Jacques Berque l’Algérien

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Jacques Berque l’Algérien
Jacques Berque l’Algérien
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Au début des années 1980, Jacques Berque est, une nouvelle fois, en visite en Algérie. C’est un enfant du pays, natif de Frenda, et il est toujours accueilli comme tel. Invité de l’émission « kateb wa kitab » (émission misérable à caractère prétendument culturel de la RTA), il tacle sèchement l’animateur qui lui rappelait les méfaits de l’impérialisme culturel, surtout dans le monde arabe, notion très en vogue dans les déserts culturels.

En guise de réponse, Berque lui demanda de lui expliquer le paradoxe suivant : pourquoi les Arabes, du temps de leur splendeur, à un moment où leur production livresque dominait le monde par sa qualité et sa surabondance, ne méprisaient pas l’apport étranger et que maintenant, alors que leur production est presque nulle, ils rejettent ce que produit l’étranger. L’hôpital qui se moque de la charité en quelque sorte. Tel est le souvenir qui m’est resté de la dernière visite de Jacques Berque en Algérie.

S’il y a un français né en Algérie dont l’algérianité n’a jamais fait problème, c’est bien Jacques Berque. Se considérant lui-même comme partie intégrante de ce territoire, il n’a jamais rien renié de ce pays : ni ses hommes, ni ses combats, ni ses espoirs. Jusqu’à la fin de sa vie, il n’a cessé de se nourrir de la sève de l’Algérie.

Aux dires de sa femme, il est mort en 1995 accablé par ce que la barbarie intégriste faisait subir à l’Algérie en ce temps-là. Il n’avait évidemment jamais imaginé un tel sort pour sa terre natale.

Son attachement viscéral à l’Algérie a fait qu’il décida de son vivant de faire don de sa bibliothèque à sa ville natale Frenda, petite bourgade du sud-ouest algérien, à une cinquantaine de kilomètres de Tiaret.

Il apprît l’arabe parlé d’abord, de façon naturelle, au contact de la population et de ses camarades d’école. Il en fera plus tard le sujet de ses études et deviendra un éminent arabisant.

Jacques Berque est un anthropologue orientaliste, titulaire de la chaire de Sociologie religieuse à la Sorbonne, membre de l’Académie arabe du Caire. La liste de ses titres et travaux est impressionnante et la détailler nécessiterait des dizaines de pages.

Toute sa vie, il tenta d’établir des passerelles entre Orient et Occident, deux mondes qu’il n’imaginait pas antagonistes, mais au contraire complémentaires. Il se voyait lui-même comme le produit de ces deux mondes et n’en éprouvait aucune contradiction.

Sa traduction magistrale du Coran a été un moment déterminant aussi bien pour lui que pour les études coraniques. Il y consacra plus de dix ans de sa vie. Malgré toutes les références dont il pouvait valablement se prévaloir, il éprouva quelques doutes à s’engager dans cette entreprise de longue haleine, alors que certains, beaucoup moins qualifiés que lui, s’y sont risqués sans aucun scrupule. C’est dire l’humilité du grand savant.

« Jacques Berque a développé une œuvre intellectuelle unique »

Durant plus de quarante ans, Jacques Berque a développé une œuvre intellectuelle unique, qui a marqué la discipline, avec en parallèle un engagement total et sincère pour les causes qu’il estimait justes, dont l’Algérie et ses combats ante et postindépendance occupaient une place prépondérante, ainsi que la Palestine.

Il va sans dire que cette activité de recherche, de réflexion, d’écriture, de traduction et de travaux sur le terrain a eu comme corollaire indispensable l’établissement d’une bibliothèque personnelle que l’on imagine extraordinaire et exceptionnelle à tous points de vue. Elle est estimée à plus de trente mille livres. Et surtout on imagine aisément la valeur et la qualité des annotations qui ne doivent pas manquer.

L’idée de Berque est bien sûr d’honorer la ville qui l’a vu naître et pour laquelle il garda une affection jamais démentie, comme en témoignent ses fréquentes visites, tout au long de sa vie.

Mais on peut aisément imaginer une intention plus grande : sortir Frenda de l’anonymat (anonymat qu’elle n’aurait d’ailleurs jamais dû connaître, ne serait-ce que parce que Ibn Khaldoun y rédigea son œuvre monumentale La Muqaddima) et en faire un véritable centre de recherches à partir de la bibliothèque et des centres d’intérêt que Berque développa tout au long de sa vie.

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