Un Hirak résilient, un régime autiste: pourquoi il faut urgemment changer de paradigme

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Un Hirak résilient, un régime autiste: pourquoi il faut urgemment changer de paradigme
Un Hirak résilient, un régime autiste: pourquoi il faut urgemment changer de paradigme
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Le Hirak est bien vivant, et seuls ceux qui l’ont enterré, par conviction ou par précipitation, sont surpris. Du côté du pouvoir, il y a une persistante erreur de diagnostic sur ce qu’est cette lame de fond d’une société inquiète de voir un ordre politique suranné, inefficace, dispendieux et corrupteur, menacer les fondements de l’Etat national et l’avenir du pays.

 La lecture sécuritaire – accompagnée d’un traitement par la répression – réduit ce mouvement à une entreprise subversive islamiste ou berbériste, quand ce ne sont pas les deux réunies, conçue et actionnée par la “main étrangère”, Otpor, Soros et une multitude d’autres officines. On aura même eu des éditocrates qui ont trouvé dans le pacifisme éprouvé du Hirak la “preuve” de l’existence de cette “main étrangère” et d’une insertion du Hirak dans les révolutions oranges. Comme si les Algériens étaient génétiquement violents et qu’ils ne pouvaient pas tirer des enseignements, par eux-mêmes et pour eux-mêmes, de la tragédie des années 90 ! 

La diabolisation de la “transition”

Toutes ces accusations convergent vers le procès en anti-patriotisme à l’encontre de ceux qui ont défendu – et défendent – une transition politique. Ceux-là sont accusés, sans aucune autre forme de procès, de vouloir détruire l’Etat, d’obéir à des agendas extérieurs ou de vouloir prendre le pouvoir sans passer par les urnes. 

On n’insistera pas sur la manière grossière et humiliante pour l’intelligence des Algériens dont les médias officiels et off-shore assènent ces accusations, mais on peut y voir un signe clinique d’aveuglement et de décalage abyssal entre la vision du régime et les aspirations communes d’une société au demeurant très diverse au plan sociologique, idéologique et politique. 

C’est bien cette exigence commune – qui ne fait pas du Hirak un parti unique qui occulte les différences et contradictions qui traversent la société – de sauvegarde de ce qui reste d’Etat qui fait que ces accusations n’ont aucun effet. La diabolisation extrême du mot de transition, associée à des phantasmes et à des complots à n’en plus finir qui viseraient la “destruction” de l’Etat a été le paravent pour refuser d’écouter ce que la société, dans son unité et sa diversité, réclame: un changement de paradigme et donc un changement de régime. 

La feuille de route du régime – élections présidentielle, révision de la constitution, élections législatives – tourne le dos à la société en prétendant restaurer un régime discrédité moralement et politiquement. Outre l’échec en termes de taux de participation aussi bien à la présidentielle que pour le référendum, les manifestations du 22 février 2021 montrent qu’il n’existe pas de résignation chez les Algériens et que la répression menée sur fond de crise sanitaire n’a fait que renforcer leur détermination. 

Ces manifestations disqualifient déjà la prochaine étape de la feuille de route du régime, celle des législatives. Même si le régime espère susciter des appétits et des vocations au sein du Hirak qui viendrait s’ajouter à celles des partis traditionnels, ces élections, organisées dans les conditions actuelles, seront boudées par les Algériens. On n’est pas dans un malentendu, on est –et c’est grave- dans deux optiques totalement divergentes. Les Algériens ne sont pas, aujourd’hui, en train de demander un changement d’APN. Ils veulent une transformation démocratique du pays. La transition a pour objectif d’organiser et de mener à bien cette transformation pour que l’élection d’une assemblée nationale ne se réduise plus à la promotion d’un certain nombre d’individus au statut de députés. 

Son objectif est de faire de cette assemblée un vrai lieu de la politique, de la délibération, de la négociation et du débat public. L’ambition exprimée par le Hirak pour le pays est beaucoup plus grande que l’appât de la députation.  Car en définitive – et le pouvoir et ses éditocrates le savent – une transition n’est pas du tout un démantèlement de l’Etat ; elle consiste à rendre effective les libertés, à abolir les lois liberticides, à mettre fin au contrôle grossier et contreproductif des médias, à ouvrir le champ politique. 

