Sofiane Djillali : «Ceux qui prônent la démocratie sont ceux qui ont donné naissance à une fachosphère»

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Sofiane Djillali : «Ceux qui prônent la démocratie sont ceux qui ont donné naissance à une fachosphère»
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La campagne pour le référendum sur la révision constitutionnelle du 1er novembre 2020 se poursuit pour la deuxième semaine. Bien que favorable au nouveau texte, Jil Jadid en critique certains aspects et souhaite que les Algériens se prononcent sur son contenu en pesant ses côtés positifs et négatifs. Dans cet entretien à 24H Algérie, Sofiane Djilali, président de ce parti parle du hirak, du texte de la constitution, de l’opposition, des médias verrouillés…et de la fachosphère!

24H Algérie: Le projet de révision constitutionnelle sera soumis à un référendum populaire le 1er novembre 2020. Est-ce que ce projet porte des réponses à des demandes relatives au changement politique en Algérie?

Sofiane Djilali: Le 22 février 2019, les algériens étaient sortis pour tourner la page de l’ancien régime, celui de Bouteflika. Il fallait donc prendre une décision symbolique qui, en même temps, permet de passer à une autre étape. La Constitution est une étape importante pour donner un signe que le pouvoir est conscient de l’existence d’une crise de confiance dans le pays et de l’importance de construire un nouveau système politique où tout le monde peut participer dans un climat de liberté. Dans le texte, il existe des dispositions qui préparent la base d’une action politique future. Je peux citer les facilités accordées à la création des associations avec le système déclaratif au lieu de l’agrément. L’administration n’a plus la possibilité de bloquer la création des partis. Si le dossier est conforme à la loi, l’agrément est accordé. Les réunions publiques des partis se tiendront aussi sur simple déclaration. Pas besoin d’une autorisation de la wilaya.

Dans le projet, il y a un retour à la limitation des mandats présidentiels. Quelles garanties existe-t-il pour que cette disposition ne soit plus remise en cause ?

Des dispositions finales interdisent tout amendement par la voie parlementaire de certains articles comme ceux relatifs à l’identité, à tamazight, à l’islam, à l’équilibre du pouvoir. Il existe une partie qui traite des équilibres du pouvoir. Et là, on constate qu’il y a une forme de timidité. Il n’y a pas de propositions audacieuses à part la désignation d’un Premier ministre en cas d’une majorité présidentielle ou d’un chef du gouvernement (en cas de majorité parlementaire qui n’est pas celle du président de la République) avec de larges prérogatives. Il a le droit d’avoir un programme politique appartenant à la majorité parlementaire. C’est un entrebâillement pour une future coalition (opposition- pouvoir). A part cela, le pouvoir exécutif reste fort. Qu’est-ce qui contrebalance cette concentration de pouvoir ? En partie, c’est l’Assemblée nationale avec le renforcement de sa capacité de contrôler le gouvernement mais, comme mécanisme à moyen terme, c’est la limitation de mandats présidentiels qui permet cela.

Comment?

A partir du moment où un président de la République sait qu’il ne peut pas passer au-delà de deux mandats, il évitera de s’impliquer dans des affaires de corruption, n’aura pas le temps de s’enraciner pour placer ses proches ou ses amis. Deux mandats sont une garantie pour une possible alternance. L’Algérie est le seul pays arabe à avoir cette disposition constitutionnelle. Il y a ceux qui regrettent qu’on n’ait pas choisi un système parlementaire et qu’on soit resté dans le système semi présidentiel. L’Algérie a besoin d’un État central assez fort. Le parlementarisme dans la phase actuelle deviendra paralysant compte tenu du niveau de la classe politique telle qu’elle a pratiqué la politique (…) Le Liban et la Tunisie, qui ont adopté le système parlementaire, sont embourbés dans des difficultés. Je comprends bien que les algériens soient fatigués d’avoir un pouvoir oppressif et qui manipule comme il veut les moyens de l’État, mais il ne faut pas croire qu’un État faible va produire la démocratie. Si on introduit des mécanismes qui neutralisent les institutions entre elles, la démocratie deviendra un outil contre productif qui empêcherait la prise de décision. Or, l’Algérie a besoin de décisions fortes qui peuvent ne pas plaire à tel ou tel, des partis, des courants, y compris des gens à l’intérieur du pouvoir…Donc, un président fort doit pouvoir mener des réformes fortes.

Cet hyperprésident est-il lui-même une phase transitoire?

