Le romancier Yasmina Khadra à Alger : “Ce que j’écris est unique au monde !”

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Le romancier Yasmina Khadra à Alger :
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Yasmina Khadra était ce lundi 18 juillet à la salle rouge de la Bibliothèque nationale d’El Hamma, à Alger, à la faveur d’une tournée pour la promotion de son dernier roman “Les vertueux”, paru aux éditions Casbah, à Alger, et Mialet Barrault, à Paris . Un roman qui sortira officiellement le 24 août 2022.


“Je vais être mégalo pour une fois. On m’a toujours traité de mégalo alors que je ne l’ai jamais été. Je suis natif d’El Kenadsa. Si vous voulez accéder à votre humanité, allez passer quelques jours dans le Sahara. Mais, cette fois-ci, c’est avec beaucoup de plaisir que je vais être mégalo. Le roman “Les vertueux” va vous scotcher, vous émerveiller. J’ai passé trois années à travailler le texte pour vous mériter en tant que lecteurs. Donc, ne passez pas à côté de cette œuvre. C’est la première fois de ma vie que j’ai le sentiment d’avoir franchi le cap avec ce livre”, a déclaré l’écrivain algérien devant une salle archicomble.


Et d’ajouter : “C’est un roman qui essaie d’expliquer pourquoi aujourd’hui les algériens sont des écorchés vifs, susceptibles, agressifs, impatients…Parce que nous avons traversé des épreuves titanesques, avons tellement soufferts, rêvés, été déçus…C’est ce que je raconte surtout pour les jeunes. Il faut impérativement que l’on revienne à nos sources si nous voulons atteindre la mer, si nous voulons être cette rivière qui traversera toutes les vallées, montagnes et barrages du monde”.


Yasmina Khadra critique les journalistes algériens

Il a écarté le fait que la parution du roman “Les vertueux” soit liée à la célébration par l’Algérie du 60ème anniversaire du recouvrement de la souveraineté nationale. “Je ne fonctionne pas de cette façon. J’ai commencé à écrire le roman, il y a plus de trois ans. Je n’ai jamais pensé faire coïncider sa parution avec la célébration d’une date anniversaire. Je me sens inférieur par rapport à ce que représente un 5 juillet 1962. Je ne suis qu’un algérien. Le 5 juillet, c’est l’Algérie.”, a-t-il argué.


Yasmina Khadra n’a pas manqué l’occasion de tirer à boulets rouges sans aucune distinction contre les  journalistes algériens qui, selon lui,  interprètent les choses à leur manière.
“Ils ne sont pas dans la déontologie ni dans la noblesse d’âme. Ils sont dans la nuisance. Ils ont dit que le roman “Ce que le jour doit à la nuit” (sorti en 2008) évoquait ce que les algériens devaient au colonialisme. Le roman voulait dire ce que nous devons au sacrifice de nos parents. La nuit symbolise les moments difficiles qu’ont connu nos parents. Et c’est grâce à leur sacrifice que nous avons pu accéder enfin au jour”, a-t-il expliqué.


Adapté au cinéma en 2012 par le cinéaste français Alexandre Arcady, le roman était bel et bien une célébration colorée de l’ère coloniale avec des jeunes vivant l’amour et l’insouciance comme si de rien n’était. Même le jeune algérien Younes devient Jonas pour “ressembler” aux blancs et qui aura à choisir “entre la femme qu’il aime” et “son pays”. Un personnage dit à propos de l’Algérie : “Ce pays nous doit tout. Un caillou misérable en a fait le jardin d’Eden. Je veux que cette terre reste à nous quoi qu’il arrive”.  


Évidement, Alexandre Arcady a pris des libertés pour présenter les nationalistes algériens comme des barbares. A la sortie du film, Yasmina Khadra n’a pas montré sa désapprobation.


“Les algériens me traitent de plagiaire, c’est indécent”

Selon lui, la présidence algérienne à l’époque d’Abdelaziz Bouteflika était hostile au tournage en Algérie du film “Ce que le jour doit à la nuit”. “Le film a été tourné en Tunisie. C’est un blasphème contre l’Algérie. Tous les gens qui touchent aux artistes, aux intellectuels et aux universitaires, aux athlètes, aux musiciens sont des criminels contre l’Algérie. Les gens qui veulent nous donner des leçons qu’ils nous prouvent ce dont ils sont capables”, a-t-il lancé sur un ton de défi.


“Les algériens me traitent de plagiaire, c’est indécent. Ce que j’écris est unique au monde. “Ce que le jour doit à la nuit” est l’unique roman au monde, je vous défie de prouver le contraire, qui met l’honneur au dessus de l’amour(…) La véritable noblesse est de savoir reconnaître le mérite des autres. Si nous sommes insensibles à la valeur des autres, cela veut dire que nous nous valons pas grand chose”,
Il a annoncé avoir refusé l’adaptation au cinéma de ses romans “Qu’attendent les singes” (sorti en 2014), “Les anges meurent de nos blessures” (2013) et accepté une proposition d’un cinéaste srilankais d’adapter à l’écran “La dernière nuit du raïs” (un roman consacré à la chute du régime de Mouamar El Kadhafi en Libye, paru en 2015).


