Lamine Bechichi, un témoin du siècle culturel algérien

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Lamine Bechichi
Lamine Bechichi
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Lamine Bechichi a traversé le dernier siècle culturel algérien avec patience et sérénité. Ce témoin alerte s’est éteint jeudi 23 juillet 2020 à l’âge de 93 ans. Un hommage lui a été consacré ce vendredi 24 juillet au Palais de la Culture Moufdi Zakaria à Alger avant son enterrement.

Lamine Bechichi, né à Sédrata, à Souk Ahras, avait appris l’arabe et le coran à quatre ans. Son père, qui avait étudié Zeitouna, à Tunis, et à Al Azhar, au Caire, insistait pour l’apprentissage premier à l’école coranique. Initiateur de la première mosquée de Sedrata en 1934, Belkacem Loudjani Bechichi, père de la Lamine, fut parmi les membres fondateurs de l’Association des Oulémas, en 1931. 

« Malgré la neige, nous faisons le nettoyage de nos planches tôt le matin avant d’écrire des versets du Coran avec l’encre produite avec de laine brûlée. A l’école coloniale, mon institutrice Meriem Daoudi nous avait appris le chant et la musique. Je me rappelle de la récitation « L’enfant et la source »., traduite à l’arabe par Mohamed Lakhdar Saihi. Quand nous étions dans la cour de l’école, il nous était interdit de parler en arabe », se rappelait Lamine Bechichi lors d’une émission télévisée.

Il avait eu comme enseignants aussi Cheikh Larbi Tebessi et Said Zemouchi, des membres de l’Association des Oulémas. Il devait continuer son enseignement à Zeitouna où il était aux côtés d’Abdelhamid Mehri. « Nous étions une quarantaine d’étudiants algériens à Zeitouna. En 1947, Abdelhamid Mehri nous avait rassemblé pour nous proposer d’apprendre la musique. Salah El Mahdi, joueur de flûte tunisien, était venu lui faire cette proposition. Nous étions huit à avoir rejoint l’école de Er-Rachidia. Mohamed Triki était notre enseignant. Il nous avait appris que la musique était d’abord un langage et un savoir. J’ai cotisé avec mon ami pour acheter un violon que nous transportions dans un couffin », se souvenait encore Lamine Bechichi.

Trois versions de Qassaman

Il avait joué avec les ensembles tunisiens Al Manar de Redha Q’alai et El Khadra de Kaddour Serarfi. Il considérait la musique comme une science et un art. Il avait expliqué dans un livre comment Qassaman fut élaboré. D’abord, une première version composée par Mohamed Touri et enregistrée par Abderrahmane Laghouati, en 1955, dans la maison de Moufdi Zakaria, auteur du texte, à Alger.

« Abane Ramdane et ses compagnons avaient trouvé cette première version peu mobilisatrice contrairement à « Min Djibalina. Ils avaient alors proposé à Moufdi Zakaria de contacter un compositeur tunisien. La deuxième version fut composée en mars 1956 par Mohamed Triki. Le chant ressemblait à un Mou’achah avec des airs différents pour chaque strophe. Composition trop complexe pour Abane », a expliqué Lamine Bechichi.

La troisième et dernière version de Qassaman était une écriture de l’égyptien Mohamed Fawzi. « Mohamed Abou El Foutouh, responsable du service Maghreb à la Radio Sawt al Arab au Caire, devait soumettre le texte à un compositeur dont le nom était porté sur une liste. Ce jour là, c’était au tour de Mohamed Fawzi dont les chansons étaient plutôt légères. Abou El Foutouh a alors dit à Mohamed Fawzi de laisser celui qui le suit dans la liste de composer l’hymne national algérien. Refus de Fawzi. Finalement, Ahmed Said, directeur de Sawt Al Arab, devait trancher. Fawzi a enregistré dans un autre studio. Et le résultat fut Qassaman », a détaillé Lamine Bechichi qui a précisé que la composition avait été validée par Ahmed Ben Bella, alors établi au Caire.

Selon lui, le passage « Ya frança kad madhi waqtou al itab » (Ô France le temps du reproche est dépassé) fut supprimé par les égyptiens pour éviter « des problèmes » avec Paris après la nationalisation du Canal de Suez en juillet 1956. Ce strophe avait été rétabli après l’indépendance de l’Algérie.

« En 1964, on voulait changer Qassaman »

« A l’époque, j’étais à Sawt El Djazair à Tunis. On nous avait demandé de remplacer la version de Triki de Qassaman par celle de Fawzi. Triki était venu nous voir moi et Aissa Messaoudi pour protester. J’ai eu des sueurs froides. Dans la Constitution de 1963, Qassaman était un hymne national provisoire jusqu’à adoption d’un nouveau. On voulait changer l’hymne en raison de l’opposition de Moufdi Zakaria au système socialiste (le poète est mort en exil à Tunis en 1977). Un concours avait été alors organisé en 1964. Abderrahmane Benhmida, ancien condamné à mort, s’était chargé de l’organiser. 65 poètes avaient participé au concours. Moufdi Zakaria avait proposé un autre chant et il était le meilleur, « Nachid el khouloud ». Après juin 1965 et le changement du système, Qassaman avait été finalement maintenu comme hymne national », a confié Lamine Bechichi. Le compositeur algérien Haroun Rachid a ajouté le prélude rythmique au Qassaman.

« La génération de la plume au roseau »

A la fin des années 1960, Lamine Bechichi était conseiller au ministère de l’Education et composait des chants éducatifs. « J’ai ainsi composé les musiques de l’émission télévisée « Al Hadika sahira » (le jardin magique). Le générique de fin était en fait un chant destiné pour faire l’Au revoir à l’école en juin et pour faire hommage aux enseignants. Lors des premières années de l’indépendance, les enseignants habitaient dans les hammams. Ils avaient relevé le défi », s’est-il souvenu.

Il avait ensuite participé à l’organisation du Premier Festival culturel panafricain (PANAF) en 1969, puis dirigé l’Institut national de musique. Lamine Bechichi, violoniste et comédien aussi, était parmi les membres fondateurs de l’Académie musicale arabe en 1971. Il avait composé le générique du feuilleton « Al Hariq » (L’incendie) de Mustapha Badie en 1974 et écrit la partition musicale de la célèbre chanson de la sud africaine Miram Makéba, « Ana houra fel djazair ». 

Après un passage du ministère de la Culture, au début des années 1980, Lamine Bechichi avait été chargé de la direction générale de la Radio algérienne, entre 1991 et 1995, avant d’être nommé ministre de la Communication dans le gouvernement Mokdad Sifi en 1995. 

« Le bonheur c’est être bien avec soi même. Si notre société voudrait vivre en harmonie, elle doit adapter les règles de la chorale. Chaque chanteur doit écouter la voix de celui qui est à ses côtés. Je suis de la génération de la plume au roseau. Aujourd’hui, nos jeunes ont le monde entre leurs mains grâce à internet. Sans les conseiller, nos jeunes savent quel chemin suivre. Il faut qu’on soit fier de notre Histoire et qu’on lève très haut notre drapeau», conseillait Lamine Bechichi. Il considérait l’islam comme « une religion de vie, de science, d’art et de propreté ».

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