Des printemps arabes au Hirak, les Picturies ont préfiguré le mouvement populaire dans la société algérienne

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Mourad Krinah, Sofiane Zouggar et Hichem Belhamiti
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A quelques semaines de l’anniversaire du Hirak , ayons une pensée reconnaissante à ce qui a précédé à ce mouvement national, populaire, pacifique, et, dont les artistes -comme bien souvent dans l’histoire- ont préfiguré le sens, l’épaisseur.  

Ce mouvement artistique que nous n’avons pas su interpréter comme ces rêves qui nous ont échappé tant leur signifiant est subtil. 

Six années avant le Hirak, les artistes avaient investi l’espace public à Alger avec Picturie 1 en 2013, Picturie 2 en partenariat avec La Baignoire de Samir Toumi en 2014 et Picturie 3 au Marché Volta en 2016. 

Les artistes qui ont participé aux Picturales générales

Les artistes de la première «Picturie générale»  issus de l’Ecole des Beaux Arts d’Alger Djamel Agagnia, Sofiane Zouggar, Mourad Krinah (commissaire à l’exposition), gravitent autour du collectif Box 24

Le titre de la manifestation, «Picturie générale», reflétait  lesprit joyeux voire ludique de lentreprise, sa version arabe, «mawad fanniya 3amma» a été imaginée par Sofiane Zouggar, pour suggérer lidée de la supérette avec ses différents produits alimentaires . Puis Zineddine Bessaï a traduit lexpression en français en jouant sur les mots «épicerie» et «peinture/pictura» qui peut aussi renvoyer à Warhol avec sa Factory .

Le lieu est aussi symbolique puisque comme l’écrit Samir Toumi il n’est pas n’importe quel Souk El Fellah, celui de la rue Volta, situé en plein centre ville de la capitale, ancienne halle aujourd’hui en friche, abandonnée. Faire la chaine devant un Souk el Fellah est une image bien ancrée dans l’inconscient collectif des Algériens

Selon Mourad Krinah, le premier événement artistique était le deuxième Festival panafricain en 2009, qui a donné à voir l’émergence de ce qui deviendra plus tard la nouvelle génération d’artistes algériens .  «Je crois, disait-il, que c’est à cette époque que nous avons pris conscience qu’il se passait quelque chose de nouveau . Nous avions le désir de rallier cette nouvelle génération, de changer d’échelle, de confronter nos univers et de constater les différents axes de réflexion qui nous animaient ». 

La première édition montrait une certaine « urgence » (parce qu’elle se déroulait au lendemain des ‘‘Printemps arabes’’ ) les problématiques qu’ils avaient soulevées (la démocratie, la justice, l’égalité des citoyens, la lutte contre la corruption  concernait aussi les Algériens). 

Le marché Volta

D’ailleurs beaucoup d’artistes ont évoqué ces thèmes dans leurs travaux (Fatima Chafaâ, Walid Bouchouchi, Sofiane Zouggar, Hicham Belhamiti…) Ils ont fait  une place importante à la mémoire collective dans l’histoire de l’Algérie avec la volonté d’une desconstruction du passé , une conscience critique de la décennie noire, un refus de l’instrumentalisation de l’histoire afin de bâtir un monde nouveau. Ainsi Sofiane Zouggar, s’était penché sur la décennie noire dans son travail Memory of violence, installation dans laquelle il sonde cette mémoire collective enfouie, abordant ainsi le non-dit, le tabou, le secret.

En effet les artistes des différentes  Picturies générales  faisaient partie de cette génération qui est née et a vécu cette période et cela était visible dans leur travail.

La  démarche de la Picturie a été conçue comme une «zone autonome libre» qui cherchait à se libérer du contrôle de l’Etat, de l’économie de marché ou des jeux de pouvoir classiques, d’où l’idée de chercher des espaces qui n’étaient pas forcément dédiés à l’art afin d’atteindre un autre public, pas toujours familiarisé avec les expositions .

Cette expérience ancrée dans la société civile, ouverte à la population, interrogeant celle-ci a fait germer dans l’ensemble du pays le désir de citoyenneté active qui a mobilisé tout le pays. C’était quelques étudiants des Beaux Arts d’Alger qui l’a permis comme l’écrivait Samir Toumi dans sa préface à l’évènement  l’intrusion de la jeune création artistique algérienne, hors des galeries et des musées, dans ces lieux ouverts à tous les publics, au cœur des cités, renoue avec le caractère éminemment révolutionnaire et collectif des Souk El Fellah, eux même enfants des  Magasins Socialistes des années soixante. Et cette initiative de requalification temporaire de la Halle Volta, nous permet de rêver à une occupation permanente de ces friches délaissées, partout en Algérie, par de jeunes acteurs de la société, qu’ils soient artistes, artisans, informaticiens, ou simples citoyens.

Aujourd’hui où l’on torture dans les prisons algériens des jeunes qui ont commis le crime de manifester pacifiquement, les idéaux du Hirak ne sont pas morts pour autant, ils continuent à travailler la société et un jour proche viendra  le temps de la liberté, lovée et livrée à l’imaginaire dégagé des nuages ! 

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