Retour sur un des concepts de Bernard Stiegler, disparu jeudi

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Bernard Stiegler
Bernard Stiegler
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Bernard Stiegler fait partie du cercle restreint des philosophes qui ont déconstruit le mythe de la révolution technique et du rôle émancipateur qui lui a été attribuée par le discours d’accompagnement. Décédé le 06 août dernier, il a laissé derrière lui une production abondante sur l’ambivalence de la technique, spécialement l’Internet.

Inclassable pour certains, atypique pour d’autres (au vu de sa trajectoire professionnelle et personnelle marquée notamment par un séjour en prison), Stiegler fut de tous les combats. Il a marqué sa présence dans les médias alternatifs alors que les médias traditionnels, particulièrement ceux de l’audiovisuel (privé et public), le boudaient, car ses idées ne convenaient pas au discours bien-pensant médiatique.

Alors que la critique des industries culturelles, tradition initiée dans les années trente à Francfort, tend à se relâcher dans une Europe de plus en plus inféodée aux lois du marché, ce philosophe français a réussi à maintenir l’étendard de la critique de la technique, à travers d’abord ses écrits mais aussi via les séminaires qu’il animait avec ses collègues de l’école de philosophie d’Épineuil-le-Fleuriel. Au sein de cette école, il dispensait des enseignements de philosophie pour des lycéens, des doctorants et des gens de tout bord, lesquels étaient tous invités à s’adonner à l’activité de réfléchir.

Aussi, le site de cette école porte un nom qui laisse entendre l’ancrage latin de ce projet dont il était l’un des animateurs « pharmakon » https://pharmakon.fr/wordpress/, et renseigne sur sa démarche résolument critique.

Cette notion de pharmakon, dont il a fait usage d’une manière structurée pour décrire les effets des technologies de la communication, est centrale dans son projet critique. Introduite aux sciences humaines et sociales par le philosophe Derrida, qui lui-même l’a empruntée à Platon, elle lui a permis d’inaugurer une série de réflexions sur l’apport de la technique à l’Homme. Derrida a en effet montré en quoi l’écriture représente un remède en même temps qu’un poison pour l’être humain, à partir du moment où elle affaiblit ou rend insignifiantes ses capacités de mémorisation et de réflexion. Une critique qui s’inscrit dans le sillage des dysfonctionnement relevés à propos de l’usage de l’imprimerie, laquelle technique a permis la diffusion de la science mais a servi, en même temps, à la grande circulation de l’idéologie fachiste.

Alors que pour Stiegler Internet représente une forme particulière de pharmakon, un remède/ poison qui diffère des autres techniques par son fonctionnement social et au regard des intérêts économiques qui le sous-tendent. D’abord, il constate l’imbrication du culturel dans l’économique, dans le sens où ce moyen de diffusion des connaissances, de partage de données et d’informations est devenu un outil de domination, exploité par les grandes firmes de communication que sont les GAFAM. Pour lui, si le dispositif technique permet le partage des données, il n’en demeure pas moins que ces entreprises usent de stratégies de marketing pour manipuler ces mêmes données pour faire profilage et ciblage des publics.

Ensuite, il explique comment le capitalisme s’est emparé de cette technique jusqu’à la pervertir. Pour lui, l’aspect pharmacologique de l’Internet diffère de celui de l’écriture, parce qu’« il nous fait avancer collectivement et nous fais reculer aussi collectivement ». Cette question de l’usage collectif, qui a retenu l’attention de Stiegler trouve ses racines dans la psychologie sociale. D’ailleurs, on retrouve, à la lecture de ses analyses, les traces de l’œuvre majeure de Gustave Le Bon « Psychologie des foules ».

Tout compte fait, Stiegler convient qu’Internet favorise le prêt-à- penser, la désinformation, le flux des fausses nouvelles, en même temps qu’il constitue une opportunité de partage de contenus de qualité. Il est en outre un espace de rencontre, d’organisation et de mobilisation notamment lorsque les conditions de l’expression libre sont floues dans l’espace public traditionnel.

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