Du verbe au fusil…. Retour sur la décennie noire de Amer Ouali *

0
Du verbe au fusil…. Retour sur la décennie noire de Amer Ouali *
Google Actualites 24H Algerie

« A ma famille qui a supporté les souffrances de mon exil intérieur pendant des années. A la mémoire de toutes les victimes de la barbarie ».

C’est par cet épigraphe que l’on rentre dans le livre « Du verbe au fusil, la Terreur sainte » de Amer Ouali. Une suite logique, pour Amer, de son autre livre publié aux éditions Frantz-Fanon, « Le coup d’éclat. De la naissance du FIS aux législatives avortées de 1991 » dans lequel il plante le décor politique de cette période qui a abouti au drame des années 90 et suivantes.

364 pages qui nous plongent dans cette « décennie noire » que la communication officielle continue de qualifier de « tragédie nationale », encore récemment au JO du 12 avril 2022 à propos des indemnisations relatives à la « Mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale ». De l’autre coté de la méditerranée, on n’a pas hésité de qualifier cette période de « Guerre civile ». Décennie noire dont on ne connait ni la date de début, ni encore moins la date de fin puisque ce fut un long processus dont les ramifications remontent, dès le début des années 80,  à l’époque de Mustapha Bouyali, à l’origine de la création du « Mouvement Islamique armé » et abattu par les forces de l’ordre en février 1987 !

1987 ! L’année où l’Algérie vivait une crise économique sans précédent avec un service de la dette qui dépassait les 7 milliards de dollars avant d’atteindre les 9 milliards de dollars en 1990. C’est à cette époque que la France incitait le pouvoir algérien d’entamer des négociations avec le FMI notamment pour rééchelonner la dette.

L’auteur rappelle, dans ce presque Verbatim,  les principaux événements qui ont marqué cette période sur une dizaine d’années, enrichis par quelques révélations relatives aux principaux acteurs de cette époque qu’ils soient issus des pouvoirs en place ou des antagonistes. En effet, cette déchirure nationale a vu passer pas moins de cinq chefs d’Etat : Chadli, Boudiaf, Ali Kafi, Zeroual puis Bouteflika.
Les principaux attentats, assassinats et massacres sont décrits dans leurs moindre détail comme par exemple celui de l’aéroport d’Alger en aout 1992 où l’un des suspects « présenté par la télévision est Rachid Hechaichi, un commandant de bord d’Air Algérie et responsable du syndicat islamique, le SIT. Il affirme que son rôle s’était borné à déconseiller à ses camarades de placer leur bombe dans un avion en raison du cout élevé des aéronefs ».

Une large place a été faite aux massacres de Bentalha en septembre 1997, à l’assassinat des moines de Tibhirine, « drame planétaire »  en mai 1996 que l’auteur enrichit par la longue missive qu’a adressée Djamel Zitouni aux autorités françaises de cette époque les menaçant de les exécuter.

Le livre nous rappelle une liste quasi exhaustive de tous les journalistes assassinés pendant cette période noire de notre histoire ainsi qu’une chronologie de l’horreur des multiples attentats qu’a connus le pays qui ont atteint leur apogée en 1997.

Des témoignages glaçant de certains maquisards, dont le sentiment éprouvé au moment des égorgements de leurs victimes, ceux des rescapés des massacres sont rapportés sources à l’appui.

L’auteur tente une analyse des comportements et des motivations des agresseurs et de l’extrême violence de leurs actes en s’appuyant sur des travaux de psychologues et anthropologues dont Dalia Zina Ghanem auteure d’une thèse « Sociologie de la violence extrême en Algérie : le massacre de Bentalha -22-23 septembre 1997 ».

Il met en évidence les différentes versions (officielle, officieuse, citoyenne et médiatique) relatives aux grands faits qui ont caractérisé cette période. On se souvient tous des « Qui tue qui ? », des « agents doubles » réels ou supposés, des manipulations médiatiques des uns et des autres qui ont contribué à une confusion rarement égalée.

Mais même dans cette confusion, Amer Ouali relativise l’utilisation de l’arme de répression, comme unique réponse sécuritaire, par les pouvoirs en place à cette époque et met en avant le rôle joué par le Général Mohamed Mediene dit Tewfik le patron du DRS pendant près de 25 ans. Classé dans le camp des « éradicateurs », il serait pourtant partisan au dialogue avec les islamistes. Et il n’est pas le seul. D’autres personnalités politiques et militaires sont citées comme partisans de ce dialogue notamment Mohamed Betchine, Smain Lamari, Mohamed Lamari….  Selon Madani Mezrag, « c’est Tewfik qui a engagé le vrai dialogue ».

Ces événements ont diminué d’intensité, au grand soulagement des citoyens, après l’adoption de la loi sur la concorde civile adoptée en septembre 1999 qui amnistiait ceux qui déposeraient les armes à l’exception de ceux qui ont commis des crimes, des viols, de massacres ou d’attentats à l’explosif dans des lieux publics. C’était en théorie …..

Cette loi sera suivie en 2005, par la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale ». Les maquisards qui déposaient les armes sont de nouveau amnistiés et aucun militaire coupable d’exactions ne sera poursuivi.

Les textes de ces deux lois font partie des nombreuses annexes de l’ouvrage.

Pour l’auteur, il ne peut y avoir ni pardons, ni réconciliation nationale sans devoir de vérité. C’est ce qui a motivé l’écriture de ces deux ouvrages par un homme du terrain.

Il serait souhaitable que cet ouvrage soit traduit en arabe afin que les trentenaires algériens, qui n’ont pas connu cette tragique période, puissent découvrir une des plus sombres pages de notre histoire qui a meurtri des milliers de familles avec des centaines de victimes, de blessés et de disparus. Que Dieu nous préserve de revivre cette tragédie !

*Du verbe au fusil. La terreur sainte. Retour sur la décennie noire. Amer Ouali. Editions Erick Bonnier

Article précédentA Constantine, le ministre de la Santé choqué par le laisser-aller à l’hôpital Ibn Badis
Article suivantLes crises mondiales et les nouveaux ordres et désordres sociaux

Laisser un commentaire