Mohamed El Korso, historien : «Les victimes des massacres du 8 mai 1945 doivent avoir le statut de Martyrs»
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L’historien Mohamed El Korso, rappelle dans cet entretien à 24H Algérie que beaucoup de questions d’Histoire n’ont pas été réglé. Pour le professeur d’histoire à l’Université d’Alger et ancien président de la Fondation du 8 Mai 1945, le statut de chahid doit être accordé aux martyrs des massacres du 8 mai 1945. Aussi, il met en exergue le rôle du Hirak dans l’éveil national par rapport aux questions historiques et une réconciliation avec l’Histoire.

24H Algérie: Comment avez-vous perçu la restitution des crânes des 24 résistants algériens qui étaient conservés pendant plus de 170 ans dans un musée à Paris ?

Mohamed El Korso : La restitution des crânes des résistants algériens est une décision politique forte. Le discours politique à dimension historique était puissant. Il faut qu’on le reconnaisse, mais il n’a pas été suivi de procédures concrètes. Un exemple : quelle est la qualité des milliers d’algériens morts lors des massacres du 8 mai 1945 ? A ce jour, on les appelle les victimes des massacres. Pour nous, les victimes des massacres du 8 mai 1945 doivent avoir le statut de Martyrs. De plus, il n’y a pas une demande forte pour exiger de la France des réparations et des excuses.

Le président Abdelmadjid Tebboune a, lors de l’interview accordée samedi 4 juillet à France 24, évoqué la question des excuses de la France pour les crimes coloniaux commis en Algérie…

Il n’a pas insisté, mais le fait que le président parle des excuses, c’est nouveau. A mon avis, la société civile doit jouer un rôle plus grand en la matière. Dans tous les pays, la société civile constitue la locomotive pour les questions liées à la mémoire. Les décisions politiques arrivent après. Qui a évoqué la criminalisation de la colonisation? Les indemnisations? Qui a qualifié de crimes contre l’humanité les exactions commises par le colonisateur français en Algérie? C’était la Fondation du 8 Mai 1945, à l’époque du regretté Bachir Boumaza. C’est incontestable. Nous devons reconnaître à l’homme ses positions. Cela, malheureusement, n’a pas été suivi par des décisions politiques et des mesures fortes. Nous l’avons dit par le passé : les investissements français en Algérie doivent être conditionnés par la reconnaissance des crimes coloniaux, les excuses, la restitution des archives…

Pourquoi les victimes des massacres de 8 Mai 1945 n’ont pas eu la qualité de Chouhada, Martyrs ?

Selon mon analyse, les événements du 8 Mai 1945 sont liés à une personnalité qui avait une position hostile à la Révolution, Messali Hadj. Messali était rejeté. Par malchance pour le mouvement national, Messali et le MNA étaient contre le FLN. Donc, on a sacrifié Messali et les Chouhada du 8 Mai 1945, ensemble.

Le 8 mai 2020, le ministre des Moudjahidine Tayeb Zitouni a déclaré que pour « L’Etat algérien, ces victimes dont le nombre dépasse les 45.000 sont des Chouhada de la patrie »…

Il faut aller vers une décision claire. On a fini par reconnaître, tant sur le plan historique que politique, que les manifestations du 8 Mai 1945 avaient préparé le déclenchement de la Révolution du Premier Novembre 1945. Ceux qui étaient dans les structures de décision de la Révolution avaient pris part au processus du 8 Mai 1945, devenu après une véritable boucherie (les militaires français avaient ouvert le feu sur les manifestants à Sétif, Kherrata, Guelma et d’autres villes). Normalement, on ne devrait même pas poser la question. Tous ceux qui ont milité contre l’armée coloniale française et pour la libération de l’Algérie sont des chouhadas. Il n’y a aucune hésitation là-dessus.

Officiellement, le 8 Mai est consacré « Journée nationale de la Mémoire ». Vous pensez que c’est une évolution, un prélude pour la reconnaissance de la qualité de Martyrs pour les victimes?

