FICA: “Limbo”, un film poétique sur “les froideurs” humaines et les rêves évanescents

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“Limbo” (limbes), deuxième long métrage de l’écossais Ben Sharrock, a remporté le grand prix du 11ème Festival international du cinéma d’Alger (FICA) qui s’est déroulé du 2 au 10 décembre 2022. Une comédie-dramatique d’une incroyable finesse et d’un délicat audaceA North Uist, un archipel d’îles reculé du nord de l’Ecosse, connu pour être un refuge des oiseaux marins, une groupe de demandeurs d’asile attend son “sort”. Seront-ils autorisés à s’installer en Grande-Bretagne ou doivent-ils quitter le territoire de sa Majesté ?  Le syrien Omar (Amir El Masry), l’iranien Farhad (Vikash Bhai), le ghanéen Wasef (Ola Orebiyi) et  le nigérian Abedi (Kwabena Ansah) sont soumis à des cours dispensés par un drôle de couple, Helga (Sidse Babett Knudsen) et Boris (Kenneth Collard).


Deux blancs qui apprennent à ceux venus d’ailleurs “les bonnes manières” alors que l’un d’eux, l’homme, n’hésite pas à harceler sexuellement sa collègue. L’idée d’un Occident hautain, qui a beaucoup de choses à se reprocher, et qui entend apporter sa “civilisation” aux “basanés” est résumée dans cette scène loufoque. 


Dans le village de pêche où vit Omar et ses amis, les habitants sont curieux, regardent les arrivants comme s’ils sortaient des entrailles de la terre. Le regard est parfois attendrissant, craintif ou méprisant. La rencontre entre Omar et un groupe de jeunes est expressive de cette situation. Comment connaître l’autre ?


L’oud et la terre natale

L’île est balayée par un vent glacial et l’hiver commence à s’installer doucement. Vêtu d’une veste bleu clair, Omar ne quitte jamais son oud, un instrument hérité de son grand-père. Il explique à une écossaise curieuse que le oud est une guitare orientale. L’oud attache Omar à sa terre natale, à sa culture. Une cabine téléphonique permet aux demandeurs d’asiles de contacter le monde extérieur.


Omar parle souvent avec sa mère qui est installée avec son père en Turquie. Elle lui parle de son frère Nabil (Kais Nashif) qui a choisi de combattre avec l’armée syrienne. “Parles à ton frère, il t’attend”, lui demande-t-elle. La guerre en Syrie a divisé les frères. Wasef veut jouer pour le club de foot de Chelsea alors que Farhad rêve de porter un costume “pour travailler dans un bureau” ou de servir d’agent artistique à Omar, le musicien.


 “Comme Tom Cruise dans Jerry Maguire”, réplique Omar. Dans la comédie dramatique de Cameron Crowe, sortie en 1996,  Tom Cruise interprète le rôle d’un agent des stars du sport qui va tomber dans les abîmes. “Vous pouvez tout faire tant que vous travaillez dur”, souligne Helga. On n’est pas loin de la théorie de la droite européenne : “travailler plus, gagner plus”. Évidemment, la politique s’invite par bribes dans le film de Ben Sharrock.


Un sort incertain

“Dans mon pays je ne peux être moi même”, confie Farhad à Omar. Ben Sharrock ne s’attarde pas sur le passé de ces réfugiés et préfère les montrer comme des humains en quête d’une vie meilleure, d’une autre existence. Tout simplement. Pour alléger le propos, il recourt à l’humour, comme cette scène où Farhad ramène une poule à la chambre qu’il partage avec Omar. Il y a aussi cet échange drôle entre Omar et un vendeur d’une boutique sur le sumac سمّاق, l’épice rouge qui donne de la saveur aux plats moyen-orientaux dont la fameuse salade fattouche.


L’attente se fait douloureuse pour Omar et ses amis. Le cinéaste s’est peut être inspiré de la théologie catholique d’après laquelle les limbes était le lieu où étaient rassemblées les âmes de ceux qui étaient morts “dans la grâce de Dieu avant la venue de Jésus-Christ” (les justes de l’Ancien Testament). Mais, les limbes signifient aussi sort incertain. Omar et ses compagnons de fortune sont comme “coincés” dans les limbes. Qui viendra les sauver ? Iront-ils tous au paradis ?

S’appuyant sur les images soignées de Nick Cooke, “Limbo” est un film poétique qui ne répond pas à toutes les questions, ce n’est pas son propos.  La froideur des îles, qui petit à petit tombent dans la blancheur, suffit pour tout dire, sans grand discours, à quel point les âmes peuvent se perdre quand on quitte son pays vers des terres inconnues, lointaines, glaciales en croyant “réaliser” un rêve, un idéal. La froideur est aussi celle des sentiments face à la détresse humaine. Et si l’île froide et blanche n’était que l’antichambre de l’enfer ?


Un regard audacieux

Le regard de Ben Sharrock est attendrissant et audacieux à la fois dans un film qui tend à casser les stéréotypes liés aux réfugiés amplifiés et entretenus par les médias. Le propos est parfois absurde et l’humour côtoie la tragédie. C’est le style singulier de ce cinéaste qui a étudié en 2009 en Syrie avant le début des violences dans le pays du Cham.


“Je pensais à mes amis en Syrie, à tout ce que nous avons en commun. Quand je vivais là-bas, je jouais dans l’équipe de rugby de Damas.  On rencontrait des équipes du Liban et, après les matchs,  on sortait boire et discuter dans les bars. Ici, on se retrouve coincés entre les médias de gauche qui s’apitoient sur le sort des réfugiés, et les médias de droite qui jouent sur la peur en les diabolisant”, a confié  dans une interview le jeune cinéaste qui a préparé une thèse sur la représentation des arabes et des musulmans dans le cinéma et à la télévision aux Etats Unis. Il s’est intéressé aussi à l’image des réfugiés dans les médias main stream surtout ceux qui viennent de Syrie.  


“Je souhaitais raconter l’histoire d’une personne qui n’avait pas fait le choix délibéré de devenir un réfugié, dont la personnalité ne se résumait pas à son statut de réfugié. Je voulais également montrer à quel point l’étiquette de “réfugié” peut être destructrice de l’identité individuelle”, a-t-il ajouté.


Une idée née dans le sud algérien

L’idée de ce film, écrit pendant 18 mois, est née dans un camp de réfugié dans le sud algérien. Ben Sharrock travaillait pour une ONG en 2013.  “C’est là que j’ai été fasciné par l’impact du statut de réfugié sur l’identité d’une personne. On se rendait dans les écoles des camps et on demandait aux enfants déplacés de se dessiner eux-mêmes. Les dessins produits ne reflétaient aucunement le fait qu’ils étaient réfugiés”, a-t-il dit.


“Limbo” était dans la sélection officielle du festival de Cannes en 2020 et au Toronto international film festival. Il a été primé au festival de San Sebastian en Espagne, au festival du Caire en Egypte et a décroché l’award 2021 du British Independent Film. En 2016, Ben Sharrock a reçu le prestigieux Michael Powell Award du meilleur film britannique pour son premier long métrage “Pikadero”, tourné en langue basque.

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