Les nus perdus*

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Portrait de Kheira Flidjani
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Lorsque l’on fait de la recherche sur un sujet, certains jours sont plus fructueux que d’autres et c’est souvent le hasard au détours d’un livre, d’un article ou d’une conversation que l’on découvre un chemin qui nous ouvre une nouvelle perspective. C’est en feuilletant la programmation d’une galerie algérienne où je me questionnais sur la place des femmes artistes que je tombais sur une absence plus dense que certaines présences : Kheira Fildjani

Kheira Fildjani est née en 1912 à Constantine (décédée en 1991) . 

Celle-ci a suivi ses études en France où pour accéder à l’Ecole des Beaux-arts, elle exerça divers métiers artistiques dont des petits rôles dans le cinéma pour payer ses cours.Elle a côtoyé Matisse et Picasso. 

Elle fut emprisonnée par la France pour ses activités de soutien à l’indépendance algérienne . 

 En 1963, Kheira Flidjani retourne en Algérie et sera membre fondatrice (avec Mesli, Khadda et d’autres) de l’Union nationale des arts plastiques (UNAP). 

Elle commença tout d’abord à peindre des paysages, des natures mortes,puis elle fit de son sujet central, le corps, le nu . Kheira Flidjani a été ostracisée même par ses collègues artistes à cause du sujet de ses peintures . Des voix s’élevèrent violemment contre elle mais elle ne lâche pas prise et continua le combat pour son art . Ses références vont de Modigliani, Picasso à Renoir.  Elle exposa individuellement à Alger en 1976 ; puis suivirent des expositions collectives (à Alger de 1964 à 2013) et à  Oran en 2007. 

Depuis le culte antique de la beauté des corps, célébré  par les maitres de la Renaissance, le nu est une composante des genres à étudier dans l’histoire de l’art, car il pose la question du corps . Pourtant, aujourd’hui, nous n’avons aucune trace de son travail en Algérie, aucun catalogue, aucune photo, seul reste un autoportrait alors que les murs de son appartement étaient remplis de ses toiles . 

Certaines de ses œuvres seraient au musée de l’Orangerie à Paris.

Pour rappel l’accès des femmes à l’école des Beaux-Arts à Paris, ville symbole à l’époque de l’excellence de la formation artistique, fut le fruit d’une lutte sans relâche face aux virulents opposants et aux mentalités .

Les arguments contre l’entrée des femmes aux Beaux-arts étaient principalement d’ordre politique, moral et culturel (avec le problème de la nudité des modèles vivants lors des classes de dessin) . Les politiques de l’époque pensaient donc même que l’institution d’ateliers séparés par sexe ne résoudrait pas le problème. Il serait encore plus accentué par des classes mixtes. L’homme a besoin de concentration pour pouvoir opérer ce travail : la compagnie de jeunes filles le distrairait… on croirait entendre les arguments de nos barbus .

En 1900, en France  les femmes purent enfin entrer dans un atelier qui leur était destiné. Cet atelier demeura unique jusqu’à la fin des années vingt . Mais, il allait donc falloir résoudre le problème des « nus »…

Jusqu’à la seconde moitié du XIXème, la ségrégation et la hiérarchisation des deux genres et sexes atteint un degré sans doute jamais égalé dans l’histoire : le triomphe de la bourgeoisie est aussi celui de la pudibonderie, de la dissimulation aux femmes de leur corps et de celui des hommes. 

En 1901, le Conseil Supérieur de l’École finit par décider « que le modèle serait nu, mais que les femmes le dessineraient, non pas en même temps que les hommes, mais après, pour satisfaire aux exigences de la « bienséance ».

En 1903, les femmes furent autorisées à se présenter au prix de Rome, récompense artistique décernée aux artistes des Beaux-Arts permettant de séjourner à la villa Médicis.

Alors Kheira Flidjani racontez-nous ces parfums cueillis dans les jardins de Monet, de Blida ou Constantine, dites nous ces corps peints, ces nus que nous ne verront jamais. 

Si on s’approchait, est-ce que l’eau de roses envahirait nos narines ? 

Et la menthe frottée sur les corps mélangée à la lavande, la coriandre et le musc ?

Est-ce que ces interrogations ont un sens ? 

Dites leur ! 

Et surtout ne coupez pas les roses pour les leur porter, juste parlez d’elles, dites leur les senteurs mêlées aux odeurs sur leurs coeurs absents… 

*en référence au recueil de poésie de René Char Le nu perdu

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