Je suis ravi et heureux que le 8 Mai soit consacré « Journée nationale de la Mémoire ». C’est une décision courageuse et sage. N’oubliez pas que le Parlement a voté pour la création du Haut Conseil de la Mémoire Nationale. Ce Conseil n’a toujours pas été créé. Aujourd’hui qu’on consacre le 8 Mai comme journée de la Mémoire est une manière de retourner à l’Histoire et de donner raison au combat de Bachir Boumaza qui avait plaidé pour que Mai soit « le mois de la Mémoire » en Algérie. En 1945, le massacre de la population a duré plus d’un mois. Cette nouvelle décision va contribuer à la réconciliation des Algériens avec leur Histoire, au-delà des sensibilités politiques, culturelles, religieuses, etc.

Aujourd’hui, l’Algérie demande des indemnisations pour les victimes des essais nucléaires français des années 1960 dans le Sud Algérien. Existe-t-il des chances pour que ces indemnisations soient obtenues?

Les français ont eu une attitude pas nette par rapport à ce dossier. Les présidents François Hollande, Nicolas Sarkozy et autres ont joué sur les mots. La loi Morin (promulguée en janvier 2010, relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français) a exigé que les victimes doivent prouver leur présence sur les lieux des tests atomiques. Ceux qui étaient présents sur place à l’époque des essais (la France a effectué 17 essais nucléaires entre 1960 et 1966 à Reggane et In Ikker dans le grand sud algérien) sont décédés. Ils sont également des Chouhada et pas des victimes. La loi a listé un ensemble de maladies liées à l’exposition aux radiations. Ce n’est pas la bonne méthode. Des maladies sont apparues à l’époque et d’autres après. A ce jour, il y a beaucoup d’avortements et de cas de cancer dans les régions où les essais ont eu lieu. Il était attendu que la France nettoie les périmètres irradiés. Un travail qui n’a pas été fait. La France n’a pas pris en charge les malades. Ce dossier doit être ouvert de nouveau. Il y a aujourd’hui un éveil national par rapport aux questions historiques.

Comment ?

Le Hirak, qui est un mouvement historique, a contribué à cet éveil. C’est une bonne chose. On se réconcilie avec notre Histoire. On donne des visages aux noms. On connait qui est Benboulaid, Ben M’hidi et autres. Au niveau de l’Institut d’Histoire, à l’université, les étudiants ne connaissent pas l’itinéraire et l’histoire des chouhadas et des combattant de l’ALN, parfois ils sont incapables de donner des noms. Le temps est venu de relancer et de moderniser l’enseignement de l’Histoire en Algérie. Il faut recourir aux nouvelles techniques de communication pour susciter l’intérêt et améliorer les méthodes pédagogiques. Nous devons construire la culture historique et la conscience culturelle pour ouvrir la voie à la conscience politique. Tout est lié.

Faut-il considérer les massacres du 8 Mai 1945 comme un génocide et un crime contre l’Humanité?

Ces concepts ont apparu à la fin de la deuxième guerre mondiale en 1945 avec le jugement des officiers nazis (au Procès de Nuremberg en novembre 1945). Le génocide reste étroitement lié à ce qui est arrivé aux juifs en Allemagne. La définition du génocide est un crime consistant en l’élimination physique intentionnelle d’un groupe d’humains ethnique, religieux, linguistique ou national. En 1945, les algériens étaient hostiles à la colonisation. A l’époque, les actes de tueries étaient aléatoires, commis à grande échelle. Si le colonialisme pouvait éliminer tous les algériens, il l’aurait fait. Il n’a pas pu le faire. Les algériens ont résisté. Le 14 juillet 1953, à Paris, la police française a tiré sans sommations sur des manifestants pacifiques algériens (six algériens et un français ont été tués lors de la fusillade). D’autres crimes collectifs ont été commis après et avant ces dates.

Et comment qualifier ces crimes collectifs ?

