Ezzat El Alaily, un acteur-témoin du dernier siècle égyptien

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Ezzat El Alaily, un acteur-témoin du dernier siècle égyptien
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L’acteur égyptien Ezzat El Alaily est décédé,  vendredi 5 février 2021, à l’âge de 86 ans. Il laisse un héritage de près de 200 films et feuilletons. Portrait.
Ezzat El Alaily a traversé le dernier siècle égyptien en marquant sa présence en tant que comédien de théâtre, de télévision et de cinéma. Dès son jeune âge, il est attiré par le théâtre et par le cinéma, influencé par Youssef Wahby et Nadjib Er-Rahani, des monstres sacrés du grand écran et des planches.
Diplômé de l’Institut supérieur des arts dramatiques du Caire, au début des années 1960, il préfère s’occuper de ses cinq sœurs, après le décès du père, en travaillant à la télévision comme producteur. Il est parmi ceux qui ont introduit le théâtre à la télévision égyptienne après une étude menée en Grande Bretagne.
En 1962, il apparait pour la première fois au grand écran dans le film de Salah Abou Seif, “Rissala min imra’a majhoula” (Lettre d’une femme inconnue), avec Farid Al Atrach et Loubna Abdelaziz. Pour ce long métrage, Farid Al Atrach, chanteur et compositeur, interprète deux de ses célèbres chansons : “Qalbi ou Miftahou” (Mon coeur et sa clef) et “Ichtaktilak” (tu me manques).  

Soutenu par Youssef Chahine

Ezzat El Alaily enchaîne ensuite les rôles dans des longs métrages à grand succès comme “Al Jassous” (l’espion) de Niazi Mustapha, en 1964, “Kandil oum Hicham” (la lanterne d’Oum Hicham) de Kamel Attia, en 1968,”Al Sayed Al Balti” de Toufik Salah, en 1969, et “El Ardh” (la terre) de Youssef Chahine, en 1970, interprétant le rôle de Abdelhadi. Ce film lance véritablement sa carrière artistique avec le soutien de Youssef Chahine qui le reprend dans deux autres films  “Al Ikhtiar” (le choix) , en 1971, avec Souad Hosny, et “Al nas wa nil” (les gens et le Nil), en 1972. “Al Ikhtiar” a été co-écrit par le réalisateur et par l’acteur. “Nous devions revenir sur l’après défaite de 1967 (Guerre des six jours) et s’interroger sur le devenir de la personnalité égyptienne. Nous devions montrer que nous n’étions pas défaits. Nous avons sollicité le romancier Naguib Mahfoud pour l’écriture du scénario”, se rappelle Ezzat El Alaily dans une interview télévisée.
Pourtant à sa sortie, le long métrage n’a pas eu de succès, descendu par les critiques. Ce n’est que plus tard que l’œuvre de Youssef Chahine a gagné en estime auprès du public.
Ezzat El Alaily  se rappelle que Youssef Chahine aimait les acteurs qui débattaient avec lui, discutaient de ses idées, parlaient de ses choix dramatiques et artistiques. Il cite Achraf Fahmi, Salah El Sâadani et lui-même.

Le film “Le visiteur de l’aube” censuré

En 1973, il obtient le premier rôle “Al Dhia’b la takoul al lahm” (les loups ne mangent pas la chair) de Samir Khoury, l’un des premiers thrillers du cinéma arabe. Le film, tourné au Liban et au Koweit, est passé par les ciseaux de la censure au Caire en raison de la tenue dénudée de l’actrice Nahid Sharif. Il est classé dans “la case rouge”. En colère, Anouar El Saddat a demandé le retrait de la nationalité à Ezzat El Alaily à cause de son apparition dans le film dans une scène osée. Il a fallu l’intervention de plusieurs artistes pour que le président change d’avis.
Deux ans après, “Za’ir al fadjr (le visiteur de l’aube) de Mamdouh Choukry fait scandale. Ezzat El Alaily y interprète le rôle d’un procureur. Le gouvernement décide d’interdire le long métrage, une semaine seulement après sa sortie. Le film est jugé politiquement subversif. Anouar El Sadat, qui voulait être réélu président en 1976, craignait que le long métrage pousse les égyptiens à la révolte contre lui ! Ne résistant pas au choc de la censure, le réalisateur Mamdouh Choukry est décédé quelques mois après.

“Alexandrie pourquoi ?”

En 1977, Salah Abou Seif rappelle Ezzat El Alaily  pour interpréter le rôle de choucha As’Saka dans le drame social “As-Saka mat” (As-Saka est mort). Inspiré d’un roman de Youssef Sebaï, le film, qui revient sur l’Egypte des années 1920 et se concentre sur l’idée de la vie et de la mort, a un grand succès à l’époque au point de figurer dans la liste des 100 meilleurs films égyptiens de tous les temps. Youssef Chahine, qui a produit ce long métrage, sollicite de nouveau Ezzat El Alaily, en 1979, pour sa fiction “”Isskandaria lih N”(“Alexandrie pourquoi?”) où la question du vivre ensemble est posée. C’est une oeuvre presque autobiographique de Youssef Chahine. En 1981, l’acteur est distribué dans le film historique “Al Qadissia” de Salah Abou Seif relatant la fameuse bataille entre l’armée islamique menée par Saad Ben Abi W’aqas et les troupes Sassanides en 636.

