Fica: « Argu », un réquisitoire contre les archaïsmes, une ode pour la différence

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« Argu » (rêve) de Omar Belkacemi, seul long métrage algérien en compétition au 11ème Festival international du cinéma d’Alger (FICA), porte une critique au vitriol des archaïsmes sociaux et plaide pour le droit à la différence. 


C’est l’histoire de Mahmoud (Mohamed Lefkir), un enseignant de philosophie. Il rejoint son village natal en Kabylie, à 1300 mètres d’altitude, pour se reposer. En arrivant chez ses parents, il découvre que son jeune frère Koukou (Koceila Mustapha) n’est plus à la maison.
Les chefs du village avec l’accord du père ont décidé de l’interner dans un asile psychiatrique « parce qu’il n’est pas normal », s’habille différemment. C’est le début de « la rébellion » de Mahmoud, déjà en rupture de ban avec un monde « qui ne permet plus de rêver ».
« Il ne ressemble pas aux autres, donc, ce n’est pas un être humain? », s’adresse-t-il à son père silencieux. Il part chercher son frère suscitant la réprobation du « comité des sages ».


Koukou, artiste, âme légère, fou amoureux de la liberté, est aimé par les femmes du village. Il les aide souvent en chemin à porter le fardeau des branchages pour nourrir les bêtes alors que les hommes passent leur temps à jouer du domino, à surveiller ce qui se passe dans le village. Les scènes restituant cette idée ressemblent parfois à une succession de clichés pour s’adapter à certains « codes ».


Hommes paresseux, femmes actives

Selon ces « codes » non écrits, les hommes maghrébins, arabes et africains par extension, sont paresseux, conservateurs et hypocrites, violents alors que les femmes sont actives, ouvertes et victimes.
Omar Belkacemi a même forcé le trait par rapport à ces stéréotypes dès la deuxième première scène du film montrant la mère de Mahmoud portant les branchages sur le dos, suivi de son époux, mains vides, comme si elle était son esclave ou une bête de somme.
Même l’âne n’est pas épargné puisqu’un villageois, « méchant » évidemment, décide d’abattre son animal parce que Koukou l’a utilisé, à son insu, pour transporter une charge qui était portée par une femme âgée !


« Ce village est un cimetière »

Et, pour ne pas s’éloigner du « premier degré », le cinéaste va lier la religion islamique à la tradition de Tajmaat donnant à l’imam un rôle de « maître absolu de la morale ». Une influence qui, selon cette vision, va réduire le comité de village à une assemblée de conservateurs bornés, redresseurs de torts, insensibles aux belles choses de la vie.


La preuve ? Les deux chefs du village, montrés comme des gardiens rigides du temple, vont empêcher Koukou de jouer de la guitare ! Pour quelle raison ? Juste parce qu’ils l’ont décidé. Le spectateur est donc sommé de s’appitoyer sur le sort de Koukou. Le « bon » est de ce côté-ci du village.  « Ce village est un cimetière “, décide Mahmoud. Les autres ? « Des morts ». Lui et son frère ? « Des vivants ». Tout le monde est dans son camp. Le spectateur est averti.


En colère contre tout le monde et attendrissant avec sa mère et sa sœur Jura, Mahmoud va escalader la montagne rocheuse avec Koukou pour s’approcher des nuages et s’éloigner de la terre. Les deux hommes, en des gestes presque naïfs, simulent un vol d’oiseaux.


Tenter l’inconnu…

La quête de liberté est exprimée avec une simplicité trop visible. Trop même au point d’étouffer parfois le récit.  La société est coupable d’enterrer les rêves, d’empêcher les gens de s’épanouir. Reste qu’à tenter « l’inconnu » pour vivre, comme le soutient une jeune amie de Mahmoud, venue de la ville pour « changer » les mentalités d’un village croulant sous le poids des traditions.


Omar Belkacemi, qui s’est appuyé sur son propre vécu, entend, à travers ce long métrage, dénoncer des choses, beaucoup de choses, mais sans arriver à contenir sa colère. « On fait trop de concessions à l’ordre établi pour satisfaire tout le monde. Il faut vivre, espérer, rêver… », a-t-il dit dans une interview.
Le plaidoyer clair dans ce film personnel est de « réinventer » le monde. Bien compris. Cela dit, la beauté verdoyante des montagnes de kabylie, la lumière des villages à la tombée de la nuit, le brouillard qui s’avance vers les arbres, le silences des collines donnent au film une sensible touche poétique, servi par des images montées par la française Caroline Beuret comme une série de toiles d’art expressionniste.


Sorti d' »Argu » en France en 2023

Un bel hommage est rendu aussi aux « khala’t », cette assemblée de femmes qui interprètent les chants « Achwiq ». Des chants qui portent aussi leurs douleurs et leurs espoirs en tant que femmes vivant dans une société qui peine encore à s’approcher des rivages de la modernité. « En Kabylie, la femme n’a toujours pas le droit à l’héritage », a soutenu Omar Belkacemi dans la même interview.


La première africaine et arabe « d’Argu », coproduit par le Centre algérien de développement du cinéma (Cadc) et Agence visuel, a eu lieu début novembre 2022 à Tunis à la faveur de la compétition officielle des Journées Cinématographiques (JCC) de Carthage. Et, l’avant-première nationale de ce film en tamazight a eu lieu en novembre 2021.


Ahmed Aggoune, producteur, a annoncé, lors d’un débat à la salle Ibn Zeydoun, après la projection du film, qu' »Argu » sortira en France en 2023, distribué par Les films des deux rives. Le long métrage n’est pas encore sorti en Algérie. Ahmed Aggoune a justifié cela par « l’absence de promotion pour les films en Algérie ».

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