Adoption de l’enseignement hybride… un engagement hasardeux

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Adoption de l’enseignement hybride… un engagement hasardeux
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« L’expérience de l’enseignement hybride, en présentiel et en distanciel, introduit à titre exceptionnel dans les établissements universitaires lors de la rentrée 2020-2021 pour cause de Covid-19, constitue une opportunité pour l’adoption de ce mode d’enseignement, à titre permanent dans le système national d’enseignement supérieur »

C’est ce qu’a affirmé récemment Abdelbaki Benziane, ministre de l’ESRS à l’occasion de l’ouverture de la Conférence nationale des Universités.

Il a précisé que les textes législatifs et réglementaires régissant ce mode d’enseignement hybride étaient en cours d’élaboration, ajoutant que son département est en train de réunir les moyens matériels et techniques pour mener à bien l’opération. Et enfin le ministre a ajouté que  son département s’attelle à l’élaboration d’un cahier des charges pour l’acquisition d’une plateforme numérique nationale de télé-enseignement moderne, laquelle sera prioritaire dans la répartition du budget d’équipement pour cette année. Dont acte !

Et avant même d’attendre les résultats d’un récent sondage du MESRS sur l’utilisation des cours en ligne de première année, il a souligné que  « la progression des activités pédagogiques durant le premier semestre de l’année universitaire en cours est acceptable ».

Cet engagement nous semble aussi prématuré que hasardeux pour plusieurs raisons, objet de cette contribution.

Enseignement hybride? Les raisons d’un échec annoncé

Rappelons que l’enseignement hybride, comme l’enseignement  à distance existait bien avant l’avènement de la pandémie du Corona. Ce système de formation qui comprend en proportion variable des activités d’apprentissage en présentiel et à distance doit en effet répondre à un cahier des charges strict qui doit nécessairement prendre en compte tous les aspects et les contraintes qui caractérisent l’enseignement supérieur en Algérie, contraintes liées à l’environnement physique des étudiants comme des enseignants mais aussi des exigences pédagogiques liées à ce type d’enseignement.

La généralisation de l’enseignement hybride ne pourrait en aucun cas être une occasion de faire des économies d’échelle en ressources humaines ou en logistique liée à l’accueil des étudiants (transport, occupation des places pédagogiques, recrutement des enseignants…). Parce que cet enseignement hybride doit répondre et satisfaire à plusieurs conditions.

La première condition, qui concerne autant les enseignants que les étudiants, est liée au débit internet en Algérie qui doit être suffisant pour la transmission comme pour la réception des données numériques. L’enseignement hybride comme tout enseignement à distance nécessite une connexion internet quasi irréprochable. Or cette condition n’est pas du tout assurée chez nous, du moins pas partout. L’Algérie a toujours été classée parmi les pays où l’accès à internet est des plus faibles même en Afrique.

La seconde de ces conditions est l’autonomie des étudiants qui est loin d’être garantie pour l’écrasante majorité d’entre eux compte tenu de leurs environnements respectifs. De cette autonomie dépend largement le succès de tout ce qui est entrepris pour contextualiser son mode d’apprentissage. Cette autonomie suppose aussi que chaque étudiant dispose d’ un matériel informatique performant adapté à ce type de formation, voire même d’une imprimante et d’une bonne connexion à internet.  

La troisième est la mise en place d’une pédagogie adaptée à ce mode de formation. Il ne s’agit pas de mettre en ligne des cours de 20 ou 180 pages en pdf sans aucun conseil ou avertissement donnés aux étudiants pour les assimiler. Tout ce qui est mis en ligne doit être explicité, clairement expliqué aux étudiants. Pourquoi ce cours, ce TD ou ce TP ? Quels sont les objectifs poursuivis ? Quel temps consacré ? Quels prérequis sont éventuellement exigés ? Il faut innover et créer des activités d’apprentissage variées en mettant l’étudiant au cœur du dispositif en lui proposant des activités ludiques, engageantes qui se rapprochent le plus de son quotidien.

De même qu’il faut chercher le maximum d’interaction avec l’étudiant et entre les étudiants d’un même cycle.  Il faut dialoguer avec l’étudiant sans quoi il y a peu de chances qu’il lise ce qu’on lui propose surtout compte tenu du nombre de modules suivis dans sa formation.

La quatrième condition est la nécessité d’une démarche collaborative entre enseignants d’un même cycle ou de cycles différents. Cette collaboration est nécessaire pour au moins trois raisons :

–        d’une part pour tester son cours auprès des collègues et pourquoi pas d’un panel d’étudiants concernés, qui auront certainement des remarques à faire sur le fond comme sur la forme des cours, TP ou TD proposés,

–        d’autre part pour présenter un ensemble cohérant d’activités d’apprentissage disciplinaires mais aussi interdisciplinaires sans redondance en ciblant le bon niveau de formation et en harmonisant la présentation pour permettre à l’étudiant de se familiariser avec cette structuration,

–        et enfin pour articuler ensemble l’alternance des étudiants entre le présentiel et le distanciel.

La cinquième condition est l’harmonisation de la médiatisation des cours.

Il existe sur le marché de la formation une multitude de  services du Digital Learning gratuits ou payants (campus virtuel, webex, mooc..). A ces plateformes d’enseignement il faut rajouter celles propres à certaines organisations dont le MERS ou certaines universités. Chacune de ces plate formes d’enseignement a ses avantages et ses inconvénients. Il convient de faire un choix judicieux du ou des plateformes retenues en privilégiant celles où le problème de la traduction des documents ou des instructions est pris en compte. Le bi ou le trilinguisme doit être encouragé autant que possible pour atteindre le maximum d’étudiants.

A ces conditions, il faudra peut être privilégier les activités d’apprentissages synchrones (présence en temps réel de l’enseignant en même temps que ses étudiants) au détriment des activités asynchrones qui ne permettent aucun retour du ressenti des étudiants.

Les défis de la continuité pédagogique et éducative en temps de pandémie, comme on vient de les survoler, ne sont pas minces. Ils peuvent même être source de stress, d’angoisse, de fatigue, de surmenage ou de frustration voir de démission des enseignants non préparés à cette conjoncture et, pour certains, livrés eux-mêmes.  

Ces conditions minimales supposent un investissement conséquent du MERS au travers une véritable politique de formation des enseignants qui ne sont pas tous armés pour ce type de méthode. 

C’est une fois ces conditions réunies que l’on peut prendre un engagement aussi important tel annoncé par le ministre. Pas avant !

Par ailleurs, compte tenu des très grandes différences environnementales entre universités (taille, ville, statut, moyens humains et matériels, histoire…) , ce type d’enseignement risque de créer des disparités inacceptables entre les universités ( et donc leurs étudiants) les mieux préparées à relever ce défi et les petites structures sans moyens. A titre d’exemple, aucune plateforme affichée sur le site de l’université de Chlef n’a été fonctionnelle ce dimanche 21 mars.

Face à une crise exceptionnelle par son ampleur, sa gravité et sa durée, il ne peut y avoir de place ni à des discours convenus, ni à des promesses irréalistes.

Il nous parait  nécessaire de créer les conditions de la résilience du système de formation et de ses acteurs afin de lui permettre d’assurer pleinement sa mission éducative.

« Je n’enseigne pas, je raconte » disait Montaigne. Le pragmatisme n’est pas incompatible avec la fonction de ministre.

On reviendra certainement sur ce sujet dès la parution du cahier des charges en préparation. Si parution bien sûr….

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