Premier acteur égyptien à jouer dans un film algérien

En 1983, Ezzat El Alaily est distribué dans le film algérien “Le moulin de M.Fabre” d’Ahmed Rachedi aux côtés de Sid Ahmed Aggoumi et de Hassan El Hassani. Il est le premier acteur égyptien à jouer dans un film algérien. Ce film, qui critique les nationalisations mal étudiées de l’après indépendance de l’Algérie, a obtenu le Tanit d’argent au Festival de Carthage à Tunis. “A’ada liya n’takim” (revenu pour se venger), sorti en 1988, marque l’intérêt de l’acteur pour le genre thriller. Ce film de Yacine Smain Yacine a eu un certain écho en Egypte parce qu’il s’approchait du drame psychologique, novateur à l’époque. Donnant la réplique à Omar Sharif dans “Mouatine Masri” (citoyen égyptien), en 1991, Ezzat El Alaily est consacré par Salah Abou Seif, réalisateur du film, comme l’un des meilleurs acteurs de sa génération. En 1993, l’acteur change de registre pour interpréter un rôle d’un colonel dans le film   “Al-Tareek Ela Eilat ” (La route vers Eilat) d’Inam Mohamed Ali qui revient sur un épisode de “la guerre d’usure” entre les pays arabes et Israël à la fin des années 1960. A sa sortie, ce film politique a provoqué un grand bruit au Moyen-Orient.


Une rupture de seize ans avec le cinéma

Dans le film d’espionnage “Kafir” de Tarek Allam et Ali Abdelkhaleq, en 1999, Ezzat El Alaily campe le personnage du général Yahia en guerre psychologique contre le Mossad pour connaître “les secrets” de l’avion de combat israélien Kafir (ou Kfir). “Tourab El mass” (Poussière de diamant), sorti en 2017, est le dernier long métrage dans lequel l’acteur a eu un rôle aux côtés de l’étoile montante du septième art égyptien Asser Yacine. Ce film, réalisé par Marwan Hamed, marquait un retour au grand écran de l’acteur après une rupture de seize ans.


Soixante ans de présence à la télévision

Comme pour le cinéma, Ezzat El Alaily a eu plusieurs rôles dans les feuilletons et séries à la télévision pendant soixante ans, à commer par “Khat abiad” (ligne blanche) au début des années 1960 et jusqu’à “Kaid a’ali” (osbtacle familial)  de Thamer Hamza en 2019, en passant par “Al Jama’a” (le groupe) sur l’histoire de Hassan Al Bana, fondateur du mouvement des Frères musulmans. Ecrit par Wahid Hamed, l’un des meilleurs scénaristes égyptiens actuellement, et réalisé par Mohamed Yacine, ce feuilleton a suscité un grand débat en Egypte sur l’itinéraire politique et idéologique des Ikhawan, une année avant la Révolution du 25 janvier 2011. Grand succès également durant le Ramadhan 2010.


Sur scène avec Warda El Djazairia

En 2006, il se distingue dans la pièce de théâtre “Ahlan ya bakawat” de Issam Sayed où un plaidoyer est fait pour les sciences et le savoir dans une forme comique, très appréciée par le public.  Au théâtre, il a eu plusieurs rôles dans les années 1970 et 1980 comme “Watani Akka” (Ma patrie Akka), “Malibiss sahra” (les tenues de soirée),  “El Insan tayeb” (l’homme brave), “El omr lahda” (la vie est un instant) et “Thawrat qaria” (la révolte d’un village). En 1974, il a  évolué sur scène en chantant avec Warda El Djazaïria dans la comédie musicale “Tamer Hina” dans une mise en scène de Djallal Charkaoui et une composition de Balligh Hamdi.  Ezzat El Alaily  a laissé aussi ses traces dans le théâtre radiophonique.
Quelques semaines avant son décès, Ezzat El Alaily  voulait remonter sur scène pour une nouvelle pièce avec un projet de “refaire aimer le théâtre” au grand public égyptien.


Honoré au Festival d’Oran du film arabe

L’acteur a été honoré de la 12ème édition du Festival du cinéma de Dubaï en 2015, au même titre que l’actrice française Catherine Deneuve. Il a été également décoré de la médaille des Sciences et des Arts en Egypte en 2013. En 2017, il a accepté l’invitation du Festival d’Oran du film arabe pour être honoré pour l’ensemble de son œuvre malgré le décès de son épouse, Sana Al Haddidi. “J’ai donné ma parole pour venir. Je la respecte”, a-t-il dit.
Sur le plan politique, , Ezzat El Alaily  avait soutenu la “Révolution de 1952”, appuyé Gamal Abdelnacer “parce qu’il portait un projet nationaliste et était proche de la rue égyptienne”. Il a été mis en détention en 1954, accusé injustement d’avoir fait partie du complot visant l’assassinat d’Abdelnacer en Alexandrie. Il est resté en prison trois mois. Hosni Moubarak a menacé, quelques mois avant sa destitution, Ezzat El Alaily  parce qu’il avait boycotté un dîner qu’il avait offert en son palais. Il a soutenu la révolte des égyptiens contre le régime de Hosni Moubarak et s’est positionné contre les Frères musulmans avant l’arrivée d’Abdel Fatah Al Sissi au pouvoir en 2013.

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