Les journées de décembre 1960 : Le tournant décisif

1
Les journées de décembre 1960 : Le tournant décisif
Google Actualites 24H Algerie

Le 11 décembre 1960, au chant de

                      Min djibalina talaa saoutou el ahrar,

                     Younadina lil istiqlal

le peuple algérien descend dans la rue, la poitrine nue, face aux mitrailleuses françaises. « C’est fini, on ne se taira plus, même s’il faut en mourir », clame –t -il.

Bravant la mort, la jeunesse – qui a grandi dans la guerre –  prend l’initiative et occupe le haut du pavé dans les grandes villes comme Alger, Oran et Constantine, où la population algérienne – les indigènes comme les Européens les appelaient – est surveillée de très près par les officiers français de l’action psychologique, à travers les Sections administratives urbaines (SAU). Le peuple, les mains nues, descend également dans la rue à Philippeville (Skikda), Bône (Annaba) Bougie (Bejaia), Blida, Cherchell, Tlemcen, Orléansville (Chlef) …

Pour illustrer l’ampleur de ces manifestations populaires patriotiques, je voudrais évoquer l’exemple de Belcourt et de la Casbah.

 Belcourt, 10 heures du matin

 Sous une pluie fine, une marée humaine, brandissant le drapeau de l’Algérie combattante, symbole de la nation algérienne, surgit des bidonvilles et des cités de recasement du Vieux Kouba, du Ruisseau, du Clos-Salembier, de Birmandreis, en passant par le Ravin de la Femme Sauvage. Grossie par la foule descendue des hauteurs de Belcourt et des lieux environnants, elle s’approche du quartier européen du Champ-de-manœuvres où s’étaient groupés les partisans de l’Algérie française, menaçants.

Sur fond du chant patriotique Min Djibalina, des milliers de voix entonnent à l’unisson :

                       Vive le GPRA

                       Abbas au pouvoir

                       Algérie musulmane

                       Vive l’ALN !

                       Vive le FLN !                     

« C’est un spectacle qui coupe le souffle, écrit un journaliste français. La rue Albert – Rozet (laaguiba comme les enfants de Belcourt la nomment), une ruelle de 3 mètres de large, qui descend sur près de 800 mètres des hauteurs de Belcourt, semble prête à éclater sous la tempête qui s’y déchaîne. 5000 Musulmans  sont entassés et brandissent des drapeaux vert et blanc à croissant rouge, des pancartes » 

Algérie indépendante

                       Libérez Ben Bella

                       Referendum sous contrôle de l’O N U

                       Lagaillarde au poteau

Au premier rang, des jeunes – qui étaient adolescents le 1er novembre 1954 – lèvent le poing. Derrière eux, des jeunes de leur âge, juchés sur des épaules, brandissent des pancartes « Vive le FLN ». Sur une large banderole barrant la rue de Lyon (aujourd’hui Mohamed Belouezdad), est écrit en grosses lettres

                        Négociations avec le GPRA.                   

en réponse au général de Gaulle, Président de la République française, qui, avant d’entamer son voyage en Algérie au mois de décembre 1960, avait réaffirmé son refus de discuter avec le GPRA de l’avenir de l’Algérie, lors d’un discours prononcé à Paris le 4 novembre, un mois auparavant.  Le but de son voyage en Algérie, minutieusement préparé, était de présenter aux corps constitués son projet de loi qu’il devait soumettre à référendum le 8 janvier 1961. Le projet de loi portait sur la mise en place d’un Parlement et d’un exécutif algérien « qui, une fois établis, détermineront, en temps utile, la date et les modalités du référendum d’autodétermination ». « Construire l’Algérie algérienne sans et contre le FLN », affirmait Bernard Tricot, collaborateur immédiat de de Gaulle. C’est cette politique que les officiers de l’action psychologique voulaient faire plébisciter par les Algériens.

