Pour ou contre la peine de mort en Algérie : Un débat qui a l’âge de l’indépendance

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Pour ou contre la peine de mort en Algérie : Un débat qui a l’âge de l’indépendance
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Le débat sur la peine de mort en Algérie ne date pas de ces dernières années ni de celles des années 2000. Il a l’âge de l’indépendance du pays. L’assemblée constituante de l’Etat naissant a débattu de la question dès 1963 l’Assemblée nationale y reviendra en 1964.

La question de la peine de mort a été posée alors que les Algériens gardaient encore vivant le souvenir des exécutions des militants du FLN/ALN. C’est dans un contexte particulièrement tendu, où le pouvoir dirigé par Ahmed Ben Bella était confronté à une forte opposition politique, que le débat sur la peine de mort s’est ouvert au sein de l’Assemblé Constituante (1962-1963).

Zohra Drif versus Houari Boumedienne

Mme Zohra Drif-Bitat, figure emblématique de la révolution et une des héroïnes de la bataille d’Alger, propose un amendement visant à faire de « l’abolition de la peine de mort un principe fondamental de notre société ». Dans son argumentaire, Zohra Drif a rappelé l’usage de la guillotine durant la lutte contre le colonialisme. Son usage par l’administration coloniale, avait-elle relevé, n’a pas dissuadé les Algériens dans leur combat pour l’indépendance. Un argument fort pour marquer le caractère non dissuasif de la peine même dans des situations extrêmes.

Le gouvernement de l’époque n’était pas sur la même longueur d’ondes. Par la voix du colonel Houari Boumediene, alors vice-premier ministre et ministre de la défense, il exhibe déjà tout autant l’argument religieux que la cause révolutionnaire. « … Il y a lieu de noter, affirme-t-il, que la religion musulmane et la doctrine de la révolution admettent la peine de mort, de même tous les pays socialistes y compris Cuba… ».

Boumediene est soutenu par Kaïd Ahmed, alors député et qui sera par la suite « Responsable de l’Appareil du Parti du FLN » (1967-1974).  Il demande à l’assistance de faire la distinction entre la peine de mort appliquée pendant la période coloniale et celle qui sera adoptée dans « l’Algérie socialiste ». « Je crois qu’il n’y a pas lieu de faire de comparaisons entre un peuple qui lutte pour sa liberté, qui lutte pour un idéal, et une société organisée qui a une Constitution, qui a des lois. Les problèmes sont absolument différents (…) Je pense…que l’amendement n’est pas recevable, en ce sens que nous pouvons être amenés dans ce pays, pour faire notre socialisme, à condamner des gens… Parmi le peuple, il y a des gangsters, il y a des « criminels de droit commun », il y a des gens absolument nuisibles pour la société, il y a des déchets de la société ».

Le projet d’amendement est donc rejeté le 26 août 1963 par 66 voix contre, 30 pour et 23 abstentions.  Quelques mois plus tard, en mai 1964, le texte de loi relatif à l’exécution de la peine capitale est discuté par la nouvelle Assemblée Nationale. Dans un contexte politique marqué, cette fois-ci par la rébellion de quelques chefs historiques, et notamment les maquis du FFS de Hocine Aït Ahmed, Ben Bella défendait le maintien de la peine de mort.

«Par fusillade»

Des députés marquent une fois de plus leur rejet de la peine de mort. Ils ont de nouveau avancé comme argument la pratique coloniale de la mise à mort qui a coûté la vie à des centaines d’Algériens militants pour l’indépendance de leur pays. Mais le Président Ben Bella, justifie la peine de mort par la situation que traverse le pays qui fait que le pouvoir est « contraint » de la maintenir. Il reconnait cependant qu’elle « constitue évidemment […] un problème qui doit faire réfléchir tous les patriotes sincères ». Mais, le vote en faveur du maintien de la peine de mort est, toutefois, considéré comme un « devoir ».

Les voix discordantes ne sont pas passées sous silence. Ali Haroun, membre de l’Assemblée Nationale, juriste de formation, et ancien chef de la Fédération du FLN en France, est parmi les quelques députés qui ont pris la parole après le chef d’Etat de l’époque. Il affirme son opposition à la peine de mort au nom de « sa conscience et du sens de responsabilité ». En sa qualité d’avocat, il évoque les différentes raisons qui devraient conduire à l’abolition de la peine de mort, qu’il qualifie de « pratique sanguinaire ».

 M. Haroun admet qu’il ne « se fait pas grande illusion sur le sort de la proposition », mais émet le vœu que « peut-être les Assemblées à venir verront la suppression de cette peine, car, au fond, ce n’est pas avec l’intimidation que l’on peut faire progresser l’humanité, c’est plutôt par le bon exemple ».

Cette loi, constituée de deux articles seulement, a été votée par la majorité des députés en mai 1964. Elle stipule que « la peine de mort, qui ne peut être prononcée que conformément aux principes islamiques, s’exécute par fusillade ».

La peine de mort a été alors prononcée contre plusieurs personnalités politiques opposées au pouvoir du tandem Boumediene-Ben Bella. On cite notamment le Colonel Ahmed Chaabani, Hocine Aït Ahmed et Mohamed Boudiaf. Seul le colonel Chaabani a été exécuté en septembre 1964.

La peine de mort continuera d’être appliquée. En 1970, l’un des auteurs du rapt du fils de Abdelmalek Temmam, gouverneur de la Banque d’Algérie a été condamné à mort et exécuté. De nombreuses condamnations à mort ont été prononcées durant la décennie noire.

Le 31 août 1993, quatre personnes accusées dans l’affaire de l’explosion de l’aéroport d’Alger (9 morts et 123 blessés) sont exécutées.  Ce sont les dernières exécutions, l’Algérie observant, à partir du mois de septembre, et sous l’effet d’un débat imposé surtout par les instances internationales, un moratoire à l’application de la peine de mort. Aucune autre exécution n’a eu lieu après celles du 31 août 1993.

Mais la peine de mort, qui reste en vigueur dans la législation, continue d’être prononcée par les tribunaux.  En octobre 2017, la directrice du bureau d’Amnesty International à Alger, Hassina Oussedik a donné le chiffre global « de 500 personnes condamnées à la peine capitale en Algérie ».

Pour l’année 2018, elle n’a noté qu’une seule condamnation à mort contre 27 en 2017, 50 en 2016 et 62 en 2015.

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