les Fourberies de Scapin » et autres ».


Taha El Amiri a rappelé qu’en 1956, le FLN avait décidé d’annuler toutes les activités artistiques en Algérie en raison de la guerre. « Mahieddine Bachtarzi arrêtait tous ses travaux et partait en France. Les français avaient ouvert la salle Pierre Bordes pour suggérer que l’Algérie était toujours en fête et que les combattants du FLN n’étaient que des fellaghas. Ils cherchaient à faire oublier ce qui se passait en Algérie en cette période « , s’est souvenu Taha El Amiri.


« A Tunis, nous n’avions pas de pièces théâtrales prêtes »

La salle des arts Pierre Bordes (actuelle Ibn Khaldoun) avait été ouverte par le gouverneur général d’Alger au début des années 1930 et relancée au milieu des années 1950. En France pour un stage, Taha El Amiri avait appris, en 1957, qu’il était recherché par la police française en Algérie.


 « Je suis alors parti en Suisse. C’est là où j’étais contacté par Mustapha Kateb. A l’époque, il était chargé de constituer la troupe artistique du FLN. Il m’avait demandé de rejoindre Tunis où la troupe devait être formée. Nous avons habité dans une villa où dormions sur des lits de camp. Il faut dire que, sans citer de noms, des artistes n’ont jamais rejoint la troupe artistique du FLN par peur. C’est courageux de dire j’ai peur. Habib Réda avait des responsabilités régionales du FLN à Alger. Il ne pouvait pas quitter ses missions alors que Hassan El Hassani était dans un camp (camps de regroupement créés par l’armée coloniales françaises pour tenter de couper les villageois du FLN) », a détaillé Taha El Amiri.


Il est revenu sur l’organisation de la troupe artistique du FLN dans la capitale tunisienne et la création d’une commission constituée, entre autres, de Mustapha Kateb, d’Ahmed Wahbi d’Abdelhalim Raïs, Hacène Chafaï et de Taha El Amiri.


« Abdelhalim Raïs est l’auteur de la Révolution »

« J’étais régisseur général.  A Tunis, nous n’avions pas de pièces théâtrales prêtes, mise à part « Nahwa ennour » (vers la lumière). Une pièce qui raconte l’histoire d’un jeune combattant qui après avoir subi la torture voyait sa mère dans un rêve lui rappelant de beaux souvenirs. Dans cette pièce, nous étions polyvalents, comédiens, danseurs, chanteurs avec des genres musicaux.

« Nahwa ennour » a été jouée en Tunisie, en Libye, en Yougoslavie, en Chine et en URSS. Abdelhalim Raïs écrivait, au fur et à mesure, des pièces, la première fut « Abn’a el kasaba » (Les enfants de la Casbah) qui évoquait la lutte armée au sein des villes. La pièce a eu un immense succès en Tunisie, la représentation fut suivie de youyous et d’applaudissements. La pièce a été ensuite présentée au Maroc et en Libye », s’est souvenu Taha El Amiri.


Il a rappelé que Abdelhalim Raïs avait écrit d’autres pièces comme « Al Khalidoun » (les éternels) et « Dam al ahrar » (le sang des libres). « Il s’agit d’une trilogie sur la Révolution. Les trois pièces se déroulaient dans trois endroits différents : ville, côte et maquis. On peut dire que Abdelhalim Raïs est l’auteur de la Révolution. Il avait sauvé la troupe du FLN parce qu’elle n’avait pas d’auteur », a souligné Taha El Amiri.   

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