Faut-il avoir peur des vaccins?

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Faut-il avoir peur des vaccins ? L’historien français Patrick Zylberman, spécialisé en questions de santé, enseignant à l’Ecole des Hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes et cofondateur du Séminaire de Val-de-Grâce sur les maladies infectieuses émergentes, répond en détails dans son essai « La Guerre des vaccins, histoire démocratique des vaccinations », qui vient de paraître aux éditions Odile Jacob, à Paris. Il analyse le discours des mouvements « anti vaccins » partagés entre « radicaux », qui refusent toute forme de vaccination, et les « modérés », hostiles à certains vaccins comme ceux contre l’Hépatite B et la grippe saisonnière. Et, il rappelle que le vaccino-sceptisme est aussi ancien que la vaccination elle même. « Moins de 10 % des Français en 2005, mais 40 % ou presque en 2010 témoignaient d’une méfiance à l’encontre des vaccins . Seize mois plus tôt, l’IFOP(Institut d’études d’opinons) révélait que sept personnes sur dix n’envisageaient pas de se faire vacciner contre la grippe ; motifs invoqués : des vaccins trop risqués, trop chers (…), pas le temps, peur des aiguilles… et le médecin traitant qui ne l’a pas conseillé», écrit-il. Il revient sur l’histoire de la Ligue nationale pour la liberté des vaccinations, créé en France en 1954, qui est hostile à « l’obligation vaccinale ». Idem pour l’Association Liberté- Information-Santé (ALIS) qui critique le manque d’informations sur les vaccins et qui plaide pour la liberté de vaccination.

Retour de la rougeole

Patrick Zylberman souligne que la variole, la varicelle et la coqueluche ont été maîtrisées grâce aux vaccins. Selon lui, les maladies infectieuses sont revenues en Europe en raison du recul de la vaccination,. « Les ventes du vaccin contre la rougeole avaient reculé de 40 % en 2012, recul lié au climat de défiance vis-à-vis du médicament qui s’était instauré depuis quelques années. De l’autre côté de l’Atlantique, au Québec, la rougeole a ressurgi en 2011. Elle était considérée comme éliminée au Canada depuis 1998. Le Royaume-Uni réagit beaucoup plus vivement que la France. En avril 2013 était ainsi lancée une grande campagne pour vacciner 1 million de jeunes après une recrudescence des cas de rougeole due à la méfiance à l’encontre des vaccins. Du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2016, soit en neuf ans, plus de 24 000 cas de rougeole ont été déclarés en France », souligne-t-il. Il précise qu’en France onze vaccins sont obligatoires pour les enfants depuis la loi de novembre 2017. Une loi fortement contestée en raison de l’imprécision sur « l’efficacité » des vaccins et sur « la légitimité » de l’Etat d’imposer la vaccination aux parents. Des parents qui acceptent de vacciner « partiellement » leurs enfants. L’historien explique que l’opposition à la vaccination est liée à trois crises : hégémonie de la science dans le domaine de la santé, « hyperdémocratie » des individus (qualifiée de logique postmoderne) et faiblesse du langage politique. « La crise du langage politique n’est pas sans lien avec l’État submergé décrit par Norberto Bobbio (philosophe italien), submergé par la marée montante des revendications individuelles que l’éthique médicale, en particulier, s’attache à sanctionner », note-t-il.

