Mahieddine Tahkout : le café, les bus et les voitures

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Des peines allant de 5 à 15 ans de prison ferme requises contre plusieurs membres de la famille Tahkout
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Au tribunal d’Alger, le procès de l’homme d’affaires Mahieddine Tahkout, 57 ans, se poursuit depuis le 7 juillet 2020. Il est accusé de faits de corruption, de blanchiment d’argent, de surfacturation et d’obtention d’indus avantages pour son usine de montage automobile de marque coréenne de la zone industrielle de Zâaroura à Tiaret, de son usine de pièces détachées d’une marque chinoise à El Bayadh et du gros contrat relatif au transport universitaire. Les deux anciens premiers ministres Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal sont poursuivis dans la même affaire. 

Avant 2000, Mahieddine Tahkout que ses intimes appellent Mahi était inconnu en Algérie. Au milieu des années 1980, il s’est lancé dans les affaires avec ses deux frères en construisant une unité de fabrication de chaussures après avoir vendu des fruits et légumes au marché de Reghaia, sa région natale à l’Est d’Alger. Il a ensuite crée, en 1986, une société spécialisée en commerce des pièces détachées.

Au début des années 1990, il avait pris goût au monde des affaires en important des graines de café avant d’obtenir une registre de commerce en février 1991 pour une activité de transport urbain et suburbain des personnes. Ses bus assuraient notamment la liaison entre Alger, Rouiba et Réghaia. Ce registre de commerce a été barré en octobre 1993 pour une raison inconnue. A la même date, Tahkout obtenait un autre registre de commerce pour la même activité. Trois ans plus tard, le registre est également barré, sans explication.

Changement continuel de registres de commerce

Et à la même date, en avril 1996, il obtenait un autre registre de commerce pour le transport des voyageurs. Ce changement continuel du registre au niveau de l’antenne local du CNRC (Centre national du registre de commerce) de Boumerdes n’a pas éveillé les soupçons des autorités.

Selon les experts, Tahkout changeait de registres de commerce pour des raisons fiscales et pour profiter, à chaque fois, des avantages accordés pour ses investissements. En octobre 1996, Tahkout a créé la Sarl ETVMTP, spécialisée en transport des voyageurs, transport de marchandises, local de matériel de construction et de travaux publics,et dont le siège était à Garidi, à Alger. Cette société est dissoute quatre ans plus tard. A partir de 2000, Tahkout a multiplié les activités du transport de voyageurs et de marchandises urbains et inter wilayas.

Il a ainsi obtenu des registres de commerce à Alger, Constantine, Tlemcen et Sétif. En avril 2009, il eu un registre pour “activités multiples dans le domaine des services”. La nature des services n’était pas précisée. Il s’agissait, entre autres, d’approvisionnement des cités universitaires en pain. Vers 2012, Mahieddine Tahkout avait une quinzaine d’entreprises en son nom et en ceux de ses frères et de son fils. Le groupe Tahkout était né avec presque 14.000 salariés. Outre le transport des voyageurs et des marchandises, ses entreprises assuraient plusieurs autres activités comme la location de voitures, le gardiennage, la production pharmaceutique et la concession automobile.

Plus gros concessionnaire auto en Algérie

CIMA Motors, sa société, codirigée avec son fils Bilal, assurait la distriution exclusive en Algérie de plusieurs marques européennes et asiatiques comme Chevrolet, Suzuki, Fiat, Jeep, Hyundai, Alfa Roméo et Opel. CIMA Motors possède une vingtaine de succursales et d’agents agrées au niveau national. “Filiale du groupe Tahkout Cima Motors est le plus grand concessionnaire automobile en Algérie qui depuis sa création en 2009, proposait des véhicules d’entrée de gamme et de luxe pour toutes les bourses“, est-il écrit sur le site de l’entreprise. 

En 2016, il créait la filiale TMC, Tahkout Manufacturing Company, et lançait une usine de montage de véhicules Hyundai à Tiaret. Il obtenait une aide précieuse du ministre de l’Industrie de l’époque Abdesselam Bouchouareb, selon les enquêtes menées par les services de sécurité. La commission technique du ministère a validé le dossier de l’usine de montage de Tiaret alors qu’il était incomplet. Ahmed Ouyahia a signé un décret en 2017 donnant aux hommes d’affaires, une année pour compléter leurs dossiers sans être inquiété. Après avoir pris le temps de s’approcher d’Abdelmalek Sellal, dont il louait l’action en tant que Premier ministre, Tahkout voulait ouvrir une unité de montage de véhicules de la marque iranienne Saipa et lancer des projets dans le tourisme et la production du ciment. Des projets qui n’ont pas abouti.

Rachat de Numidia TV

En 2014, Mahieddine Tahkout achetait la chaîne de télévision privée (inscrite en Suisse) Numidia TV dans une volonté de « diversifier » ses activités et de faire comme l’autre homme d’affaires, tout aussi proche que lui du cercle de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika, Ali Haddad qui avait lancé Dzair TV, puis Dzair News, à la faveur de l’ouverture audiovisuelle contrôlée à partir de 2013. Lorsque Haddad avait pris la direction du Forum des chefs d’entreprises (FCE), Tahkout quittait l’organisation patronale pour rejoindre une autre.

Pour ses déplacements à l’étranger, Tahkout louait, selon des sites spécialisés, un jet privé, payé presque 16.000 dollars par mois. La location se faisait au nom de TMC. Aujourd’hui, la justice accuse Mahieddine Tahkout d’avoir transféré de grosses sommes d’argent (entre 2016 et 2019) vers la France où il a acquis des biens immobiliers sous des noms différents à Nîmes et à Nice.

Il a également créer une société de Travaux publics et de construction, une société de location de voiture de courte durée, Euromed Rent et Languedoc Immobilier, les deux basées Nîmes. Cette société est dirigée par Hamid Tahkout. Il est reproché à Tahkout d’avoir pris le monopole du transport universitaire au niveau national en mobilisant plus de 2000 bus. Le nom d’Ahmed Ouyahia avait circulé à moment donné comme éventuel « partenaire de Tahkout » dans cette activité, mais l’ancien Premier ministre avait démenti.

Soutien financier à Bouteflika

«Les hommes d’affaires algériens ont décidé d’investir en Algérie. Et, les étrangers qui veulent investir chez nous, doivent passer par nous. Il y a des gens qui ne veulent pas que l’Algérie avance », a proclamé Mahieddine Tahkout en mars 2017 dans une déclaration à sa chaîne TV.

Il était notamment en conflit avec Mohamed Baïri, patron du groupe Ival, condamné en décembre 2019 dans l’affaire de montage automobile et du financement occulte de la campagne inachevée de Bouteflika pour le 5ème mandat. Ival est le distributeur en Algérie des marques Mazda et Iveco. Tahkout critiquait publiquement la gestion de l’usine Renault d’Oran. Avant le scandale des voitures importées de Corée déjà assemblées et destinées à l’unité de montage de Tiaret, en 2017, Tahkout évitait les déclarations à la presse. Ses apparitions en public étaient rares.

L’homme n’enregistrait aucune présence sur les réseaux sociaux. Sur le plan politique, Tahkout a contribué au financement et au soutien logistique des campagnes électorales d’Abdelaziz Bouteflika surtout pour le troisième et quatrième mandat. Dans l’affaire en jugement au tribunal de Sidi M’Hamed, il est question d’un préjudice de 10 milliards de dinars causé au trésor public en raison des différentes transactions entachées d’irrégularités et d’avantages indus. 

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