Le puzzle constitutionnel algérien (première partie)

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La constitution algérienne
La constitution algérienne
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Le projet de constitution de mai 2020 confirme au moins une difficulté: la lecture de ce document n’est pas chose aisée. Volonté délibérée ou non des rédacteurs, cette lecture demande patience et relectures. Avec 1296 mots, le préambule doit figurer parmi les plus longs.

A titre de comparaison, les préambules des constitutions françaises et américaines comptent respectivement 98 et 55 mots. Cette logorrhée, d’autres diront ce bavardage, recourt à un style ampoulé qui rappelle beaucoup celui du jeune Ministre des affaires étrangères des années 60 et 70. Pas étonnant, il devint Président et pourvoyeur de constitutions.

Inspirés sans doute par la « Troisième République » française (1870-1940), les rédacteurs de la constitution ont voulu construire le « roman national » algérien. Le préambule de la constitution algérienne sublime à souhait l’histoire du peuple algérien. C’est connu, un peuple peu fier de son histoire ne peut répondre aux défis du monde moderne. Mais en prêtant plus attention au contenu de ce préambule, la flatterie livre l’intérêt qu’elle poursuit.

Une synthèse dépourvue d’esprit poétique et romanesque, donnerait la substance suivante : Le peuple algérien est un peuple vertueux. Il « opère en totale cohésion avec son Armée Nationale Populaire » à l’endroit de qui il « nourrit une fierté et une reconnaissance légitimes ». C’est sommaire, il est vrai mais c’est dans l’esprit de la Constitution. Un préambule ne trouve-t-il pas habituellement sa légitimité dans le support qu’il offre pour trancher en cas de problème d’interprétation de la lettre de la Constitution ?

Cet énigmatique article 08 de la Constitution

C’est l’article 07 de la Constitution, devenu très populaire et le mieux connu à la suite des manifestations du Hirak, qui ne prête pas à confusion. « Le peuple est la source de tout pouvoir. La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple. ». Cette disposition posée, l’article suivant, l’article 08 veut préciser l’exercice de la souveraineté populaire. Au lieu d’aller directement au but, il introduit : « le pouvoir constituant appartient au peuple ».

C’est une formule très abstraite dans la mesure où ce pouvoir connait de multiples médiations, le Président de la République, les deux chambres du Parlement et le Conseil constitutionnel avant le référendum d’adoption par le peuple. Mais là n’est pas l’interrogation. C’est l’intercalation des alinéas 2 et 3 qui mérite une plus grande attention. Ces deux alinéas sont ainsi libellés : « 2. Le peuple exerce sa souveraineté par l’intermédiaire des institutions qu’il se donne. 3. Le peuple l’exerce aussi par voie de référendum et par l’intermédiaire de ses représentants élus. ».

Ce qui saute aux yeux, c’est que la hiérarchie n’est pas respectée. Le référendum, les élections du Président de la République et des Députés sont des manifestations de démocratie directe. Ils sont premiers. Or, ils sont relégués au second plan. Ce que confirme l’expression utilisée : « le peuple l’exerce aussi… ».

Et qu’est-ce-qui est premier ? C’est l’exercice de la souveraineté populaire « par les institutions qu’il se donne ». Les rédacteurs de la Constitution et les auteurs de la révision de mai 2020 ont consciemment établi une distinction entre « les représentants élus » et « les institutions que se donne » le peuple. Ils donnent la primauté à ces « institutions ». On peut difficilement admettre que « les représentants élus » agissent individuellement et les « institutions » collectivement. Mise à part la Présidence de la République qui est une institution particulière, l’action du Parlement est dans tous les cas collégiale. Alors que faut-il comprendre par « les institutions qu’il se donne » ? C’est l’article 09 de la Constitution qui vient lever le voile.

Le non moins énigmatique article 09 de la Constitution

On peut s’attendre en toute logique à ce que cet article énumère les noms des institutions auxquelles se réfère l’article 08. La Constitution, parce qu’elle explicite les rapports de pouvoir entre les principales institutions de la République, ne peut contenir des indéterminations susceptibles de provoquer des conflits d’interprétation paralysants. Or, au lieu de citer ces institutions, l’article 09 les définit par leur « finalité » et évoque « des » (article indéfini) institutions. Autrement dit, la porte est totalement ouverte à la création d’institutions fondées par les finalités énumérées dans cet article.

La liste de ces institutions est suffisamment longue et autorise jusqu’à la pléthore. Mais visiblement, les rédacteurs ont établi une hiérarchie. Sinon, en prenant la finalité «la promotion de la justice sociale » classée en 4ème position, on pourrait conclure que la Caisse nationale de sécurité sociale et la Caisse nationale de retraite sont des « institutions » que se « donne » le peule pour exercer sa souveraineté. Mais suspicieux, le regard doit s’attarder sur la première finalité intitulée ainsi : «la sauvegarde et la consolidation de la souveraineté et de l’indépendance nationales ».

C’est à ce moment là, que l’on vérifie l’utilité d’un préambule même long et ennuyeux. Car si quelqu’un rencontre des difficultés à identifier l’institution qui répond à la première finalité, le préambule va l’aider. En effet, l’institution qui se destine à «la sauvegarde de l’indépendance nationale, la défense de la souveraineté nationale, » est clairement nommée, c’est « l’Armée Nationale Populaire ». On aurait pu se passer de ce retour vers le préambule.

Mais il faut reconnaitre que le lecteur de la Constitution se trouve préparé« philosophiquement ». Et la lecture de l’alinéa 2 de l’article 30 de la Constitution s’en trouve mieux préparée : «2. L’Armée Nationale Populaire a pour mission permanente la sauvegarde de l’indépendance nationale et la défense de la souveraineté nationale». Voilà qui est clair et net.

Récapitulons. Les articles 07, 08, 09 et 30 et le préambule de la Constitution désignent clairement « l’Armée Nationale Populaire » comme une institution «par l’intermédiaire » duquel, « Le peuple exerce sa souveraineté » avant les « représentants élus » du peuple.

Nombreux sont ceux qui diront que cela est conforme à la réalité. C’est vrai. Mais interviewez n’importe quel membre de l’Exécutif, il niera cette disposition constitutionnelle. Il n’est pas étonnant qu’il ne procède pas à cette lecture «tendancieuse».

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