Liens d’intérêts et populisme

L’anti-vaccinisme militant sur les réseaux sociaux est, selon lui, un bon carburant pour le populisme. « Le populisme donne une façade politique à ce combat », relève-t-il. L’auteur cite l’exemple italien et précise qu’en 2015, près de 14 % des enfants italiens n’avaient pas reçu le vaccin ROR (rougeole-oreillons-rubéole). « Sans crainte des risées du monde, les populistes (Cinque Stelle/Cinq Étoiles) déposaient le 23 juillet 2013 une proposition de loi en vue de boycotter les vaccinations. Aux dires de ces immenses savants, les vaccins provoqueraient la leucémie, diverses intoxications et inflammations, la dépression du système immunitaire, des tumeurs, des maladies génétiques transmissibles, ainsi que l’autisme et différentes allergies. Peu s’en faut que toute la nosographie y passe, et Andrew Wakefield, avec son lien prétendu entre vaccination ROR et autisme (sans bien sûr qu’aucune donnée ni référence scientifique soit invoquée à l’appui), paraît bien timoré en regard. En France, les Verts n’étaient pas en reste qui, sur un mode un peu moins caricatural, fustigeaient les liens d’intérêts entre industrie pharmaceutique et vaccins», détaille-t-il. D’après lui, les populistes créent dans l’opinion un sentiment d’angoisse et de colère. Politiquement, les anti-vaccins se rapprochent des écologistes et de la droite catholique (hostile dans les années 1950 au BCG). L’auteur estime que la crise de la Covid-19 relance le débat sur les vaccins dont la production « est très surveillée ». Le vaccin est perçu comme « la seule solution » devant la pandémie qui touche tous les pays. « Un vaccin devrait donc être produit en grande quantité et opérationnel à l’automne 2020. Est-ce possible ? La question ne tient pas seulement à la mise au point d’une formule ; elle tient encore aux capacités de production de l’industrie. Le Codiv-19 circule à l’échelle mondiale ; il faudra donc des quantités énormes de vaccins. Et des investissements eux aussi énormes afin de monter ou de remettre en marche des lignes de production », souligne-t-il.

Accès équitable aux vaccins

Il s’interroge justement sur la capacité des fabricants à être au rendez-vous en produisant des doses suffisantes en un temps court. Il rappelle les retards et les échecs des années 1950 aux Etats Unis et en Europe (vaccins arrivés après la fin des épidémies). « Encore disposer d’un vaccin en quantité suffisante n’est-il pas tout. Il faudra aussi garantir un accès équitable aux produits pour toutes les populations du globe. À l’initiative du Mexique, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution en ce sens le 20 avril (2020), résolution qui succède à un précédent appel à la « coopération » entre les États et l’industrie. Suivant cette résolution, de nombreux gouvernements et acteurs privés se sont engagés quatre jours plus tard à lever 7,5 milliards d’euros afin, dans les mots du directeur général de l’OMS, d’« accélérer le développement, la production et la distribution équitable de vaccin, de diagnostics et de traitements contre le Covid- 19», précise-t-il80 % de la production mondiale des vaccins est concentrée en Europe.Même dans le cas de la Covid 19, les anti-vaccins demeurent, selon l’auteur, méfiants. « Une enquête réalisée à New York à la mi-mars(2020) ne montrait-elle pas que 53 % seulement des personnes interrogées déclaraient qu’ils prendraient le vaccin contre la Covid-19, tandis que près de 30 % refuseraient de le faire ? (…) Particulièrement inquiétant, 39 % des 25-35 ans – soit des futurs jeunes parents – s’opposeraient à la vaccination contre la Codiv-19. Notre conversation irréelle avec les anti-vaccins est ainsi vouée à se poursuivre, tel un dialogue de statues, conclue-t-il. Le livre, composé de 336 pages, ressemble à un long plaidoyer en faveur de la vaccination et un réquisitoire sans appel contre les anti-vaccins dont l’opinion est, parfois, alimentée par les théories de la conspiration et par la question : « qu’est-ce qu’on nous cache? ». « La gouvernance scientifique des démocraties de participation apparaît de moins en moins capable de dominer les conflits entre […] la légitimité démocratique et la légitimité scientifique», relève Patrick Zylberman, auteur d’un autre ouvrage « Tempêtes microbiennes. Essai sur la politique de sécurité sanitaire dans le monde transatlantique », paru en  2013 chez Gallimard, à Paris.

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