Les hôpitaux sont surchargés
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Mohamed Bekkat Berkani est président de l’Ordre national des médecins praticiens et membre du Comité scientifique national chargé du suivi de la pandémie de la Covid-19. Il dénonce le non respect des mesures de prévention et critique « la communication des chiffres » développée autour de la maladie en Algérie. Pour lui, il faut choquer…

2H Algérie: Après une période de stabilisation des cas confirmés de Covid 19, en avril et en mai 2020, on assiste ces derniers jours à une hausse importante des cas positifs surtout dans des wilayas comme Sétif, Batna, Ouargla, Oran et Alger. Comment expliquer cette reprise forte de la pandémie?

Mohamed Bekkat Berkani : L’explication majeure c’est ni la variation du virus ni autre chose, c’est le comportement de nos concitoyens en particulier. Au sortir du confinement et du Ramadhan, et après l’Aïd, les gens ont repris une activité frénétique, anormale. On organise des mariages, on va vers des regroupements familiaux et des fêtes…Les marchés qui ouvrent, les rassemblements publics sans aucune précaution. Le virus est encore là, circule, en particulier à Sétif, Constantine, Blida, Alger.

Certains pensent que les visites familiales de l’Aïd El Fitr ont accentué la propagation du virus

Effectivement. Pour des raisons de négation coupable, certains algériens n’ont pas pris de précaution estimant que la maladie n’existe pas. Ils n’y croient pas. D’autres pensaient qu’avec l’arrivée de l’été, le virus allait mourir au soleil. En plus de cette responsabilité collective, il y a aussi les failles de la communication officielle et de la non prise de décision par les pouvoirs publics. Le Premier ministère a promulgué un décret rendant obligatoire le port du masque dans l’espace public. Plus de 50 % des citoyens n’ont pas respecté cette obligation dans les villes, ailleurs on n’entend même pas parler du masque. Nous avons un problème d’exécution des lois. A tous cela, il faut ajouter le manque de confiance.

Vous critiquez la communication officielle. Pourquoi?

On a pêché par une communication traditionnelle. Une communication quotidienne sèche en alignant des chiffres. On n’a pas essayé de convaincre. C’est le rôle des médias mais celui de la société civile. Dans chaque wilaya, il y a des centaines d’associations. Où sont-elles?Au début de la pandémie, elles ont distribué quelques masques, puis ont totalement disparu après. La pression sur les quartiers à propos de la prévention est très utile. Des personnes connues par leur probité et des personnalités publiques comme les footballeurs peuvent y contribuer. Or, chez nous, on veut reprendre le championnat dans un pays où la pandémie est partout. C’est ridicule. Où sont les gens qui sont assez représentatifs en Algérie? Où sont les partis qui ne sont là que pour organiser des congrès et ou des réunions? Est-ce vraiment le moment d’organiser ces réunions alors que l’Algérie est en état d’urgence sanitaire? Le débat sur le projet de révision de la Constitution peut se faire, mais il faut que tout le monde descende dans l’arène pour la prévention sanitaire. C’est une cause nationale. Il faut essayer convaincre de plus en plus de gens à prendre des mesures de précaution. C’est l’affaire de tous. Ce n’est pas uniquement celle du ministère de la Santé. La situation épidémiologique est sérieuse mais pas désespérée

De quelle manière?

Trouver de plus en plus de malades, cela veut dire qu’il s’agit de cas contrôlés. Ils étaient là comme des porteurs sains. Là, ils sont traités et isolés. Seulement, le respect des mesures barrières est indispensable. Ce matin (Jeudi 2 juillet), dans la rue, les gens se baladaient à Alger sans masque. Il n’y avait personne pour les rappeler à l’ordre.

Justement, pourquoi certains algériens ne croient pas à l’existence de la Covid 19

Cela est lié au manque de communication. Je pense qu’il faut montrer les images de malades de tout âge qui sont dans les services de réanimation et qui ont des difficultés à respirer. Là, on s’est contenté de publier des chiffres sur le nombre de cas sans expliquer et sans illustrer. La communication doit être active pour frapper l’esprit des gens. C’est un métier. Avec le manque de confiance, les gens pensent que le but de la maladie est de mettre fin au hirak alors que la situation sanitaire est inquiétante dans certaines wilayas. Il n’y a plus de places dans les hôpitaux ! A Sétif, à Alger et ailleurs. Allez à Bab El Oued, à l’hôpital Mustapha Bacha, les services dédiés à la Covid 19 sont pleins.

Faut-il alors rétablir le confinement total ou partiel dans certaines régions?