L’agression armée des ultras du colonialisme

Les militants du Front de l’Algérie française, accueillirent, par des cris hostiles, l’arrivée du président de la République française en Algérie le 9 décembre 1960. Ils appelèrent à manifester par l’observation d’une grève générale. C’est pour étendre cette grève aux quartiers musulmans qu’un commando du FAF est entré en force dans Belcourt, agressant les commerçants musulmans qui ne voulaient pas baisser le rideau de leurs magasins (il y a eu 5 morts le vendredi soir et 6 morts le samedi matin). « Ils sont venus nous provoquer, déclara un jeune de Belcourt à l’envoyé spécial du quotidien français Le Monde. Nous avons réagi ». C’est la cause de la manifestation du samedi soir, 10 décembre, qui était une réplique à l’agression armée, aux violences sanguinaires, perpétrées par les ultras du colonialisme.

La conscience politique

Les jeunes, issus pour la plupart de la société rurale, étaient cependant conscients de l’enjeu. Leur réaction fut politique. Ils surprirent, par leur maturité, les officiers de l’action psychologique qui pensaient les entendre crier « Algérie algérienne », avalisant, par- là, la politique néocoloniale du général de Gaulle.

En voyant le drapeau de l’Algérie combattante, préparé dans la nuit dans les foyers des quartiers populaires, surgir le lendemain  matin 11 décembre,  un des officiers confie à un journaliste français : « Nous avons subi un véritable Diên Biên Phû psychologique… Pensez qu’on crie « Vive le FLN ! ». Reprenant cette réaction, le journaliste écrit : « L’explosion des sentiments populaires…réduisait à néant les constructions de l’action psychologique ».

A la Casbah assiégée

Un autre exemple pour illustrer ces manifestations sorties des entrailles de la société humiliée par le colonialisme français. Celui de la Casbah, berceau du nationalisme algérien, symbole de la lutte permanente contre l’ordre colonial sanguinaire, la Casbah qui connut la torture et les disparitions au cours de la grande répression de 1957, dite « Bataille d’Alger ».

 La Casbah, assiégée, entourée d’une triple rangée de barbelés, la Casbah des guillotinés, réveillée par les you you des mères des martyrs, clame à pleins poumons

                                                Tahya el Djazair,

                                                Yahia el Istiqlal.

A travers les ruelles en escaliers de la Vieille Ville surpeuplée,  les enfants, qui n’ont connu que la répression, arborent le drapeau de la nation algérienne. Ce fut de même au quartier populaire du Climat de France, sur les hauteurs de la Casbah.

Sur tout le territoire algérien

Les manifestations patriotiques de masse gagnèrent tout le territoire, malgré les dangers de mort. Car il y a eu des morts par centaines. Les parachutistes avaient été amenés pour tirer sur la foule à Alger, à Oran. A Belcourt, ils assassinèrent la petite écolière Saliha Ouatiki (13 ans) dont l’enterrement au cimetière Sidi M’Hamed fut troublé par les tirs des militaires français sur la foule qui accompagnait l’enfant-martyr à sa dernière demeure.

Si le peuple un jour veut…

En ce mois de décembre 1960, la guerre d’indépendance entrait dans sa septième année. Les manifestations de masse, se conjuguant à la lutte armée, contraignirent le gouvernement français de discuter de l’avenir de l’Algérie avec le GPRA, et de signer avec lui le cessez-le-feu, le 18 mars 1962.

Prélude à la victoire finale, les grandioses manifestations populaires qui, largement médiatisées, connurent un grand écho en France et dans le monde, jusque dans les couloirs de l’ONU,  marquèrent un tournant décisif dans la longue lutte du peuple algérien pour l’indépendance. 

*C’est à Diên Biên Phû, au Viet Nam, que le corps expéditionnaire français subit la défaite qui sonna le glas du colonialisme français dans cette région. Un historien allemand qualifia les manifestations de décembre 1960 en Algérie de « Diên Biên Phû politique » pour la France impériale.

Article précédentSaloua, la voix distinguée de l’élégance et de la subtilité
Article suivantLes biennales d’art contemporain

1 commentaire

Laisser un commentaire