La prochaine Constitution, est une constitution d’étape qui s’adapte au climat politique actuel, donnera les moyens légaux pour dépasser des crispations à l’intérieur et à l’extérieur du pouvoir mais, à terme, dans cinq à dix ans, il faudra rouvrir un débat sur un meilleur rééquilibrage des pouvoirs avec un renforcement des prérogatives du Parlement, une plus grande autonomisation de la justice et un rééquilibrage entre le chef de l’État et le chef du gouvernement. Le chef de l’État devrait s’investir sur les questions de souveraineté et non pas de la gestion du quotidien. Notre position est médiane. Il s’agit d’expliquer le plus objectivement possible la révision constitutionnelle et d’interpeller la conscience des citoyens pour qu’ils s’impliquent eux même, fassent le choix sur une base objective. Le chapitre où il y a eu des changements significatifs est celui relatif aux libertés individuelles et collectives, difficile de le nier. Il y a aussi des garanties pour la libre expression.

Plusieurs chapitres sont consacrés à la société civile dans le projet de révision constitutionnelle. Comment expliquez-vous l’importance donnée à la société civile?

Un pas positif. Cela ouvrira la porte à plus de liberté. La société civile et les jeunes auront un espace pour activer. Depuis plus de vingt ans, la classe politique était réduite à quelques partis liés au pouvoir. Cela concerne aussi l’opposition qui jouait le jeu du pouvoir et qui bénéficiait de quotas de sièges dans les assemblées élues. Aujourd’hui, nous avons un désert sur la scène politique. Il n’existe pas un réelle source d’où peut émaner une nouvelle classe politique. Ce renouvellement aura lieu après plusieurs années grâce à cette ouverture sur la société civile. Après le référendum, nous irons vers des élections législatives et locales. Beaucoup parmi les militants du hirak auront donc l’occasion de s’engager politiquement et d’entrer dans les institutions nationales et locales pour les restituer au peuple.

Est-ce que le projet de révision constitutionnelle répond aux demandes du hirak?

Il y a une réponse dans le chapitre consacré aux droits et libertés. Maintenant pour la pratique du pouvoir, le système algérien est centralisé. L’État est fort par ce centralisme et le président de la République a de larges prérogatives. Cela est quelque peu freiné par la limitation des mandats présidentiels. Il y a aussi une limitation des mandats pour les parlementaires à deux. Cela va contribuer à renouveler la classe politique. Mais, nous ressentons une certaine hésitation de la part de l’État. Nous nous attendions à plus concernant l’indépendance de la justice, l’équilibre entre la présidence de la République et le gouvernement et d’autres aspects (…) Les demandes de construction de la démocratie et de l’État de droit sont formulées aujourd’hui par les jeunes. Il faut donner l’occasion à tous de s’impliquer dans le travail politique. Étape par étape, la classe politique peut réviser les mécanismes de gestion du pays d’une manière plus démocratique. Le plus important aujourd’hui est que le pays reste stable, que les libertés soient garanties et que les jeunes s’engagent dans l’action politique.

Est-ce que le projet de révision constitutionnelle marque une rupture avec le régime d’Abdelaziz Bouteflika ?

Symboliquement, il y a une rupture. Reste à constater la réalité du changement lorsque la Constitution sera appliquée sur le terrain. Si les Algériens votent pour le projet, il va falloir traduire les principes contenus dans la nouvelle Constitution. En tant que militants de la démocratie, nous préférons avoir une Constitution solide et des principes qui appuient nos revendications pour qu’on puisse se défendre face à l’administration et les tribunaux. Il est impensable d’exiger d’avoir un régime démocratique comme préalable avant de mener la bataille politique. Il faut tracer des objectifs qui donneront un sens à l’action militante. Cela ne viendra pas par une décision, mais par des transformations sociales, par un changement de mentalités…Le projet de nouvelle Constitution fournitdes éléments importants dont les effets vont apparaître dans cinq ans à peu près. A partir du moment où vous ouvrez l’espace à l’organisation d’une société civile puissante, elle va donner naissance à des figures nouvelles qui rentreront dans le cycle politique.

Allez-vous demander à voter Oui au référendum ?

Notre choix à Jil Jadid est dès le départ d’expliquer à l’opinion publique les nouvelles dispositions introduites dans le projet de révision constitutionnelle. Nous évoquons autant les aspects positifs que négatifs dans le texte. L’algérien ne doit plus attendre que les autres agissent pour lui. Il doit passer à l’action en tant que citoyen. Le signal fort du 22 février 2019 était que la société et le citoyen sont responsables de leur choix. J’appelle donc à la responsabilité du citoyen pour qu’il fasse ses choix. La décision leur revient. Jil Jadid est un parti d’opposition qui a accepté le dialogue avec le pouvoir. Nous ne sommes pas un comité de soutien et nous n’avons pas prêté allégeance au pouvoir. Notre parti veut faire de la politique en toute responsabilité et avec sérieux. Tant que le citoyen ne fait pas confiance à la classe politique, il est impossible de construire l’État de droit.

