I'm not your negro, quand raoul peck rappelle au monde libre ses traumas
Affiche du documentaire I'm not your negro de Raoul Peck
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I can’t breathe”. La mort, filmée, de l’américain George Floyd, étouffé, le 25 mai 2020, par le genou d’un policier de Minneapolis alors qu’il gisait menotté à terre, provoque un vent de révolte aux Etats-Unis sans précédent depuis l’assassinat de Martin Luther King. L’exaspération contre les violences policières ciblant les noirs est forte. I Am Not Your Negro “Je ne suis pas votre nègre”, nominé aux oscars 2017 et lauréat du meilleur film documentaire des césars 2018, du haïtien Raoul Peck, illustrait la permanence d’un racisme institutionnel dans les Etats-Unis “libres et démocratiques.” 

Une véritable gifle. Trois ans avant l’assassinat de George Floyd, Peck avait établit le lien entre le mouvement pour les droits civiques au 20e siècle et les luttes contemporaines contre l’injustice policière de Black Lives Matter. Plus qu’un récit des luttes des noirs américains pour leurs droits civiques, ce documentaire de 93 minutes rappelait à l’Amérique d’aujourd’hui ses traumas. Il montrait surtout que le problème reste entier depuis l’abolition de l’esclavage par Abraham Lincoln. Le treizième amendement à la Constitution des États-Unis qui a pris effet le 18 décembre 1865 énonce “ni esclavage, ni aucune forme de servitude involontaire ne pourront exister aux États-Unis, ni en aucun lieu soumis à leur juridiction”. Et pourtant près de deux siècles après, c’est loin d’être une question réglée.

Avec des textes du militant et écrivain James Baldwin, lus par Samuel Jackson, on reste littéralement scotché à ce film, emprunt à la fois de rage et et sagesse, relatant la vraie histoire du “rêve américain”. 

De la traite des esclaves à l’adoption de la Constitution américaine et jusqu’à l’élection de Barack Obama, le premier président noir des États-Unis, rien n’a été simple pour les afro-américains. Les évènements de Ferguson en 2014 ont rappelé la difficulté d’être un noir dans une Amérique qui se veut égalitaire en droit et qui refuse, en même temps, de reconnaître qu’elle est encore et toujours raciste. 

Raoul Peck réussi cet exploit de faire raconter à James Baldwin, décédé en 1987, des évènements survenus même après sa mort sans retoucher un mot des textes et interventions de l’un des brillants cerveaux de la lutte pour les droits civiques américains. 

Peck raconte Malcolm X, Evers et King, mais surtout Baldwin, qui a incarné le grand espoir égalitaire. On assiste à leurs discours, à leurs conférences et à leurs analyses des évènements. On entend leurs plaidoyers déchirants, leurs cris de rage et leurs espoirs prononcés dans meetings ou plateaux des télévisions américaines.

S’appuyant sur un manuscrit de 1979, projet de livre qui ne verra jamais le jour, autour de trois leaders de la lutte pour les droits civiques, Martin Luther King, Malcolm X et Medgar Evers, tous assassinés avant l’âge de 40 ans, Raoul Peck explique à travers James Baldwin la complexité du trauma américain.

“Votre rêve est un leurre”

Remontant aux sources de l’exclusion et de la violence indissociables de l’identité américaine, James Baldwin comme une voix de la conscience qui parvient du passé et qui interpelle le présent et l’avenir sur la réalité américaine. 

 Cet examen de conscience est d’autant plus poignant car il est fait par un homme enterré depuis trente ans déjà. “Votre rêve est un leurre, votre histoire, une fiction et votre mode de vie est l’expression d’une pauvreté émotionnelle abyssale, lâche l’écrivain sur fond d’archives imbriquées où s’entrechoquent les luttes du passées avec la ségrégation et les flambées actuelles des violences raciales.

Si pour Baldwin l’homme noir “tire sa colère de sa rage”, “l’homme blanc tire sa haine de la terreur qu’il focalise sur le Noir.” Rien n’est encore réglé : tant qu’une partie refuse de regarder la réalité de l’autre. “L’histoire des nègres américains est l’histoire de l’Amérique…et elle n’est pas belle”, affirme James Baldwin. 

Comme le soulignait l’ancienne ministre de la justice française Christiane Taubira dans un article sur le documentaire publié dans Le Monde, il n’y pas une “négro question” aux États-Unis, la question est “celle de la violence institutionnelle et des mensonges que l’Amérique se raconte sur sa propre histoire, ses contes sur la conquête de l’Ouest, l’embellissement de ses crimes, l’escamotage de ses parjures, la sublimation de ses valeurs pourtant maculées dès la ­Déclaration d’indépendance (1776)… ”

“I Am not your negro” est un documentaire cru sur le racisme américain. Ce film poignant de Raoul Peck démontre que si les choses ont évolué depuis les années sombres de la lutte pour les droits civiques, un long parcours reste à faire. Les archives permettent de remonter aux origines de ce chemin sombre et sanglant creusé dans la violence et l’exclusion. Un réel électrochoc pour ceux qui pensent que le racisme est marginal dans l’Amérique d’aujourd’hui et que les violences policières ne sont que des accidents de parcours. Ce n’est pas pour autant un cri de désespoir car James Baldwin pensait que la voie restait ouverte pour une possible fraternité.  Les réactions de très nombreux américains, noirs mais aussi blancs, à la suite du supplice mortel infligé à George Floyd, le laissent espérer. Il faut revoir “I’m not your negro”, il est d’une actualité brûlante.

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