Sur recommandation du Comité scientifique, le gouvernement a décidé de donner autorité aux responsables locaux de prendre des mesures. Il est temps qu’ils le fassent. Le wali représente l’Etat algérien. Qu’il s’organise alors. S’il faut qu’il confine un village, un quartier ou toute la wilaya qu’il le fasse. Les autorités locales doivent agir en fonction de l’évolution de la situation sanitaire en prenant des décisions et en faisant respecter les mesures du gouvernement sur leur territoire. Le virus est compliqué. Il y a des gens malades, des porteurs sains, des malades qui rechutent…Aussi, le port du masque est-il indispensable. C’est un confinement individuel. Vous êtes confinés avec votre masque et pouvez vous déplacer. Il n’y a qu’une seule priorité actuellement : lutter contre la maladie. Heureusement que les frontières terrestres, aériennes et maritimes demeurent fermées. Essayez d’imaginer que ces frontières soient encore ouvertes? Nous aurons l’arrivée de voyageurs qui viennent de pays non encore stabilisés sur le plan épidémiologique comme la France. N’oubliez pas que la Covid-19 est arrivée en Algérie par des personnes venues de France. On ne peut pas interdire les plages en Algérie aux baigneurs pour leur permettre d’aller se baigner à Hammamet en Tunisie. La Tunisie ne dévoile pas la réalité de la situation sanitaire.

Comment ?

La Tunisie et le Maroc, pour des raisons de stratégie et de tourisme, ne dévoilent pas les véritables chiffres des cas. La Tunisie a une seul centre de prélèvements PCR à Tunis. Le Maroc est doté de deux centres de prélèvements à Casablanca et à Rabat. Les gens sont confinés au Rif. Au Maroc, il est interdit de se déplacer entre les régions sauf avec autorisation. Ce n’est pas le cas chez nous. Le transport urbain a été autorisé à reprendre, les gens peuvent se déplacer avec leurs voitures d’une région à une autre, mais il faut que les gens prennent leurs dispositions, mettent le masque, s’éloignent les uns des autres. A Eulma, à Sétif, les gens ont organisé des mariages avec des cortèges toutes sirènes hurlantes passant devant des commissariats de police sans que personne ne leur dise quoi que ce soit ! Nous avons un vrai problème donc.

Faut-il aller vers des tests massifs de la population comme en Allemagne ou en Corée du Sud?

Les testes massifs permettent d’avoir une idée épidémiologique sur une population donnée. En Algérie, on est entrain plus au moins de produire ces tests avec beaucoup de retard pour des raisons, encore une fois, incompréhensibles. Le test de certitude permet de trouver le virus en cas de maladie, de porteur sain ou de sujet contact. L’Institut Pasteur est au bord de l’épuisement avec ses centres. On n’arrive pas à suivre. L’Allemagne a fait des millions de tests sérologiques et le résultat est qu’il y a eu résurgence de la maladies dans certains landers. Cela ne protège pas. Quelque soit le système, il faut aller vers une gradation de la lutte. Il est établi aujourd’hui qu’une autorité sanitaire doit se faire. Il y a une urgence sanitaire qui abolit les libertés individuelles et collectives. Il y a un danger sur la santé publique. Un individu qui ne prend pas ses dispositions est susceptible d’être inculpé de trouble à l’ordre public, si on veut s’en sortir dans les plus brefs délais. Sinon, les cas vont continuer d’augmenter. Il faut savoir que le nombre des patients intubés, qui sont dans un état grave, a augmenté dans les services réanimation. Il est de 50 actuellement.

Mais, le nombre de décès actuel ne semble pas important.

C’est une chance. Cela peut s’expliquer probablement par la baisse de la virulence du virus lui même, selon ce qu’ont avancé certains spécialistes. Mais, le coronavirus est toujours là parmi nous. Pour casser la transmission, les mesures à prendre sont claires tant qu’on n’a pas trouvé de vaccin. On est encore dans la première vague en Algérie avec des foyers identifiés. Il ya les grandes villes parce qu’il y a un brassage de populations comme Alger ou Blida. Blida qui a renoué avec ses anciennes habitudes de marchés ouverts comme si on voulait rattraper un temps perdu.Idem à Batna, Constantine, Oran et Eulma. Ces villes sont également des carrefours commerciaux. Les gens y viennent et repartent sans porter de masques.

Faut-il aller vers un durcissement des sanctions?

Il faut juste appliquer ce qui a été décidé par le gouvernement et appliquer la loi dans toute sa vigueur. Il faut adopter une communication objective et adaptée à la mentalité de l’algérien. Il faut dire la réalité, mais pas en chiffres. Il faut aller vers le choc des images en montrant les malades dans les hôpitaux. Il est nécessaire d’organiser de vrais débats avec des personnes qui ont guéri de la maladie. Il y a des plans de communication à élaborer.

L’Algérie a adopté un protocole thérapeutique à base d’hydroxychloroquine. A-t-il donné de bons résultats ?

Le débat sur d’hydroxychloroquine est important . En Algérie, nous l’avons utilisé avec beaucoup de succès apparemment. Nous n’avons pas eu le temps de faire des études randomisées en double aveugle, c’est à dire donner l’hydroxychloroquine à certains malades et pas à d’autres . Avez vous le droit en temps d’épidémie de le faire ? En temps normal, avec un médicament quelconque, on peut rattraper le coup, mais pas en temps d’épidémie. Si les gens meurent, vous aurez un problème d’éthique. Le médicament appliqué actuellement semble marcher, mais on fera les études après. L’essentiel est de sortir de l’épidémie. Nous ne sommes pas dans un débat académique. En plus, on voit apparaître des conflits d’intérêt entre grands laboratoires pour des raisons bassement commerciales. Ils surfent sur la maladie et sur la détresse des gens.

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