Si le Hirak a quitté les rues pour cause de pandémie, le régime n’a pas saisi l’opportunité de faire des ouvertures politiques allant dans ce sens. Il a réprimé, et en voulant gagner du temps pour lui, il en fait perdre au pays. Car l’Algérie n’a plus beaucoup de temps. Les faux espoirs mis dans une remontée des prix du baril hérissent au plus haut point les économistes qui s’attendent à un choc vertigineux du fait des multiples déficits qui enfoncent l’économie dans l’impasse. L’ajustement – qui aurait pu se faire avec moins de douleur en 2010 – désormais inévitable, va être extrêmement dur. Et si la question de la légitimité – et donc de la citoyenneté effective et non “spécifique” – n’est pas résolue, il y a vraiment de quoi être inquiet. En tous cas, il est sûr que les classes populaires n’accepteront pas d’être la seule variable d’ajustement. 

Le régime crée le vide

Le régime n’a même pas entendu le message sage de Mouloud Hamrouche expliquant qu’il n’était pas nécessaire de créer un “vide” dans le pouvoir – histoire de répondre à ceux qui diabolisent l’idée de transition – pour aller vers un compromis historique visant à renforcer l’Etat et à permettre au pays de faire face à de très graves défis. Le régime crée lui-même le vide avec une propagande qui tourne à vide et qui est constamment tournée en dérision sur les réseaux sociaux. 

Le message de Mouloud Hamrouche est plus que jamais présent après tout ce temps perdu: seules les libertés peuvent sauver l’Etat et être fondatrices, par un processus politique ouvert, d’un nouveau consensus pour un renouvellement du projet national. Ce n’est pas en poursuivant une feuille de route de restauration par des élections législatives que l’on créera les conditions d’un renouvellement du projet national.

Ceux qui ont battu le pavé ce 22 février 2021 n’ont fait que le rappeler: il faut changer de paradigme. La société algérienne n’était qu’un objet opaque, hostile et inquiétant au yeux du régime, alors que, pas à pas, elle est en train de prendre ses responsabilités et d’avancer sur le chemin de la réalisation de son objectif primordial : la construction de l’Etat de droit.   

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4 Commentaires

  1. Merci pour ta clairvoyance à un moment où il n’est pas évident d’y voir claire et de garder son calme.

  2. Bonjour,
    J’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’article de blog de Saïd Djaafer. Son analyse est d’un intérêt certain. Cependant, je me permets d’émettre une réserve quant à l’usage du mot “autiste” dans le titre.

    Il est utile de souligner que l’autisme est une pathologie à plusieurs variantes. Il n’y a pas un autisme mais des autismes dont l’atteinte est à multiples strates. C’est donc une maladie comme une autre.

    En l’utilisant, ici, comme un adjectif dégradant contre le pouvoir, l’auteur élargit, sans intention volontaire (hors de moi donc l’intention de lui faire un procès d’intention), le spectre de la stigmatisation des personnes atteintes d’autisme.

    La langue française étant riche, l’auteur sera mieux inspiré de choisir un autre adjectif pour désigner la sourde-oreille (en voici un) du pouvoir à l’encontre des revendications citoyennes.

    On peut bien cibler ce pouvoir, anti démocratique et liberticides, mais sans avoir à faire subir aux personnes atteintes d’autisme les ricochets d’un concept mal choisi, qui ne s’adapte pas au contexte du moment et qui, surtout, amoindrit le propos de son auteur car il touche une partie de la population qui a plus besoin d’écoute et de prise en charge de l’État que de stigmatisation.

    Je vous remercie de remédier à la situation, par respect pour toutes ces personnes qui souffrent de l’autisme et qui sont déjà marginalisées, pour ne pas dire méprisées par ce pouvoir et par une société rétrograde.

    Avec mes salutations.

  3. Cher Salah.
    Pour avoir dans mon entourage quelqu’un qui souffre d’autisme, je suis loin de considérer l’expression comme une insulte ou une volonté de dévaloriser. L’idée était destinée à dire que le régime n’écoute pas sa société. Mais je tiendrais compte à l’avenir de votre remarque, je bannirai l’usage du mot autiste du lexique de l’analyse politique. Bien à vous. Saïd Djaafer

  4. Le terme résilient ou résilience est mis depuis peu à toutes les sauces. Tous les spin doctors tous les RH demandent aux employés d etres résilient et agiles. Même le président français a sorti je ne sais plus quelle initiative de résilience . Quand on ouvre le dictionnaire on trouve pleins de synonymes . Bref chacun suivra la mode qui l arrange

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