Djaffar Gacem se défend d’avoir « glorifié » les harkis dans son nouveau film « Heliopolis »

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Djaffar Gacem se défend d'avoir "glorifié" les harkis dans son nouveau film "Heliopolis"
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« Héliopolis », premier long métrage de Djaffar Gacem, attire les foules dans les salles de cinéma depuis sa sortie nationale le mercredi 19 mai 2021.


A Batna, Tlemcen, Béjaia, Saïda, Constantine, Alger, Oran, Annaba et Tizi-Ouzou , le public se déplace en masse vers les salles où le film, produit par le Centre algérien de développement du cinéma (CADC), est projeté. Le CADC a publié sur sa page Facebook plusieurs photos montrant l’affluence, limitée par les mesures de protection contre la pandémie de Covid 19, dans les salles. « Heliopolis » est en phase de devenir un film-événement depuis l’avant-première organisée mercredi 19 mai 2021 à l’Opéra d’Alger Boualem Bessaih.


Rencontrant le public, samedi 22 mai, à la cinémathèque d’Alger, Djaffar Gacem a répondu à ceux qui lui ont fait le reproche sur les réseaux sociaux d’avoir « glorifié » les harkis dans son film. « Ceux qui le disent, dont des pseudo journalistes, n’ont pas vu le film. Ils ont sûrement vu un autre film. Je ne suis pas historien. Je pose la question : est-ce que Ferhat Abbas était un harki, il était fils de caïd. Signataire des accords d’Evian, Krim Belkacem était-il harki lui aussi parce que fils de caïd ? Moi, j’ai réalisé un film humain », a-t-il déclaré.

Djaffar Gacem, « La fiction donne de la liberté au réalisateur »

« Aujourd’hui, en 2021, nous manquons toujours d’archives sur la guerre de libération nationale et sur l’Histoire de l’Algérie. Il y a également un manque d’historiens. Ce vide a fait que le cinéma prend en charge ces questions et va affronter le public », a-t-il poursuivi.


Il a regretté qu’il n’ait pas de films sur les français qui avaient soutenu la Révolution du Premier novembre 1954 comme Fernand Iveton ou Maurice Audin.

« Pour moi, la fiction doit être présente dans un film historique. Aussi, « Heliopolis » n’est-il pas un documentaire. La fiction donne de la liberté au réalisateur. On n’est pas là pour écrire l’Histoire, mais pour faire des films, du spectacle et du show, il faut juste qu’on respecte les faits historiques », a-t-il appuyé.


Sentiments contradictoires d’un fils de caïd

Le film de Djaffar Gacem revient sur l’Algérie sous occupation française dans les années 1940. Il narre l’histoire de Si Mokdad (Aziz Boukerouni), fils d’un caïd et propriétaire terrien, qui se trouve face à des sentiments contradictoires après la réussite de son fils, Mahfoud (Mehdi Ramdani) au baccalauréat.


L’accès de Mahfoud à l’école polytechnique est refusé par l’administration coloniale. La conscience nationaliste de Mahfoud se développe au contact de militants du PPA (Parti du Peuple algérien) de Messali Hadj et des AML (Amis du Manifeste et de la Liberté) de Ferhat Abbas. Il fréquente Si Sadek (Fodil Assoul), un commerçant convaincu par les idées d’indépendance.


Les événements s’accélèrent lorsque Bachir (Mourad Oudjit), cavalier et agriculteur chez Si Mokdad, gagne une course de chevaux. Après la victoire, des chants nationalistes sont entonnés, dont le célèbre hymne du PPA, « Fida’ou el Djazaïr,  présent pour la première fois au grand écran en Algérie. Dès la fin de la deuxième guerre mondiale, les nationalistes algériens organisent une marche à Guelma (et ailleurs en Algérie).

Milice coloniale

Les colons, qui se sont organisés en milice, soutenus par le sous-préfet André Achiary, vont commettre une boucherie à grande échelle de la population civile. Les cadavres sont brûlés ensuite dans les fours à chaux du domaine Marcel et Louis Lavie (des minotiers de Guelma). Le rôle des colons revanchards dans les tueries de Guelma est montré, également, pour la première fois dans le cinéma algérien alors que le regard sur le fils de caïd n’a plus la conformité des anciens « films révolutionnaires » Algériens.


 « Je n’ai pas voulu montrer toute la violence des massacres parce qu’ il ne fallait pas s’éloigner du langage cinématographique et laisser le public faire son constat. En réalité, les massacres étaient plus sauvages que ce que vous avez vu dans le film. Des centaines de victimes avaient été jetés dans « Kef el bouma » (ou Kef el Boumba), d’autres brûlés », a souligné le réalisateur.


