Sami Agli : “Il faut passer à une autre étape pour le sauvetage des entreprises algériennes”

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Sami Agli :
Sami Agli : "Il faut passer à une autre étape pour le sauvetage des entreprises algériennes"
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Sami Agli  est le président de la Confédération algérienne du patronat citoyen (CAPC, ex-FCE). Il tire la sonnette d’alarme sur la situation des entreprises privées algériennes en raison de l’arrêt prolongé d’activités. Il plaide pour une amnistie fiscale pour les TPE (très petites entreprises) et pour des crédits bancaires à taux réduits. Interview.

24H Algérie : Sami Agli, la conjoncture économique est difficile, après deux années compliquées (instabilité politique, pandémie). Comment est l’entreprise privée algérienne aujourd’hui ?


Sami Agli : Nous n’avons pas imaginé en 2020 qu’on allait encore parler de la pandémie de Covid-19, de manque d’oxygène dans les hôpitaux et de crise économique en 2021. La situation est compliquée. 2019 était une année marquée par un mouvement populaire qui a émerveillé le monde. Mais, il y a eu des conséquences sur l’économie. L’économie a besoin de stabilité. 2020 était également une année difficile même si elle a bien démarré avec une nouvelle gouvernance. En août 2020, le président de la République a donné le cap sur la construction d’un nouveau modèle économique et sur le plan de relance économique. On préparait la rentrée de septembre 2020 mais la situation pandémique n’a pas évolué dans le bon sens.


Les retombées étaient directes sur l’économie avec la fermeture, le manque de déplacement… Je rappelle que certaines wilayas étaient complètement clôturées pendant plusieurs semaines(à partir de mars 2020). Le manque de transports et de déplacement handicape grandement l’exportateur puisqu’il ne peut pas assister à des foires, rencontrer ses partenaires, chercher des clients…Tout cela a un impact sur l’activité économique dans le pays. La crise s’aggrave et les entreprises vulnérables sont les plus touchées.


Il s’agit de quelles entreprises ?


Sami Agli :Les TPE (Très petites entreprises) et les PME (Petites et moyennes entreprises) qui représentent 95 % du tissu algérien des entreprises. L’impact est donc énorme sur l’économie et sur la société.


Aujourd’hui, la situation nécessite de la communion et de l’écoute de part et d’autres, des pouvoirs, du patronat ou des citoyens pour qu’on puisse s’en sortir. C’est la crise du pays, pas celle d’un secteur, d’une entreprise ou d’une région… Les pays qui ont pris les bonnes décisions arrivent à maintenir le cap. Dans ces pays, il y a eu une prise de conscience collective entre acteurs économiques, employeurs et employés, patronat, administration et pouvoirs publics. Toutes ces forces ont travaillé en communion pour être réaliste dans la prise de décision et faire face au tsunami de la crise économique.


Aujourd’hui, il y a une précarité économique en Algérie. Beaucoup d’entreprises ont fermé ou pensent à fermer.


Avez-vous justement des chiffres sur les entreprises ayant cessé leurs activités ?


Sami Agli : Je préfère rester prudent puisque nous n’avons pas de chiffres officiels. Il y a des secteurs qui sont touchés plus que d’autres comme le bâtiment. Plusieurs chantiers ont été à l’arrêt pendant des mois. Un chantier emploie des ingénieurs, des bureaux d’études, des transporteurs…


Le tourisme a également souffert avec la fermeture des frontières et l’arrêt des transports. Les agences de voyages ne travaillent toujours pas. Le gros de leur activité est à l’extérieur du pays : les voyages organisés, la réception des délégations. Des hôtels ont fermé aussi par manque d’activités, pour raison sanitaire ou autres. Il s’agit d’entités économiques qui ont des salariés, doivent payer des charges.


La priorité aujourd’hui est de préserver les emplois. C’est l’objectif de tous. L’employé crée la richesse à travers la consommation et le pouvoir d’achat. Si jamais cette rupture est actée, il sera  dur de rattraper les choses. Cela prendra énormément de temps.

 
Revendiquez vous un système de compensation pour les entreprises privées ?


Sami Agli : Nous avons fait des propositions en ce sens mais à aucun moment nous n’avons demandé une intervention de l’Etat à travers le trésor pour compenser. On connaît la situation du trésor public. Nous avons demandé l’accompagnement du système financier, banques, bourses, fonds d’investissement, afin de pouvoir donner des solutions de financement aux entreprises, adaptées à la situation actuelle.