“Je suis devenu exigeant. Notre Histoire est douloureuse, authentique. Nous n’avons pas le droit de la porter à l’écran avec légèreté. J’attends qu’un jour les cinéastes algériens prennent en charge l’adaptation au cinéma des œuvres algériennes (…) Des pans de notre Histoire disparaissent. Il n’y a pas de documentaires, pas de cinéma, rien. Nous sommes presque dans la décomposition, sommes en train de pourrir sur pied. Dans nos villes et villages, les jeunes ne connaissent pas ce que représente telle maison ou telle rue. J’appelle les écrivains et les cinéastes à récupérer les quelques miettes de notre passé qui subsistent encore à travers les textes ou les images”, a-t-il déclaré.


D’après lui, le cinéma élargit l’audience d’une œuvre “même si on n’est pas toujours d’accord avec l’adaptation”.


“Tu veux que j’aille en prison !”

Interrogé par une enseignante sur la décision de l’Algérie de privilégier désormais l’anglais dans l’enseignement, Yasmina Khadra n’a pas caché sa colère. D’abord, il lance à l’adresse de l’intervenante : “Tu veux que j’aille en prison !”.
Et d’enchaîner ensuite en grand défenseur de la langue de Molière :  “On ne peut pas renoncer à une langue comme le français. Mes lecteurs ne renonceront pas à la littérature de Yasmina Khadra. 95 % de l’Histoire de l’Algérie est écrite en français. On peut apprendre toutes les langues. Mais, on ne peut pas privilégier une langue au détriment d’une autre. C’est criminel culturellement. Je vais continuer à écrire en français”.


Plus loin, il dit être “fasciné” par la littérature russe, rappelle ses lectures de romans américains et évoque son amour pour le théâtre. “J’ai joué quand j’étais jeune avec Slimane Benaissa. J’ai écrit pour le théâtre aussi. Certaines de mes œuvres sont adaptées au théâtre au Mexique, en Equateur, au Congo-Kinshasa, en Italie, en France…Bien que je sois algérien, je reste un citoyen du monde. Le monde pourrait être attentif à ce que nous lui proposons”, a-t-il affirmé.


“Les Algériens adorent le théâtre. Dans les années 1970, on aimait faire du théâtre dans la rue. Aujourd’hui, il n’y a plus rien, la culture s’effiloche dans le souffle de l’indifférence et dans le piège du marasme. C’est triste. Nous essayons de sauver ce qui peut l’être. Le cinéma coréen est au top aujourd’hui parce que les coréens ont travaillé, voulu donner une image d’eux mêmes”, a-t-il poursuivi.


“Les écrivains m’ont éveillé à l’essentiel de ce monde”

Yasmina Khadra, Mohamed Moulessehoul de son vrai nom, est revenu sur son expérience de 36 ans au sein de l’armée, d’abord à l’Ecole des cadets à Tlemcen.  “Je suis rentré à l’âge de 9 ans. La caserne était une citadelle médiévale. La porte qui s’est refermée derrière moi a confisqué le monde qui m’appartenait. J’étais déboussolé. C’est pour cela qu’à travers la littérature, j’essaie de convoquer le monde dont je rêvais. C’est pour cette raison que j’aime voyager et faire voyager mes lecteurs”, a-t-il dit.
Et de poursuivre :
“L’imaginaire est un avion qui n’a pas besoin de billets, de passer par Air Algérie. Mes meilleurs amis quand j’étais enfant étaient les écrivains. Les écrivains m’ont éveillé à l’essentiel de ce monde. Ils m’ont appris à réfléchir, à m’instruire, à respecter l’autre”.


 Il a parlé du “sergent ou du caporal” qui l’empêchait de lire sous la couverture la nuit lorsqu’il était soldat. “Il m’arrachait le livre et la torche plate”, s’est-il souvenu. Comme, il a révélé qu’un haut gradé de la détection aérienne, “un officier brillant”, un proche, n’a pas été promu. “Il est resté dix ans colonel et n’a pas été promu au grade de général à cause de moi. Je m’en veux”, a-t-il lancé sans détailler.


“Nous sommes une nation faible”

Yasmina Khadra a reconnu avoir écrit sur des endroits et des pays qu’il n’a jamais visité comme l’Afghanistan.
“J’ai vécu au Mexique, un pays fabuleux. Mon premier projet quand je suis rentré en France était d’écrire sur le Mexique. Mon éditeur (Julliard à l’époque) a refusé. Dans leur conception des choses, un algérien ne peut raconter que son Algérie. Nous sommes des écrivains endémiques dans la mesure où nous n’avons pas assez de talent pour raconter le monde. Mon éditeur a refusé aussi que j’écrive sur l’Allemagne(…) Les Algériens peuvent raconter le monde et le monde peut s’enrichir de notre expérience. Nous ne produisons pas que les grands footballeurs”, a-t-il souligné.


Yasmina Khadra, connu pour être allergique à la critique, n’a pas apprécié une question d’un lecteur qui lui a demandé combien d’exemplaires de ses romans ont été vendus. “C’est indécent de parler de vente”, a-t-il lancé.


“Nous sommes une nation faible. Des laboratoires étrangers étudient les nations pour les instrumentaliser, les manipuler et les détruire. Nous avons tous les ingrédients d’une nation destructible parce que nous n’avons plus de repères. Nous ne croyons en rien. Notre faiblesse est dans notre orgueil, à commencer avec la religion et l’identité. Pour construire une nation, il faut penser algérien”, a-t-il averti.  

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