Michael Jordan, un héros américain: The Last Dance, réalisé par Jason Hehir (2020, Netflix)

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Michael Jordan, un héros américain: The Last Dance, réalisé par Jason Hehir (2020, Netflix)
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Le talent est incontestable et éclatant, la discipline spartiate, l’ambition démesurée au point d’en devenir addictive et souvent hargneuse. Tout cela fait de Michael Jordan l’un des plus grands athlètes de tous les temps mais cela ne l’a pas rendu toujours très aimable. Si vous n’appréciez pas beaucoup le personnage, The Last Dance,  docu-série en dix épisodes de 50 minutes, diffusé actuellement sur Netflix, ne vous fera probablement pas changer d’avis mais vous permettra de mieux comprendre cette antipathie. 

Le documentaire avec des images inédites, filmées au cœur des déplacements et des entrainements, retrace en effet,  à travers des interviews et des images d’archive, le parcours de Jordan mais aussi celui des Chicago Bulls, équipe mineure et quelque peu indisciplinée au début des années 1990 et qui va progressivement imposer sa domination sur la NBA et le Basket américain. 

Le documentaire montre parfaitement comment une équipe devient une franchise, une marque, un véritable business qu’il faut gérer, avec toujours en tête les meilleurs profits à tirer. Sous la houlette, de l’intriguant Jerry Krause, General Manager des Bulls, on sous-paye sans vergogne Scottie Pippen pendant des années, on décide qu’il faut reconstruire l’équipe et on annonce sans ambages, dès le début de la saison 1998, qu’elle sera la dernière du coach Phil Jackson. Management à la manière des années 1990, dont certains pays comme la France, ne sont toujours pas sortis. On appâte puis maltraite, amadoue puis effraie. La carotte et le bâton, pour tirer le meilleur des travailleurs, pardon, des basketteurs. 

Le capitalisme roi et sournois dont Jordan est, quand on y songe, le pur produit. Signataire d’un contrat avec Nike qui va vendre des millions d’Air Jordan à un rythme effréné puisque le modèle est sans cesse renouvelé. « Be like Mike » sera le slogan ultime de publicités réalisées pour McDonald’s et autres marques comme Gatorade. Mais Jordan est également connu pour être désagréable avec ses coéquipiers et parfois même insultant et menaçant pour les garder motivés, s’inventant par ailleurs des griefs imaginaires avec ses adversaires pour retrouver la rage de vaincre. Après tant d’efforts pour justifier que c’était la meilleure attitude à adopter, le spectateur peut douter de la sincérité des larmes que Jordan verse à la fin de l’épisode 7, alors qu’il explique qu’il n’avait pas d’autres choix pour gagner. 

Car Magic Johnson ou Larry Bird ont eux aussi été de grands champions sans avoir eu à écraser tous ceux qui les entouraient. Scottie Pippen a montré pendant l’absence de Jordan, suite à  la mort tragique de son père en 1993, qu’on pouvait tenir une équipe avec douceur et empathie. Dennis Rodman a prouvé pour sa part qu’on pouvait être flamboyant tout en restant humain, trop humain. 

C’est d’ailleurs l’un des points forts du documentaire que de laisser, contrairement à Jordan, un peu de place et d’espace aux autres dont on entend les témoignages avec intérêt et plaisir depuis les deux coach du règne Jordan, l’énergique Doug Collins et le mystique Phil Jackson, les coéquipiers au fil des années comme Scottie Pippen, Denis Rodman, Steve Kerr, Horace Grant, etc., en passant par les adversaires comme Isiah Thomas et John Stockton et d’autres figures de Chicago, jusqu’à Barack Obama lui-même, critique vis-à-vis des positions politiques de Jordan, bien qu’il ne soit pas certain que l’ancien président et sénateur de l’Illinois ait beaucoup de leçons à donner à ce sujet, si on se souvient de la manière dont il a géré pendant sa présidence, les évènements de Fergusson, en 2013. 

Il est vrai néanmoins que Michael Jordan traverse la décennie 1990,  pourtant bien chargée en évènements, sans un seul engagement politique, pas même pour Harvey Gantt, candidat démocrate au sénat en Caroline du Nord –  état où a grandi et étudié Jordan – contre l’innommable républicain Jesse Helms, ségrégationniste et raciste notoire. Dans le bus des joueurs, Jordan aurait eu, pour justifier son silence et son abstention, cette phrase malheureuse: « Les Républicains, eux aussi, achètent des baskets » Boutade ou pas, la phrase résume en elle-même une Amérique où même ceux qu’on appelle The Liberals (comprendre les gens de gauche) ne peuvent concevoir qu’on écorne la sacro-sainte idéologie capitaliste. Une Amérique mercantile qui s’affirme dans le monde via son soft power à travers le sport, la nourriture et le cinéma et dont Jordan deviendra l’un des principaux ambassadeurs.  

Une Amérique, à ne pas en douter, talentueuse et impressionnante mais indifférente au reste du monde et à ses déboires comme le montre l’accueil on ne peut plus froid et agressif que reçoit Toni Kukoc en 1992,  alors même que l’ex-Yougoslavie,  son pays d’origine, se déchire.  Histoires d’égo et de rivalités masculines et à la décharge de Michael Jordan, toute l’équipe le suit dans ce bizutage puéril qui résume assez bien l’égoïsme et l’égocentrisme américain. Une tâche sur le pedigree de cette Dream Team qui nous a pourtant fait tant rêver. 

Il reste néanmoins l’épopée passionnante d’un joueur de talent et d’une équipe incroyable, narrée avec brio par le réalisateur Jason Hehir qui choisit un montage haletant fait d’aller-retour entre « The last danse »,  la saison finale de 1998 et les années qui précèdent, faites de triomphes et de gloire. 

Mais même là, les amateurs d’un basket old school, à l’exception de quelques séquences de jeu incroyablement chorégraphiées, risquent de se souvenir des raisons qui les ont poussé à renoncer à suivre les matchs de NBA où la beauté du jeu a fait place, année après année, à la puissance et aux smashs agressifs et quelque peu musculeux.  Le sujet du dopage est d’ailleurs assez étrangement occulté. Qu’à cela ne tienne, on ne s’attaque pas à la sacro-sainte NBA. Le cyclisme fera bien l’affaire, avec Lens Armstrong en bien triste et pathétique poster boy. 

Pour garder une part de rêve, peut-être faut-il donc rester sur le dernier panier de Michael Jordan en compétition. Semant Brian Russel sans le pousser vraiment.  Pleine détente. Un coup de poignet inimitable. Moment de grâce absolue. On aurait aimé le voir sourire plus souvent, comme le soir où il célèbre autour d’un piano, cette ultime victoire, passablement ivre et facétieux. Et il y aussi cette image bouleversante où il s’effondre en larmes dans les vestiaires, lors du premier championnat gagné alors que son père est absent. Mais la gagne est probablement un métier trop sérieux pour se livrer trop avant et les émotions un terrain bien trop glissant pour le capitalisme roi.

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