Petit manuel de lecture des tatouages berbères dans des régions algériennes

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En Algérie, nombreux sont les petits-enfants et arrière-petits-enfants à s’être un jour posé la question: mais que représente ce tatouage sur le front, la joue ou le menton de mon ancêtre? C’est à cette interrogation que répond avec simplicité le livre de Lucienne Brousse: Beauté et identité féminine: les tatouages féminins berbères des régions de Biskra et de Touggourt, paru aux éditions Dar Khettab en 2015.

Née d’un long travail de reconstitution et d’interprétation de centaines de dessins recueillis par Eliane Ocre tout au long de sa carrière d’infirmière en Algérie, “cette modeste étude ni exhaustive, ni historique, ni comparative”, précise l’auteure, se révèle être un précieux manuel de lecture des tatouages berbères.

“Le signe désigné sous le nom de ‘L’œil-de-perdrix’ est un petit losange avec les extrémités renflées ou portant une petite croix”, écrit Lucienne Brousse dans le chapitre consacré aux “Signes complexes”. “Pour les femmes qui portent ce signe, il représente l’oiseau lui-même, symbole de la beauté, de l’agilité […] ainsi représenter ce signe sur soi, c’est s’attirer ce qu’il symbolise”.

A partir des notes d’Eliane Ocre enrichies de ses recherches sur le tatouage et sa connaissance de la Kabylie, Lucienne Brousse livre en effet un formidable outil de décryptage des motifs des tatouages fidèlement reproduits grâce à la numérisation des planches des dessins d’Eliane Ocre.

“Les relevés représentant la Palme, provenant de la région de Touggourt, au sud-est d’Alger, sont des dessins particulièrement riches qui, sauf exception, ne sont pas figuratifs”, écrit Lucienne Brousse dans le chapitre sur “Les signes complexes”.”La palme, tout comme le palmier, a pour certaines femmes le statut (non-dit) de “déesse-mère”, source de la richesse et figure protectrice à l’instar de l’ombre protectrice du palmier”.

Legs

“Ce livre était inattendu”, explique Lucienne Brousse, rencontrée entre deux rendez-vous au Centre diocésain des Glycines à Alger. “C’est un dépôt de confiance de mon amie Eliane Ocre décédée en 2004 qui à la fin de sa vie voulait détruire tous les dessins recueillis au cours de ses années comme infirmière à l’hôpital de Touggourt, Biskra, Batna et Barika”, poursuit l’auteure qui à 85 ans demeure d’une exceptionnelle vitalité.

Après l’avoir convaincu de ne pas les jeter, Lucienne Brousse hérite donc de tous ces petits bouts de papier.

“Une fois les dessins classés, j’ai repris tous les témoignages des femmes répertoriés par Eliane qui leur demandait la signification de leurs tatouages, toujours avec beaucoup de délicatesse et de spontanéité”, souligne-t-elle.

“Dans les ouvrages consultés, aussi bien que dans le corpus, le motif le plus fréquent, toujours sur le front, est appelé abernus ou burnous”, écrit Lucienne Brousse dans le chapitre sur “Les signes complexes”. “Ses représentations, tantôt simples, tantôt complexes, sont, au sein d’une même aire géographique, extrêmement diverses”.

Transmission

“Mon histoire professionnelle n’a rien à voir avec l’ethnologie”, précise Lucienne Brousse au cours de l’entretien à Alger. “Je suis linguiste et pédagogue de métier, j’ai travaillé en arabe et en tamazight dans ma recherche, non dans le but d’une inscription théorique, mais dans celui d’un apport utile à l’apprentissage”.

C’est ainsi qu’au cours de ses soixante années passées en Algérie, de 1953 à 2014, cette enseignante dévouée élabora plusieurs méthodes d’apprentissage des langues: du tamazight, de la derja algérienne, de l’arabe classique et du français. On lui doit aussi la traduction du Petit Prince de Saint-Exupéry en derja (arabe tunisien) paru en 2008 chez Barzakh Editions. Son livre sur les tatouages féminins berbères ne déroge pas à cette volonté de transmission et de pédagogie.

“Ce signe de “croix” à branches égales ne porte pas de nom dans le corpus, ni d’ailleurs dans les autres sources consultées”, écrit Lucienne Brousse dans le chapitre consacré aux “signes simples”. “C’est un élément de base dans tous les domaines de décoration: stèle, tissage, poterie, peinture, bijoux… et tatouages, sans rapport avec une référence religieuse et en particulier chrétienne”.

Histoires de tatouages

Lucienne Brousse termine sa présentation des motifs des tatouages par trois sujets de signes qui ne se trouvent que dans le corpus d’Eliane Ocre et qui dénotent, écrit-elle, “une liberté de création étonnante”.

Parmi eux, “cebbak” traduit par “jeu de marelle” est particulièrement éloquent. Au cours d’une rencontre avec Eliane, la jeune femme des environs de Touggourt qui s’est fait tatouer ce dessin sur le bras raconte que lorsqu’elle était petite elle n’a jamais eu le loisir de jouer car elle devait travailler ou s’occuper des plus petits. Devenue mère, elle souhaite que ses filles puissent aller à l’école et s’amuser avec des jeux pour enfants comme la marelle. “N’y aurait-il pas là l’expression d’une frustration et de son dépassement?” interroge Lucienne Brousse.

“Le point est noté dans le corpus à la forme du pluriel, “nuqat ou nugat”, écrit Lucienne Brousse. “Elément simple, il peut être représenté seul, certaines lui donnent le sens de foyer ”ddar” c’est-à-dire de stabilité et sécurité. On le trouve sur la joue, le front, le bras, un peu partout, il est souvent appelé ‘mouche'”.

Héritière des histoires d’Eliane Ocre, Lucienne Brousse les a donc à son tour transmises en héritage, préservant ainsi une part de la mémoire du patrimoine immatériel de l’Algérie.

* Merci à Bruno Hadjih qui a gracieusement accepté de prêter ses photographies de sa série “Fantasme de la Kahina” (2005-2010) prise dans les Aurès.

*Cet article a été publié initialement au HuffPost Algérie

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