Les partis du Pacte pour l’alternative démocratique (PAD) refusent le projet de révision constitutionnelle disant que le projet de révision constitutionnelle ne répond pas aux demandes de changement dans le pays. Qu’en pensez-vous ?

Ces partis ont le droit de défendre leur position politique. Jil Jadid est sorti dans la rue avant le hirak. Le hirak a été un mouvement populaire exceptionnel qui a rassemblé les algériens de toutes obédiences, de l’extrême droite à l’extrême gauche. Personne ne peut s’octroyer la position de porte-voix du hirak. A l’intérieur du hirak, il y avait des voix qui pouvaient exiger en toute bonne foi l’application de la Chari’a, d’autres la laïcité absolue. Il y a avait des mouvements féministes, conservateurs, etc. Se positionner comme reflétant l’exacte demande du hirak est fort de café. Chacun devra reprendre sa vraie dimension. C’est pour cela qu’il existe des partis politiques dans une démocratie. Le mouvement populaire était un moment dans l’Histoire avec une convergence des idées comme le refus du 5ème mandat (pour Bouteflika), le changement du régime politique et l’exigence d’ouverture. Cela était partagé par tous. Après, à chacun de défendre ses positions dans son parti ou en créer un autre s’il n’en pas. Il faut aller ensuite affronter le corps électoral. Aux électeurs de déterminer le programme qui doit être appliqué et la direction à prendre. Il est exagéré de sacraliser le hirak dans l’absolu et de s’approprier les slogans, qui ne sont qu’une partie des autres slogans, pour en faire une projection et dire que le projet de révision constitutionnelle ou les autres partis ne répondent pas à la volonté populaire. Il y a parfois une exploitation éhontée du hirak. Certains se positionnent comme des porte-paroles du hirak, c’est inadmissible. Beaucoup d’acteurs se sont projetés sur les médias comme les parrains du hirak

Vous pensez à qui?

Il n’est pas utile de donner des noms. Ils sont nombreux. Beaucoup d’entre eux ont chevauché une vague. Il faut revenir en arrière, jusqu’à 2014. On avait vu une complicité totale avec le régime, on fermait les yeux, on ne disait pas les choses parce que cela pouvait attirer des soucis, on voulait profiter des petites avantages…Du coup, lorsque le hirak est apparu, beaucoup ont senti les ailes pousser et ont eu l’impression que les jeux étaient faits, que le pouvoir allait tomber. Ils pensaient ramasser cela au pied de la Tour de Pise. On ne peut jouer de la sécurité d’un État de cette façon là. A Jil Jadid, nous étions dans la rue lorsque certains nous reprochaient d’être excessifs et radicaux après avoir dit que nous refusions le 5ème mandat. Nous n’acceptions pas la complicité avec le régime et les quotas au Parlement. Nous avons boycotté les élections législatives et locales. Le moment venu, nous avons dit qu’il ne fallait pas déstabiliser l’État parce que dans le sillage de la chute du régime Bouteflika, on pouvait provoquer une fragilisation de l’État. Il y a des tentatives évidentes en ce sens. Nous le savons parce que nous avons côtoyé tous ceux qui se parent des oripeaux de l’opposition. Nous les connaissons bien, savons ce qu’ils veulent et ce qu’ils pensent. Nous connaissons leurs accointances et leurs connexions. Pas question pour nous de se faire utiliser par ces centres dont on connaît les intentions et qui font passer la chanson « le peuple dit, le peuple veut »…

Vous pensez que ceux qui parlent au nom du peuple ont des objectifs à atteindre qui ne sont pas ceux du hirak ?

Aucun doute. Le hirak est pluriel. Certains ont voulu le structurer pour en faire un parti unique ou une forme de Jamahiriya libyenne. Peut-on penser que les vingt millions de citoyens sortis dans les rues, en mars 2019, peuvent être structurés en un seul parti avec une seul tête pour le diriger? Ce n’est pas sérieux à moins de renier le pluripartisme, la pluralité du pays et la démocratie. Certains veulent transformer la Révolution du sourire en Révolution du rictus. On ne rentrera pas dans ce jeu là. Ils s’expriment dans les médias et dans les réseaux sociaux. Il appartient aux Algériens de savoir qui est qui…

Une partie de l’opposition a proposé la désignation d’une Assemblée constituante pour élaborer une nouvelle loi fondamentale. Quel est votre avis?

