Paiement électronique : Ce que disent les chiffres sur les progrès et … les grands retards

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Le Groupement d’intérêt économique et monétique (GIE) Monétique a dévoilé mi-juin les dernières statistiques sur le paiement électronique en Algérie. Si le « boom » enregistré durant les quatre premiers mois de 2020, en période de confinement sanitaire en raison de l’épidémie de coronavirus, démontre avec certitude « l’engouement accru » des Algériens pour l’achat en ligne, le nombre des transactions « est très faible, loin même du potentiel algérien », estiment experts et acteurs du secteur. 

Depuis son lancement en 2016, le paiement électronique est toujours un “club très restreint” d’une cinquantaine d’institutions, entreprises et banques publiques, en plus de quelques sociétés privées. Les sites désirant devenir “webmarchands” doivent être homologués par la GIE Monétique, composée de 19 membres adhérents dont 18 banques et Algérie Poste, avant d’être “intégrés”, dans le cas d’un avis favorable à “la plateforme de paiement”, développée par la SATIM (Société d’Automatisation des Transactions Interbancaires et de Monétique), filiale de 7 banques, par laquelle transitent toutes les transactions commerciales électroniques.

Le nombre de transactions électroniques n’a pas cessé de croître depuis cette année-là, avec une hausse sensible du nombre de transactions durant les premiers mois de 2020, en plein confinement sanitaire dû à l’épidémie de coronavirus. Les internautes étaient nombreux à répondre aux appels des entreprises publiques ou des responsables politiques à effectuer des achats ou payer leurs factures ou abonnements en ligne afin de réduire le risque de propagation de la covid-19 par l’argent en espèce. 

Que disent les chiffres de la GIE Monétique ?

Récapitulons ces statistiques. Le pays a enregistré plus de 1.22 million de transactions ces quatre dernières années. Précisément, 7366 transactions ont été réalisées en 2016, 107.844 en 2017, 176.982 en 2018, 202.480 en 2019 avant d’atteindre un pic en 2020. La GIE Monétique dénombre ainsi 728.349 transactions effectuées entre janvier et avril 2020. 

Durant ces quatre derniers mois, le nombre de transactions a légèrement baissé en février (105.385) par rapport à janvier (112167), avant de rebondir en mars (186.897) avec l’entrée en vigueur du couvre-feu et d’atteindre un pic de 323.945 transactions en avril. 

Le montant des transactions aussi n’a pas cessé d’augmenter depuis 2016, allant de 15 millions de Da jusqu’à 959 millions de Da en 2020. Le montant a atteint 268 millions en 2017, 332 millions de Da en 2018, 504 millions en 2019. En 2020, tout comme le nombre de transactions, le montant des transactions a enregistré une baisse en février (180 millions de DA) par rapport à janvier (191 millions), avant de grimper à 261 millions en mars et 324 millions de Da en avril.

Le GIE Monétique fait remarquer que le nombre de transactions effectuées en 2020 représente à lui seul 59.6% du nombre total des transactions depuis 2016. Idem pour le montant des transactions effectuées de janvier à avril 2020, qui représente 46.1% du montant total payé en ligne ces quatre dernières années.

Que nous apprennent encore ces chiffres ? Le secteur des télécoms totalise le plus de transactions depuis le lancement du paiement en ligne, avec environ 1.05 million, soit 86.2% du nombre total. Les sociétés spécialisées dans les télécoms et intégrées dans la plateforme de la SATIM, ont ramassé plus de 6500 opérations en 2016, plus de 87.000 en 2017, plus de 138.000 en 2018, environ 142.000 en 2018 avant d’enregistrer un “boom” en 2020, avec plus de 679.000 opérations. Qui sont ces entreprises télécoms ? Il s’agit de des trois opérateurs de téléphonie mobile, Djezzy, Ooredoo et Mobilis ainsi que l’opérateur historique, Algérie Télécom. 

Ils nous décryptent les statistiques

Si le nombre de transactions a surtout explosé en mars/avril, dès l’application des mesures du confinement partiel en Algérie, cette hausse se dessinait dès les mois de janvier et février. De quoi susciter de l’optimisme, chez les autorités concernées d’abord mais également des professionnels du secteur. 

Younes Grar, expert et consultant en TIC, estime que ces chiffres démontrent avant tout “un engouement élevé” pour le paiement électronique par rapport aux deux ou trois années précédentes. “Cela montre que ces Algériens ont découvert le paiement électronique. Ils entendaient parler mais ne ils l’avaient pas expérimenté jusque-là, pour différentes raisons. Ils ont ainsi découvert une manière simple de payer leurs recharges, leurs abonnements Internet ou leurs factures. C’est pour cela que le nombre de transactions pendant les 3 ou 4 premiers mois de 2020 dépasse de loin les 4 dernières années passées et ceci est appréciable”, déclare-t-il à 24H Algérie. 