Actuellement, on ne peut pas parler d’emprunts avec des taux d’intérêt variant entre 7  et 10 % pour les banques. L’entreprise cherche des ressources pour sauver son activité et ses emplois. Elle ne peut pas supporter ces taux élevés. A l’étranger, on parle aujourd’hui de taux négatif. Le système bancaire n’a pas joué le jeu comme il le fallait. Il a ses raisons. Il est aussi en crise, subit les conséquences des problèmes qu’ont eu des entreprises avec les marchés publics (non remboursement des crédits, ndlr).


Qu’en est-il de l’accompagnement des administrations ?


Sami Agli : Des choses ont été réalisées mais ce n’est pas suffisant. Il faut passer à une autre étape pour le sauvetage des entreprises algériennes, oser parler d’amnistie fiscale pour une catégorie d’entreprises. Je fais allusion aux TPE qui n’ont plus les moyens de rebondir, de reprendre. Il faut effacer et/ou échelonner ce qui peut l’être, bref, trouver des solutions réalistes. Rapidement.


Et pour les autres entreprises ?


Sami Agli : Il faut également de l’accompagnement aussi. Par exemple, un rééchelonnement des engagements bancaires, avec une réduction du taux d’intérêt. Car, quand on fait le rééchelonnement, cela suppose des agios, l’intérêt de l’intérêt…Un processus irréalisable aujourd’hui.


Cherchons-nous à avoir des soldats économiques pour faire face à la crise ? Si on veut avoir un tissu économique fort, il faut lui donner la possibilité de reprendre sa force. Tout le monde doit être mobilisé pour réussir le rebond, reprendre une activité économique normale, garantir la justice sociale avec une liberté d’investir.


Vous avez parlé de la rencontre du 16 et 17 août 2020 sur le plan national de relance socio-économique tenue à Alger. Une année après, est-ce que les décisions et les annonces faites ont été traduites sur le terrain ?



Sami Agli : Beaucoup de choses ont été faites, beaucoup restent en attente. Il y a une incompréhension quant au retard enregistré dans l’application de certaines décisions. Le chef de l’Etat a montré le cap, a parlé de dépénalisation de l’acte de gestion et de 1900 milliards de dinars disponibles avant la fin 2020 pour le financement de l’économie …Il y a un problème avec l’exécution de ces mesures.


Vous voulez parler de blocages ?


Sami Agli : A mon sens, oui. Il y a des blocages, une autre forme de bureaucratie, en plus de celle que subissent les citoyens et les acteurs économiques au quotidien. Pourquoi le président de la République et le ministre décident si les décisions ne sont pas appliquées ? Je n’oserai pas dire que c’est fait exprès. Il y a du bon et du moins dans l’administration. On ne peut pas faire un procès d’intention à tous. L’acteur économique n’a pas le temps d’attendre.

Plus il est retardé, plus un projet devient moins viable et moins rentable. Le manque à gagner causé par ces retards est énorme. Une entreprise active paye des impôts, des charges fiscales et parafiscales, crée de la richesse, emploie des gens. Quand la même entreprise est retardée pour des raisons inexpliquées, à attendre des autorisations, des agréments, des licences, des PV de réunions, cela aura inévitablement des retombées sur l’économie.


Aujourd’hui, nous n’avons pas le droit de rater le coche. Le monde est en train de changer et la concurrence est féroce entre les pays. Nous avons intérêt à prendre les bonnes décisions. Maintenant ! Le temps est notre allié et notre pire ennemi aussi.


Comment expliquer justement les retards alors qu’il y a une situation d’urgence dans le pays ?


Sami Agli : Nous n’avons pas d’explications. Peut être que le processus de promulguer une loi prend beaucoup de temps. C’est un processus géré par des humains. Il faut avoir le courage de pouvoir changer ce qui doit l’être. Nous sommes tous responsables de l’avenir et du devenir de l’économie algérienne, c’est-à- dire des générations futures.


Est-ce que la nomination d’un Premier ministre venant du secteur des finances va-t-elle accélérer les choses d’autant plus qu’Aimen Benabderrahmane garde le poste de ministre des Finances ?


Sami Agli : Nous avons salué cela. Il y a une prise de conscience par rapport à la question économique devenue centrale.  Le  secteur des finances est transversal dans le sens où son premier responsable a une connaissance totale de tous les dossiers ayant un lien avec l’économie. Cela remplace le ministère de l’économie. L’attente est énorme donc par rapport un un Premier ministre qui a l’avantage de bien connaître la situation économique et qui a la responsabilité de prendre les bonnes mesures.


Par exemple ?


