Hommage à Abdelhamid Mehri: le grand éclaireur (*)

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1er juillet 1960 De gauche à droite : Abdelhamid Mehri, Ferhat Abbas, Mohamed Yazid, Ahmed Boumendjel. Photographie : Marc Riboud
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C’est une mémoire vive et vivante du mouvement national, de la guerre d’indépendance, de la construction chaotique de l’Etat national et du combat entêté pour la démocratie et le Maghreb qui s’est éteinte le 30 janvier 2012 avec le décès de M.Abdelhamid Mehri à l’hôpital militaire d’Aïn Naadja où il était hospitalisé depuis le début du mois.

Pour ceux qui l’ont connu et ceux qui l’ont approché, Abdelhamid Mehri a été constamment un éclaireur. Celui qui ne se perd pas dans les détails et dans les diversions et qui va vers l’essentiel. A 86 ans, cet homme a eu une vie pleine. C’est un combattant au long cours,  un homme curieux qui s’informe constamment. Un homme moderne dans le sens plus précieux du terme, beaucoup plus moderne et plus libre que les présumés modernistes qui lui ressortaient constamment le cliché d’avoir été « dans le système ».

Cet homme qui a pris la direction du FLN après les évènements d’octobre 1988 a très rapidement compris que le système était fini et qu’il risquait de devenir une menace pour le pays. Le mode de contrôle politico-policier mis en place a peut-être joué un rôle positif pendant une certaine période, mais à la fin des années 80, il était bel et bien terminé. Il était très naturel que cet « ancien » se retrouve plus en osmose avec les jeunes réformateurs qu’avec les défenseurs des « constantes » qui ne servent qu’à justifier l’immobilisme et la permanence d’un système inefficace. Et surtout, cette défense d’un changement de système, d’une démocratisation du pays, Abdelhamid Mehri, ne la voyait pas comme une déviation – c’est ainsi qu’elle a été perçue par les tenants du régime – mais comme l’affirmation d’une fidélité aux objectifs du mouvement national et de la révolution algérienne. « La restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques » et le « respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de races et de confessions » annoncés dans la proclamation du 1er novembre n’étaient pas des paroles creuses. Elles constituent pour l’homme engagé dans son siècle, des objectifs vivants qui méritent que l’on se batte pour eux. Tout comme l’idéal maghrébin sur lequel il n’a jamais transigé.

Les buts de la révolution ? L’indépendance, la démocratie et le Maghreb

Abdelhamid Mehri qui a assisté au Congrès maghrébin historique de 1958 n’a jamais admis la fermeture des frontières entre l’Algérie et le Maroc. Toutes les vicissitudes politiques entre les deux Etats – dont il connaissait parfaitement l’archéologie politique– ne justifiaient pas à ses yeux cette frontière fermée. Et même s’il était persuadé que le Maghreb et la démocratie vont de pairs et constituent des combats au long cours, il reprochait aux dirigeants en place de ne pas faire ce minimum qui fait que les relations entre l’Algérie et le Maroc soient, au moins, du niveau de l’ordinaire. C’est que pour cet homme dont les argumentaires sont souvent puisés dans l’histoire, dans une expérience extraordinaire acquise dans un parcours remarquable – aussi bien par sa richesse que par sa profonde constance – les buts de la révolution algérienne restent intacts : l’indépendance, la démocratie et le Maghreb.

Cet homme d’une grande courtoise et d’un grand humour croyait en la force de l’argument. Et il ne doutait pas que dans une société complexe vivant dans un environnement complexe la force d’un pays n’est pas dans la force, dans son armée ou dans ses services – ce ne sont en définitive que des instruments – mais dans l’attachement et l’adhésion des citoyens à des institutions et à des projets.

Dans les tumultes des années 90

 Il n’était pas surprenant de le retrouver dans les années 90 dans le combat pour la démocratie. Il a été le premier à comprendre – il a mis en garde Abassi Madani de manière publique – que le FIS et ses excès allaient être instrumentalisés contre le processus démocratique. Cela ne l’a pas empêché d’être contre l’arrêt du processus électoral en 92, non seulement par conviction démocratique mais aussi par la certitude que c’est une fausse solution qui coutera cher à l’Algérie. Cela ne l’a pas empêché de chercher des solutions et d’aller, jusqu’à Rome, pour signer avec d’autres forces d’opposition le Contrat national pour une sortie pacifique de la crise. Le texte – il est toujours accessible – posait des modalités concrètes qui ont suscité une rage jamais égalée au sein du régime.

Aujourd’hui encore, on est fasciné par l’ampleur de la campagne en trahison et en hérésie qui a été déclenchée contre lui avec des « marches spontanées » à l’appui. En 2008, Abdelhamid Mehri a voulu organiser un rencontre universitaire et scientifique à l’occasion du cinquantenaire de la déclaration de Tanger. Alors que tout était prêt, l’interdiction est tombée. Abdelhamid Mehri en a été affligée car la rencontre ne constituait pas une « menace ». Il en surtout tiré la conclusion que le régime n’est pas prêt à la moindre ouverture.

Cela n’a jamais pourtant dissuadé M.Mehri de combattre et d’intervenir sur la scène publique par des contributions et des lettres ouvertes qui éclairaient les enjeux et fournissaient des grilles aux algériens. Abdelhamid Mehri aura été militant jusqu’au bout. Il a été constamment proche des algériens. Même ceux qui croyaient qu’il était leur adversaire voire leur ennemi. Mehri, c’est un grand patriote algérien, un démocrate et un maghrébin. Il a été ce que nous souhaitons pour nous-mêmes et pour nos enfants.…

Article paru dans le Quotidien d’Oran du 31 janvier 2012

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