Les comédiens français ignoraient tout des massacres de 1945

Il relève que les massacres du 8 mai 1945 (près de 45.000 civils tués à Guelma, Sétif et Kherrata par les colons et soldats français) étaient la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. C’était, pour les historiens, l’élément déclencheur de la guerre de libération nationale, neuf ans plus tard. « Un général français avait dit aux colons qu’il leur avait donné la paix pour dix ans après les massacres. Il n’a pas eu tort », a-t-il noté.


Lors du casting des comédiens français, organisé à l’Institut culturel algérien à Paris, le réalisateur a constaté que la majorité des candidats, qui ont lu le scénario, ignoraient tout des massacres du 8 mai 1945 en Algérie.  « Ils étaient tellement émus qu’ils avaient fait la queue pour décrocher un rôle dans le film comme ceux de Gervais (chef des colons) ou Marcel Lavie (où les victimes avaient été incinérés)…Ils voulaient participer au film », a relevé Djaffar Gacem. Ont été retenus dans la distribution, Cesar Duminil (Claude), Jacques Serres (Marcel Lavie) et Alexis Rangheard (le colon Gervais).


Dans le film, le réalisateur a distribué des comédiens algériens moins connus au grand écran comme Mohamed Frimehdi, Mourad Oudjit ou Nacereddine Djoudi. « C’est pour donner une crédibilité aux personnages (…) dans les dialogues, j’ai introduit des vérités comme la phrase d’André Achiary qui dit « : je suis blanc comme le lait, quand je chauffe je déborde ». J’ai repris aussi des extraits du discours de Ferhat Abbas (campé à l’écran par Mustapha Laribi) à Guelma », a souligné Djaffar Gacem.

« Heliopolis » sera distribué aux Etats Unis

Salim Aggar, critique et directeur de la Cinémathèque algérienne, a rappelé que la plupart des comédiens français qui avaient participé à des films algériens sur la guerre de libération nationale sont boycottés par les producteurs français. Il a cité l’exemple de Jean-Claude Bercq( qui joua le rôle d’un officier français  dans « l’Opium et le bâton » d’Ahmed Rachedi en 1970),  mort dans une Maison de retraite, totalement abandonné, en 2008.


« Pour la langue utilisée dans les dialogues, je voulais que toute l’Algérie comprenne le film, qu’il ne soit pas celui d’Alger ou de Guelma. A l’étranger, le film représente l’Algérie, pas une ville ou une région. Les films de Lakhdar Hamina ou d’Ahmed Rachedi s’exprimaient bien en langue algérienne », a soutenu le cinéaste.

Djaffar Gacem a annoncé la conclusion prochaine d’un contrat avec un distributeur américain pour la sortie de « Heliopolis » aux Etats Unis et au Canada. « Il a vu dans le film une approche qui ressemble à l’Amérique ségrégationniste et rappelle l’époque de l’esclavagisme (à partir du XVII ème siècle avec l’arrivée des colons britanniques). Nous avons également un distributeur du Moyen Orient qui s’est intéressé au film », a-t-il précisé. Il a rappelé qu’il est compliqué pour un film, qui n’est pas le fruit d’une coproduction, de sortir dans les salles à l’international.


D’où la nécessité d’encourager la coproduction et l’émergence de distributeurs en Algérie.


« L’homme qui aimait l’Algérie »

Djaffar Gacem a révélé que le projet initial du film portait le titre « L’homme qui aimait l’Algérie ». Il était concentré sur le personnage d’André Achiary, sous-préfet de Guelma, lequel avait appuyé et couvert les massacres commis par les colons français contre les civils (Achiary est impliqué également dans l’attentat à la bombe de la rue de Thèbes à la Casbah d’Alger, commis en août 1956, et qui a provoqué la mort de 80 civils algériens).


Le film a eu un apport financier du ministère de la Culture, mais pas du ministère des Moudjahidine. « On m’a expliqué que pour avoir le soutien du ministère des Moudjahidine, il faut que le film retrace le parcours d’un héro de la guerre de libération nationale (comme ce fut le cas pour « Benboulaïd » ou « Lotfi » d’Ahmed Rachedi). J’ai dit que le film évoque une période historique de l’Algérie », a expliqué Djaffar Gacem.

Et d’ajouter : « A Guelma, j’ai rencontré Saci Benhamla, qui a vécu les événements sanglants du 8 mai 1945 (il a été aussi secrétaire de la section PPA-MTLD de Guelma). Il regrettait que les acteurs de cette époque ne soient pas considérés comme des moujahidines. J’ai voulu faire « Heliopolis » parce que des jeunes d’aujourd’hui ignorent presque tout de cette période. Ils connaissent peut être le nombre des victimes, mais n’ont aucune idée sur les causes des massacres », a-t-il noté.
Le scénario de « L’homme qui aimait l’Algérie » a été réécrit pour devenir ‘Heliopolis » avec la contribution de Salah eddine Chihani et Kahina Mohamed Oussaid.

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