Drifa Ben M’hidi, des stigmates de la guerre au poids de la mémoire

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Drifa Ben M'hidi, des stigmates de la guerre au poids de la mémoire
Drifa Ben M'hidi, des stigmates de la guerre au poids de la mémoire
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À chacune de ses apparitions dans les manifestations du vendredi, Drifa Ben M’Hidi était accueillie avec beaucoup de fierté. Pour la sœur du valeureux martyr, Larbi Ben M’hidi, «le combat est de tous les temps, ce qui change ce sont les causes et les moyens d’y parvenir». Son combat à elle, a réellement été de tous les temps. Enfant elle participe à la guerre, adulte elle se doit de préserver la mémoire des martyrs, telle est sa destinée. Drifa Ben M’Hidi se souvient de son passé révolutionnaire comme une initiation évidente, une lutte dans laquelle elle s’est embrigadée naturellement.

Âgée d’à peine 12 ans, lors d’une réunion tenue par son frère Larbi Ben M’hidi, dans leur maison à Constantine, Mohamed Boudiaf lui demande «Drifa tu peux me dire qui nous sommes, et que faisons-nous ici ? ». Elle lui répond en toute spontanéité «tu veux la vraie ou fausse vérité ?», se souvient-elle.

Oui elle n’était qu’une enfant mais déjà impliqué dans le sort de son pays. Son frère la mettait dans la confidence puisque c’est elle qui accueillait les Moudjahidines qui venaient  pour les réunions. Seulement certaines choses elle les a devinés toute seule. D’ailleurs pour la «vraie» vérité, elle répond à Boudiaf «Vous êtes les amis de mon frère, vous faite de la politique pour renvoyer la France et on pourra alors s’autogérer »,  raconte-elle.

Cette petite espiègle réussit à attirer l’attention de Didouche Mourad. Un jour il lui propose, avec le consentement de son père, de lui acheter un cartable identique au sien. Elle avait pour mission de transporter des documents et une arme, et le retrouver dans un point de rendez-vous. C’est ainsi que son engagement commence.

«Je me souviens qu’il m’avait donné rendez-vous une fois dans un bar. En arrivant il me fait un signe de la tête pour me dire de ne pas m’approcher. J’ai compris qu’il était suivi. Au lieu de partir je suis resté paralysée et je vois Mourad plaquer au mur le policier qui le suivait et ensuite partir. Le barman se tourne vers moi et me demande ce que je fais, je réponds sans réfléchir que je cherchais mon père», se rappelle-elle.

Malgré ces responsabilités, Drifa est bonne élève. Les études sont importantes pour son père. Elle apprend donc l’arabe et le français. À l’école française elle est studieuse et audacieuse. Elle se souvient qu’un jour elle s’est fait attribuer un zéro car elle a refusé de lire «Nos ancêtres les Gaulois ». Conduite à la directrice, cette dernière lui demande pourquoi cette rébellion ? Drifa lui répond «Mon grand-père s’appelle Messaoud, il ne peut pas être Gaulois».

Drifa était une enfant vive d’esprit. Elle se montrait à la hauteur de toutes les missions qu’on lui attribuait. Un jour en rentrant chez-elle le soir, elle croise Rabah Bitat qui l’attendait devant chez elle. La situation est grave, elle doit remettre à son frère un mot sur un papier. Larbi Ben M’hidi doit fuir. Elle applique à la lettre ce que  Rabah Bitat lui demande, Larbi Ben M’hidi échappe à la police française grâce à elle.

Drifa a vu partir ses deux frères, Tahar ensuite Larbi. Elle a dû garder secrète la mort de Tahar jusqu’à l’indépendance. Un chagrin lourd mais l’Algérie passait avant.

L’Algérie d’une part et la famille de l’autre

Après le décès de son père, avec sa mère, sa sœur et ses cinq filles, elle quitte Biskra pour Constantine. Drifa a 17 ans, mais désormais c’est le chef de la maison. «Mon beau-frère était parti au Maroc. Il me demande de prendre soin de ses filles et surtout de les instruire”.

Inscrire les enfants à l’école, trouver une source de revenue, s’occuper de la paperasse…etc.  Aidée par sa sœur, elles parviennent à mener tambour battant les responsabilités. «Ma sœurs s’occupait de la maison, et moi de l’extérieur. Pour l’argent on louait à un cousin une parcelle de terre et parfois on vendait nos bijoux», se souvient-elle.

L’Algérie est toujours colonisée. Ayant perdu tout contact avec les Moudjahidine, Drifa cherche tant bien que mal à rétablir ce contact mais en vain.

Un jour, alors qu’elle se faisait interroger par un capitaine garde-mobile, son ton ferme interpelle son voisin. Par le biais de ce dernier son souhait se réalise et elle reprend son engagement.

«À Constantine je m’occupais des cotisations. Je transportais également des bombes aux moudjahidines. Ceci a duré un bon moment et j’ai réussi à garder mon identité secrète », informe Drifa.

Mais pas pour longtemps. Le 11 décembre 1961, elle est chargée de conduire les manifestations à partir de son quartier. C’est la première fois qu’une mission l’expose autant. Arrivé au lieu du rassemblement, un homme lui ordonne de le suivre. «Il a vu que nous étions pris en photo, j’ai compris à ce moment-là que mon identité allait être divulguée ».

Quelques jours plus tard, un «frère» passe chez elle, prends leurs extraits d’actes de naissance, et lui demande de se préparer à partir. Elle ne sait ni où ni quand.

Comme promis, un soir Drifa, sa mère, sa sœur et ses cinq filles sont envoyées au Maroc où elle retrouve son beau-frère. Alors qu’elle ne devait rester qu’une quinzaine de jours et repartir, mais le cessez-le-feu est proclamé.

Au Maroc, Abdelkrrim Hassani leur rend visite. Il était commandant de la base de tripoli et ami proche de son frère Tahar. Il demande sa main, elle est promise à lui et se marient après l’indépendance.

L’Algérie est libre mais l’engagement de Drifa Ben M’hidi se poursuit 

Pour Drifa le plus dure dans tout ça est d’avoir vu ses parents souffrir de la perte de leurs garçons. Perdre ses enfants est la pire des choses, dit-elle.

De retour après l’indépendance, sa mère pleine d’espoir pense trouver à Alger son fils Tahar, hélas ce jeune garçon brillant est tombé au champ d’honneur.  Ce n’est que maintenant qu’elle pourra le pleurer. Elle dit avoir trouvé en son mari, un soutien sans égal. Par sa présence elle parvient à  surmonter ses douleurs.

En cette Algérie fraichement indépendante, Drifa est encore tourmentée. Elle a fait une promesse à son père et elle doit la tenir. «Mon père est mort de chagrin après Larbi. Il m’attribue la lourde tâche d’innocenter Larbi de cette accusation de suicide. Il me dit : tu viendras sur ma tombe et tu m’informeras qu’ils l’ont tué, je t’attendrai !».

Pour Drifa, il ne s’agissait pas seulement d’élucider les circonstances de la mort de son frère, mais de réparer une partie de l’histoire que la France a tenté de falsifier.

Elle confie avoir attendu que l’Algérie rétablisse la vérité, seulement rien ne s’est fait. Drifa, armée de sa détermination parvient à faire avouer Bigeard. Son frère est innocenté, l’histoire est rétablie et son père peut reposer enfin en paix.

Ce passé révolutionnaire, Drifa en parle sereinement et humblement. Sa participation à la guerre enfant et adolescente, est appréciée à sa juste valeur.

    

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