A Jil Jadid, nous avons évoqué un processus constituant. Dans l’état de la société algérienne, son évolution actuelle et les bouleversements qu’elle vit, aller vers l’élection d’une assemblée constituante et ouvrir le débat sur toutes les dimensions, constitue un risque. Donc, entre une Constitution imposée et une Assemblée constituante, nous avons proposé le processus constituant qui peut être managé par le pouvoir avec l’ouverture d’un véritable dialogue avec l’ensemble des courants politiques pour aboutir un consensus. Ceux qui tenaient à la Constituante n’ont pas voulu prendre en compte ce risque. Or, on l’a vu avec le brouillon de la Constitution, la partie consacrée aux éléments de l’identité a focalisé l’attention. Il y a d’un côté, ceux qui disent refuser que l’islam soit la religion de l’État mais ne défendent pas la constutionnalisation définitive de tamazight comme langue nationale et officielle. Et, de l’autre côté, d’autres utilisent l’officialisation de tamazight comme un repoussoir pour qu’ils puissent mobiliser leurs propres électorats. Et d’autres encore rejettent l’idée d’interdire « l’idéologisation » de l’éducation. Pour le courant islamiste conservateur, déidéologiser l’école signifie éloigner de l’islam. Donc, pour ce courant, l’islam n’est pas une religion mais une idéologie. En fait, ils refusent l’éloignement de l’islam politique de l’école et non pas l’islam. Il y a donc, un jeu d’idéologies en sous main pour que chacun essaie de casser le processus de transformation en cours. Un processus qui n’est pas parfait mais qui aura eu le mérite d’ouvrir une brèche dans un régime considéré comme fermé.

Après le référendum du 1 novembre, des élections législatives anticipées seront organisées. Allez-vous participer à ces élections ?

Si le projet de révision constitutionnelle passe, il va falloir de nouvelles institutions à commencer par l’APN. C’est en tous cas un engagement du président de la République. Avant, il faudra réviser la loi électorale. Une commission y travaille. Ce n’est pas le Parlement qui en a la charge. Le président de la République ne veut pas donner une légitimité à cette assemblée bien qu’il ne la dissolve pas parce qu’elle était nécessaire constitutionnellement au passage du projet de révision constitutionnelle. Les partis de l’ex Alliance présidentielle (RND, FLN, MPA, TAJ) ne sont plus en odeur de sainteté(…) j’imagine qu’on va aller vers une Assemblée mosaïque et plurielle sans qu’aucun parti n’ait la majorité. Le jeu devrait être plus ouvert. Nous allons participer si, encore une fois, la loi électorale donne des garanties à minima. On ne fait pas d’illusion, si le pouvoir veut passer en force, il le referait. Mais, il prendrait de grands risques. Le président actuel fait de grands efforts pour renouer le dialogue et un minimum de confiance avec la population. On ira vers un scrutin relativement propre. A l’évidence, il y a encore de l’argent sale qui circule, des centres de pression, des mafias locales, tout cela ne va disparaître immédiatement

Le FLN, le RND, le MPA et TAJ font campagne pour le projet de révision constitutionnelle. Veulent-ils revenir par la fenêtre?

Leur formatage est de soutenir celui qui est plus fort pour avoir quelques espaces. Ils savent qu’ils ne reviendront plus des partis majoritaires et qu’ils ne peuvent pas aller vers l’opposition. Ils essaient de garder un peu de leur capital. L’Algérie aura à gagner si les responsables du FLN comprennent bien que en tant que sigle le FLN doit revenir au peuple. S’ils ont les mains propres, ils n’ont qu’à aller créer un nouveau parti ou changer de sigle. Idem pour le RND. Nous entrons dans une nouvelle phase. On doit arrêter de trimballer les portraits du président de la République partout. On doit rompre avec cette mentalité, passer à autre chose, laisser de l’espace aux jeunes, aux universitaires, aux femmes d’investir les institutions. L’énergie née dans la hirak doit aller faire tourner la machine étatique, occuper les instances de l’État, les APC, les APW, l’APN, demain le gouvernement. Il faut arrêter de considérer que l’État ou le pouvoir est en soi quelque chose de mauvais. A force de faire de l’opposition pour l’opposition, on aura comme objectif de casser tout ce qui est pouvoir. Or, aucun pays ne peut fonctionner sans pouvoir, sans État. On traîne dans notre mémoire collective la confusion entre pouvoir beylek et État oppresseur qui remonte au XVI ème siècle avec la présence ottomane et la présence coloniale française. Il faut que les Algériens se réapproprient l’État et qui le ressentent comme l’émanation de la société. L’État est un outil pour protéger la société et la gérer dans les meilleures conditions possibles…

Certaines ONG de défense des droits de l’homme et des partis évoquent les pressions sur les médias et exigent la libération de détenus politiques…Quelle est votre position?