Des dechras ont été rasées en entier avec leurs habitants. Des forêts brûlées au Napalm avec ceux qui y vivaient humains ou animaux. A El Harrach, à Alger, la tribu des Ouffia a été exterminée complètement avec plus de 1200 morts ( le 6 avril 1832, le duc de Rovigo a ordonné à ses troupes le massacre des membres de cette tribu). Près de Nekmaria, la tribu des Ouled Riah a été éliminée entièrement dans les enfumades du Dahra (sur ordre du colonel Pélissier, entre 18 et 20 juin 1845, plus de 1000 personnes ont été asphyxiées dans des grottes après avoir fait allumer des grands feux). Comment appeler l’éradication totale d’une tribu? S’agit-il d’un acte humanitaire comme cela est suggéré par la loi de 2005 (sur les aspects positifs de la colonisation)? Il s’agit bel et bien de crims contre l’Humanité et de génocides. Il nous appartient aujourd’hui de développer ces concepts et de les adapter à notre contexte historique. Les génocides se poursuivent aujourd’hui sous d’autres formes en Irak, en Libye et ailleurs…Pour l’Algérie, je pense que la société civile doit faire des revendications sur les poursuites à mener pour crimes de guerre et génocides. Il faut qu’on sorte des slogans et des bavardages. Il ne s’agit pas de prendre sa revanche sur la France. Il y a une différence entre la France coloniale et les relations entre les deux sociétés aujourd’hui. Des partis français continuent de défendre la colonisation et son héritage. Sarkozy (droite) nous a conseillé de ne pas nous tourner vers le passé, mais de regarder le futur. Il nous demandait donc de piétiner notre passé. Sarkozy est un héritier de la 5ème République qui a été à l’origine des boucheries et des crimes coloniaux. Autant que la 2ème et la 3ème ainsi que l’Empire. Le phénomène colonial européen est une succession d’étapes.

Dans le monde actuel, il y a beaucoup de révisions. Des statues de représentants d’esclavage et de colonialisme sont déboulonnés partout. Pensez-vous que c’est le moment pour les algériens de demander réparation à l’ancien colonisateur ?

Savez-vous que Christophe Colomb a été jugé d’une manière symbolique lors d’une rencontre organisée par le passé par la Fondation du 8 Mai 1945 en Algérie en présence d’avocats français qui avaient soutenu le mouvement national algérien. J’ai été heureux de voir les statues de Christophe Colomb arrachées (aux Etats Unis en juin 2020, notamment. Colomb est considéré comme l’initiateur du massacre des amérindiens). L’Histoire se venge de ces gens là. A un moment donné, l’Histoire était limitée à celle de l’homme européen. L’esclavagisme était présenté comme un moyen de « civiliser » les autres et d’assurer le bien être de l’européen. Aujourd’hui, les voix se sont libérées, sont écoutées dans le monde entier. J’ai été ravi d’apprendre qu’on veuille arracher les statues du Maréchal Bugeaud et de débaptiser les rues portant son nom en France (Lors du début de la colonisation de l’Algérie Marcel Bugeaud avait adopté la politique de la terre brûlée marquée par les razzias, les enfumades et les massacres collectifs). C’est tout un symbole. La Fondation du 8 Mai 1945 avait déposé plainte en France, au tribunal de Strasbourg, pour juger Maurice Papon (initiateur du massacre du 17 octobre 1961 à Paris contre les manifestants algériens). Même si ces gestes sont symboliques, ils sont essentiels pour éveiller les consciences et dévoiler les crimes coloniaux passés sous silence. Les peuples anciennement colonisés peuvent agir ensemble en Afrique ou au Maghreb pour juger la France. Aujourd’hui, on sent l’existence d’une volonté, au niveau mondial, pour réhabiliter l’homme qui a été colonisé, dominé ou pris pour esclave. Le colonialisme a voulu faire de l’africain, un sous homme, un attardé mental. Cela est même glissé dans des livres en invoquant de prétendues références scientifiques. Le but était de prouver la « suprématie » de l’homme européen. La bataille que nous devons mener n’est pas facile. Elle sera longue.

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