Dalila Dalléas Bouzar ou les racines au carré

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Dalila Dalléas Bouzar ou les racines au carré
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Libérer la mémoire pour chérir les souvenirs piétinés sur les chemins, pourtant tracés à la corde de l’oppression, là où le vertige le dispute avec l’abime ; voilà la porte que nous pousse à ouvrir Dalila Dalléas Bouzar, lauréate du SAM Prize* en 2021 .

Née en 1974 à Oran en Algérie, l’artiste peintre vit et travaille à Bordeaux en France. Dessinatrice depuis toujours, elle se préparait à une carrière de biologiste avant de découvrir la peinture lors d’un workshop à Berlin.

A contre courant de la ligne éditoriale de l’enseignement aux Beaux arts de Paris dans les années 90, elle s’oppose à l’art contemporain dominant où le discours prime sur l’oeuvre, omnibulé par les nouveaux matériaux que sont les écrans et réfute le concept sur la mort de la peinture . De Louise Bourgeois à Picasso, Delacroix, François Boucher, Anis Kapoor aux tisseuses algériennes , Dalila Dalléas Bouzar approfondit l’héritage, son langage et sa pluralité .

Sa peinture trouve son moteur dans une réflexion née de sa révolte face à la condition des femmes, à l’histoire des dominations, au colonialisme, au patriarcat ancien ou moderne dont l’objet est souvent le corps des êtres et particulièrement celui de la femme .

Peindre des corps et des visages (le siens comme ceux des autres) traduit sa volonté de considérer le portrait comme un moyen de recherche identitaire et une expression critique des rapports de force et d’exploitation .

Elle questionne le statut de l’artiste, l’histoire de l’art et la représentation comme outil de pouvoir . Son style qu’on pourrait qualifier de figuratif est cependant à la croisée entre le réel, le symbolique et le rêve; il interroge la représentation picturale, loin de toute tendance narrative.

Dalila Dalléas Bouzar, franco algérienne, tire de sa double culture d’autres rapports à l’image, à l’objet et au sacré, elle est attentive aux dissonances/harmonies  culturelles par définition hégémoniques dans les représentations occidentales de l’histoire de l’art.

Elle, qui s’identifie avant tout, aux femmes africaines et à leurs traditions puise dans la mémoire algérienne les formes d’une histoire de la violence souvent due à la couleur de leur peau et à l’esclavage .

Par delà ces corps aux identités blessées, Dalila Dalléas Bouzar nous transmet dans ses oeuvres leurs présences fortes, puissantes, lumineuses .

Dans Algérie Année Zéro (2012) ou Princesses (2015) elle réinterprète  les images de l’histoire algérienne, elle aborde la mémoire individuelle et collective ainsi que la vision fantasmée de l’Orient dans la série Femmes d’Alger où elle cite Delacroix (2012-18).

Dans les séries Omar (2018) ou Saint-Georges et le dragon (2018) elle cherche à peindre des identités invisibles dans le champ des représentations dominantes d’hier mais aussi d’aujourd’hui .

Elle déconstruit les stéréotypes sur les femmes arabes dans Studio Orient (Quai Branly, 2019), elle ritualise le lien du peintre au monde et au musée dans 1/365 Revolution (Musée des Civilisations noires de Dakar, 2019) et elle interroge le statut du peintre durant la performance  Studio Dakar (2018), dans le cadre de la Biennale de Dakar, en réalisant à l’huile les portraits de passants à Ouakam et Grand-Yoff (Sénégal) ou en résidence en Algérie aux côtés de brodeuses traditionnelles, elle donne à voir son œuvre  textile « Innocente » qui a été présentée au Musée du Bardo (Algérie) durant l’été 2019 .

« Tout territoire est avant tout une métaphore difficile à circonscrire » a écrit Simon Njami** critique d’art à propos du travail de Dalila Dalléas Bouzar .Le territoire de l’artiste est encore vaste à labourer et, les moissons des racines au carré seront généreuses  sans aucun doute .

  • SAM Art Projects  est une organisation à but non lucratif qui favorise les échanges artistiques entre le Nord et le Sud, entre l’Est et l’Ouest. SAM Art Projects apporte un soutien financier et humain à des artistes contemporains basés en France ou dans des pays situés hors des grandes places du marché de l’art.

**Simon Najmi  est écrivain, commissaire d’exposition, essayiste et critique d’art camerounais.Il est spécialiste de l’art contemporain et de la photographie en Afrique.

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