Oui, les médias sont encore fermés. Il n’y a pas encore vraiment de liberté qui s’exerce. Il faut comprendre aussi qu’une liberté doit s’exercer dans des règles. La liberté est un diamant qui a besoin d’écrin pour sa mise en valeur. Les règles sont simples. La liberté de chacun s’arrête là où commencent celles des autres. Il faut se respecter. Certains pensent que la liberté c’est de dire tout ce qui leur passe par la tête, détruire l’autre. Laisser cette pratique, c’est dangereux pour la démocratie et pour l’État de droit. Le risque est d’entrer dans des cycles conflictuels interminables. Il est donc important de mettre en place les règles du jeu qui soient réellement garantes de la véritable liberté d’expression. Les gens ont le droit de critiquer, de proposer, de s’opposer sans porter atteinte à la dignité de l’autre, de le salir. On est dans une phase où il y a encore beaucoup de passions. Certains ont vu à travers le hirak, une révolution mythique où ils allaient tout renverser.Déçus, ils considèrent ceux qui ne partagent pas cette façon de voir les choses comme des traîtres. Le pouvoir a aussi une responsabilité, doit montrer une certaine compréhension. Les citoyens ont explosé après avoir subi des pressions. Il faut donc tourner la page, aller vers l’apaisement.

Appelez-vous à libérer les détenus d’opinion ?

On n’a pas cessé de le faire. Avant les élections du 12 décembre 2019, on a dénoncé les arrestations de militants. J’ai rencontré le président de la République le 14 janvier 2020, m’étais fait l’avocat des détenus. Il y a eu plusieurs gestes après qui, malheureusement, n’ont pas été accueillis favorablement par ceux qui considéraient qu’ils pouvaient changer tout le pouvoir et qui refusaient toute légitimité au pouvoir. Donc, il y a eu un jeu d’aller-retour. Le pouvoir a fait une tentative de dialogue avant de se refermer, faisait des pressions avant de lâcher un peu. Jusqu’au mois de juin 2020, j’ai défendu certains prisonniers politiques. Le président de la République a répondu à la demande en expliquant que ce n’était pas pour les beaux yeux de Jil Jadid mais pour exprimer une volonté d’encourager le dialogue. Le dialogue pouvait apporter quelque chose alors que les pressions, spécialement celles venant de l’étranger, ne pouvaient pas mener aux résultats. Une partie des avocats des détenus a réagi d’une manière violente à la démarche de Jil Jadid. Dans d’autres affaires, dont celle d’un journaliste, ces avocats ont utilisé la pression étrangère qui, en réalité, enfonce les prisonniers d’opinion.

Vous-mêmes avez été attaqués sur les réseaux et par des médias en raison de vos positions politiques. Comment réagissez-vous à cela?

C’est paradoxal. Ceux qui prônent la démocratie et l’État de droit sont ceux qui ont donné naissance à une fachosphère. Ils condamnent et appliquent la condamnation sans jugement pour tous ceux qui ne travaillent pas dans leur agenda. Cela est inadmissible surtout que ça vient de gens censés comprendre ce que c’est la politique. Ces dépassements leur portent du tort à eux-mêmes et à la noblesse de leur métier. Je pense à certains avocats qui ont été ignominieux et qui, publiquement, ont déclaré qu’ils préféraient que leurs clients finissent en miettes dans les cellules que de se faire libérer sur la base d’une démarche politique. Il est ignoble d’utiliser la robe ou la carte de journaliste pour se couvrir et agir en tant que militant d’une cause qui les concerne eux. Ils ont droit d’être militants. Mais qu’ils utilisent une couverture, avocat ou journaliste, pour travailler leur agenda de militant, est une forfaiture(…) Il n’y pas de papes du hirak mais certains se sont vus dans cette posture. Ils distribuent les étiquettes, considèrent les uns comme des traîtres, les autres comme des soutiens, etc. Ce qui est incroyable dans ce jeu là, c’est qu’ils nous ont retiré des momies politiques qui ont fait toutes leurs carrière avec le régime Bouteflika et qui nous les présentent aujourd’hui comme de vrais opposants. 

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