Entretien avec Rachad Antonius: “Il faut développer des stratégies de résilience face à l’annexion de la Cisjordanie!”

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Les Palestiniens trahis par une deuxième vague de "mouharwiloune" (DR)
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L’entrée en vigueur du plan d’annexion de la Cisjordanie par Israël est annoncée pour le 1er juillet. Dans cette interview, Rachad Antonius, Professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), spécialiste du conflit Israélo-Palestinien, livre à 24h Algérie, une lecture sociopolitique des retombés de ce plan israélo-américain.

24H Algérie : l’État d’Israël va annexer la Cisjordanie occupée, en faisant fi des résolutions des nations unies et des voix qui s’élèvent à l’intérieur d’Israël pour contrer ce plan. Comment voyez-vous l’évolution de la situation, si le projet venait à se concrétiser ?

Rachad Antonius : Ce qui va se passer, c’est qu’ils vont officialiser une annexion de fait. Ce processus est déjà en marche depuis longtemps. L’idée que toute la terre du Jourdain à la méditerranée devrait être appropriée par l’État d’Israël est très ancienne. Un des principes qui a guidé les sionistes est de travailler dans l’optique de prendre ce qu’on leur donne et de continuer à œuvrer en vue d’obtenir plus. Depuis 1948, Israël s’est constitué non pas dans le territoire, spécifié dans la résolution 181, qui était à peu près de 56 pour cent du territoire palestinien, mais dans un territoire plus grand, qui est ce qu’on appelle la ligne verte qui constitue 78 pour cent du territoire palestinien.  À partir de ça, on pourra mesurer toute l’arnaque autour de la promesse de Balfour, qui disait que les droits socioculturels et religieux des Palestiniens seraient protégés, et on taise les droits politiques. Ce qui a parachevé ce contrôle, c’était Oslo. Arafat est parti à Oslo sans cartographe ni conseillers juridiques. Il a négocié sur la base de la bonne foi des israélien. Déjà Menahem Begin, premier ministre israélien de 1977 à 1983, avait proposé d’annexer la terre sans annexer le peuple. Alors, les israéliens ont fait leurs colonies sur ces petites collines désertes.

Mais Israël n’a pas respecté non plus les accords d’Oslo?

Une partie a été respectée, celle qui a avantagé Israël. Mais il faut savoir que le mot État palestinien n’apparait pas dans cet accord, ni même pas comme projet. Dans toute les correspondances préparatoires, l’idée d’un État palestinien est totalement absente.

Ce qu’il faut rappeler, par contre, c’est qu’avant Oslo, les Palestiniens pouvaient circuler dans la Cisjordanie, En 1967 lorsque Israël avait occupé la Cisjordanie, il y avait une économie palestinienne, il y avait des ententes avec Jérusalem. Pendant la première intifada, les Palestiniens ont construit une économie solidaire avec des coopératives, une fabrication locale et l’économie fonctionnait. L’accord d’Oslo était pervers, il a donné aux Palestiniens le contrôle sur les territoires où ils sont nombreux et les zones où c’est désertique, Israël les gère pour des raisons de sécurité! Sur un autre plan, les accords de 1995 donnaient aux Palestiniens des pouvoirs sur de la Cisjordanie, non pas d’un État mais d’une municipalité. Le résultat est que l’économie palestinienne a périclité. Avec le développement du réseau routier par Israël, le nombre de colons a augmenté pour atteindre les 500 mille. Par ailleurs, le mouvement israélien qui contestait l’occupation a beaucoup faibli et la gauche israélienne a complétement disparu du champ, sous prétexte qu’il y avait un processus de paix. La réalité est que c’était un processus de légitimation de la colonisation. Ce processus a été consolidé par la corruption de l’élite politique palestinienne. Car Israël a quasiment acheté cette élite, en faisant transiter les aides humanitaires destinées aux Palestiniens par l’autorité palestinienne.

Vous avez dit au début de cette interview que ce plan israélien est à double tranchant pour Israël, pourriez-vous expliciter votre propos?

En fait, l’économie Israélienne est très dépendante des Palestiniens, ce qui rend difficile de séparer les deux parties, d’où les voix qui s’élèvent parmi les Palestiniens pour revendiquer un seul État, parce que ce qui reste de l’État est trop fragmenté. Il s’agit d’une opinion qui dit qu’on doit faire des luttes pour les droits civiques et politiques et sur le long terme ça va tuer l’État juif. Donc, plus Israël annexe, plus elle rend inévitable l’intégration de tous ces territoires, même si cela va prendre du temps. Car les arabes israéliens sont certes discriminés, mais il n’y a pas d’apartheid à l’intérieur d’Israël. L’apartheid est entre les colons et les territoires occupés.

L’autorité palestinienne a rompu le 20 mai dernier la coopération sécuritaire avec Israël, en signe de contestation contre l’annexion d’une partie de la Cisjordanie, quelle est votre lecture de cette décision?

Je crois que c’est une déclaration symbolique et que les deux parties vont continuer à collaborer pour une raison très simple : l’autorité palestinienne autour de Mahmoud Abbas et quelques ministres autour de lui est devenue totalement corrompue. Il y a quelques hommes politiques, comme Mostefa Barghouti, qui sont intègres. Ramallah est devenu une ville ou il y a une bourgeoisie palestinienne, qui cohabiterait bien avec les israéliens. Cette bourgeoisie n’est pas prête à renoncer à ses privilèges. En plus, les monarchies arabes qui appuient le plan israélo américain, ont abandonné totalement les Palestiniens. Donc, le pouvoir des négociations des Palestiniens est très faible en ce moment.

Quel sera, selon vous, l’impact de cette annexion sur le plan de paix avec l’Égypte?

 Je crois que l’Égypte n’est pas en mesure ou n’a pas la volonté de rompre le traité de paix avec Israël. Je ne crois pas que les égyptiens aient le pouvoir de faire quoi que ça soit. Ça leur coutera trop cher. Ils vont peut-être protester officiellement, mais étant donné que la monarchie pétrolière appuie ce plan, ils vont juste formaliser leur refus en disant que nous n’acceptons pas cette annexion, sans tenter d’exercer une pression. À la limite, ils pourraient pour un certain temps diminuer les échanges commerciaux avec Israël. Je n’ai pas confiance dans les États arabes pour faire pression sur Israël. D’une par l’élite politique arabe dans sa majorité est corrompue, et d’autres part, elle est acquise aux options américaines. Donc, le rapport de force n’est pas en faveur de l’exercice d’une quelconque pression par les arabes. Voilà pourquoi, je demeure convaincu qu’il faut développer des stratégies de résilience en attendant que les conditions soient meilleures.

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