Tanguy Leriche, récemment nommé CEO de Jumia algérie, estime, quant à lui, que ces chiffres révèlent deux choses: “Le paiement en ligne, tout comme le commerce électronique en général, est effectivement à ses tous débuts en Algérie. Mais l’aspect positif est que la croissance est forte (…) Je regarde ces chiffres de manière positive car ils montrent que la croissance est forte, qu’il n’y a pas de raison pour que ça s’arrête”, a-t-il déclaré dans un entretien avec 24h Algérie.

Un avis naturellement partagé par le ministère de la Poste, des TIC et du numérique qui a qualifié ces chiffres de “résultats encourageants”, tout en formant,  dans un communiqué, “le vœu de voir ces résultats s’accroître encore davantage à l’avenir”. 

Mais ces statistiques, passés au peigne fin, démontrent aussi un “retard considérable”. Youcef Boucherim, expert en TIC, spécialisé dans les solutions techniques des opérations et de maintenance de réseau, rappelle les autorités à la réalité et souligne, par exemple, l’échec des investissements effectués dans les terminaux de paiement électroniques (TPE).

“Lorsque nous analysons le nombre de TPE dévoilé par ces statistiques, nous constatons une hausse moyenne de 6.000 à 7.000 TPE par année. Les transactions enregistrent de leur côté une hausse moyenne de 50.000 transactions chaque année. Cela revient à dire que chaque nouveau TPE n’enregistre que 7 ou 8 transactions par année. Comment est-ce possible ? Cela démontre le nombre de magasins ayant recours aux TPE est insignifiant”, explique-t-il.

“Idem pour le montant de la transaction”, poursuit M. Boucherim. Le montant moyen entre 2016 et 2019 est de 2000 Da par transaction. C’est-à-dire que chaque nouveau TPE installé fait entrer entre 14000 et 16000 Da par an. C’est peu. Le marchand est même déficitaire puisque le TPE coûte environ 50.000 DA”, fait-il remarquer. 

Le même expert, rappelant que le secteur des télécoms totalise la majorité des transactions, affirme que “les secteurs des Transports, des Assurances, de l’électricité et l’eau constituent la base du paiement électronique”. Pourtant, le nombre de transactions de ces domaines représentent moins de 5%, selon les chiffres de la GIE Monétique. Cela démontre aussi, de son avis, que le paiement électronique est actuellement promu par les startups ou les jeunes. “Nous avons alors une jeunesse qui veut utiliser le paiement électronique, peut-être pour leurs startups ou pour une toute autre raison, et d’un autre côté, des politiques résistants”, estime-t-il. 

Younes Grar fait la même déduction. “On remarque que la plupart des transactions ont un rapport au paiement des prestations télécoms. Cela peut être un abonnement Internet, des recharges  .. etc. C’est-à-dire ceux qui utilisent ce paiement sont habitués par l’utilisation d’Internet, même si, réellement, nous ne pouvons pas parler d’achat, puisqu’il s‘agit de règlement de factures. Il ne s’agit pas d’achat à proprement parler”.

Ce consultant partage l’opinion de Youcef Boucherim. “Quand nous comparons ces chiffres avec ceux enregistrés à travers le monde, nous sommes très loin. Nous avons beaucoup de chemin à faire dans le commerce électronique”. Mais il préfère se baser sur le potentiel de l’Algérie pour souligner son appréciation. “Prenons par exemple le nombre d’abonnés ADSL chez Algérie Télécom et soustrayons, approximativement, le nombre d’abonnés professionnels. Nous sommes quand même 2 millions de citoyens abonnés. Si nous évoquons le nombre de transactions attendus de ces 2 millions, on devrait avoir 50% qui payent en ligne et de ce fait, un million de transactions chaque mois”, calcule-t-il. Pour rappel, le nombre de transactions total, enregistré depuis 2016 à avril 2020 est de 1.22 million. 

Des décryptages qui ne décourageant pas Madjid Messaoudene, administrateur du GIE Monétique. “Le plus important est que maintenant le citoyen va vers le paiement en ligne. Nous constatons de jour en jour de nouveaux utilisateurs qui font une première opération et, lorsque leur expérience est satisfaisante, ils optent définitivement pour l’e-paiement”, a-t-il déclaré. Il en veut pour preuve la courbe qui a poursuivi sa hausse durant le mois de mai.

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