Sami Agli : La réforme du secteur bancaire, la révision de la loi sur la monnaie et le crédit, la libéralisation de l’acte d’investir. Réformer les banques doit être un des premiers chantiers. Cela fait plus de 18 mois que le foncier industriel est bloqué. Les Calpiref (Comités d’assistance à la localisation et à la promotion des investissements et de la régulation du Foncier) sont bloqués au niveau des wilayas. Ces questions doivent être traitées en priorité par le Premier ministre. Nous lui faisons confiance. Lorsqu’il était ministre des Finances, il était à l’écoute, a répondu à toutes nos doléances.


Comment expliquer qu’officiellement, on parle de la nécessité de relancer l’économie et que les opérateurs économiques peinent à trouver du foncier dans les wilayas ou à accéder à des crédits bancaires ?


Sami Agli : On n’arrive pas à expliquer qu’on bloque un chef d’entreprise qui veut lancer un projet dans une région peu développée et en quête d’investissements. L’administration lui explique que l’ancrage juridique est en cours de changement et que, par conséquent, son dossier ne peut pas être accepté. Nous ne pouvons pas comprendre cela.


Nous devons lutter contre le temps administratif. Il y a une certaine administration qui est en train d’hypothéquer l’avenir des générations futures.


On ne comprend pas non plus la généralisation de “la non prise de décision”. On entend ici et là que tel responsable ne veut pas signer, un autre hésite à le faire. Nous sommes pour la lutte contre les dérapages, comme cela a été constaté dans les années passées, mais nous devons préserver les dirigeants pour qu’ils puissent travailler et avoir la possibilité de prendre des décisions. La dépénalisation de l’acte de gestion est une question cruciale. Il y a eu des promesses en ce sens. Les textes sont en préparation.


Vous êtes favorable pour que les opérateurs économiques algériens aillent chercher des financements à leurs projets à l’extérieur mais contre l’endettement extérieur pour l’Etat. Pourquoi ?


Sami Agli : Nous sommes tous alignés sur le refus de recourir au FMI pour avoir des crédits. Cela nous rappelle des situations difficiles que nous avons vécu par le passé en Algérie (dans les années 1990). Nous soutenons la position des autorités à ce propos. Cependant, rien n’empêche les entreprises d’aller chercher des sources de financement en extérieur. Il y a le crédit-acheteur, le crédit-fournisseur, etc. Il faut sortir de la source unique de financement en Algérie qui est la banque.


Nous savons que nos banques ne sont pas dans la meilleure des situations. L’entrepreneur algérien peut prendre des risques sans aucun engagement de l’Etat. Il peut aller chercher d’autres voies de financement. Il faut ouvrir le marché  algérien aux fonds d’investissement, à d’autres sources de financements. Cela va redynamiser l’économie, l’entreprise et l’Algérie.


Qu’en est-il de l’exportation?


Sami Agli : L’étape qu’il faut saluer déjà c’est la création au sein du ministère des Affaires étrangères d’une structure dédiée à la diplomatie économique. C’était une des revendications du patronat parce que la diplomatie économique appuie l’action des entreprises algériennes afin de s’exporter mieux et de se renforcer à l’étranger.


Cela dit, l’exportation ne relève pas uniquement d’une décision politique. L’exportation est un métier à part entière. Il s’agit d’un accompagnement de bout en bout. L’exportation est intimement liée à l’investissement. Nous avons amélioré les exportations (hors hydrocarbures) ces dernières années parce que des investissements ont été faits. Il faut également une réforme bancaire pour pouvoir accompagner les acteurs économiques afin qu’ils puissent s’installer, ouvrir des bureaux, recruter, racheter et créer des entreprises à l’étranger. Tout cela doit être acté par la loi, mais pas uniquement par une volonté ou une intention d’un responsable, d’un chef d’entreprise ou une association. La réforme du cadre réglementaire est la vraie locomotive du changement et la reprise de confiance qui manque tellement aujourd’hui entre nous tous.


Pensez vous qu’il y a trop de politique dans l’économie ?


Sami Agli : Si vous parlez au président de la CAPC, nous, nous sommes apolitiques. Nous l’avons dit et acté. Il y a eu des échéances politiques importantes ces derniers mois (présidentielle, référendum sur la Constitution, législatives) sans l’intervention de nos membres. En tant que citoyens et acteurs économiques, nous sommes concernés par la politique économique du pays. L’économie est-elle plus politisée ? Oui, en ce sens que les politiques prennent des décisions économiques qui, parfois, ne sont pas les meilleures. Les décisions doivent répondre à une vision économique, pas politique. Cela dit, je ne suis pas de ceux qui disent que tout est politisé. Reste que l’économie est une question centrale à prendre en compte dans toutes les réflexions sur les plans de relance.

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