Constitution : l’Algérien, citoyen ou sujet?

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manifestant hirak
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Des trois précédents articles (disponibles ici, ici et ici) il ressort assez clairement que les constitutions algériennes relèvent de deux logiques. L’une apparente immédiatement s’inscrit dans une conception citoyenne, celle des droits de l’homme, que l’adhésion de l’Algérie à la Déclaration universelle de 1948 et au Pacte international de 1966 des Nations-Unies confirme. Mais cette adhésion théorique est fortement contestée par des pratiques policières et judiciaires répressives particulièrement évidentes depuis la pause opérée par le Hirak, le Mouvement citoyen du 22 février 2019.

Ce constat alimente le point de vue selon lequel les Constitutions algériennes énoncent correctement les libertés individuelles, civiles et politiques. Ce sont les pratiques du pouvoir qui sont liberticides. Ce point de vue ignore la deuxième logique contenue dans les constitutions et qui fonde l’assujettissement des Algériens à l’Etat.

Ce renversement de la hiérarchie dans la relation citoyen-Etat s’appuie sur les ambiguïtés qui affectent les notions de « souveraineté nationale», « d’unité nationale » et «d’indépendance nationale». Les motifs d’inculpation des victimes de la répression policière et judiciaire se rapportent à ces notions dévoyées dans les constitutions. La légitimité des protestations des citoyens contre la répression se fonde sur les libertés constitutionnelles. Les autorités lui opposent une autre légitimité non perceptible immédiatement mais constitutionnelle, celle de la suprématie de l’Etat imaginairement menacé.

Les limitations constitutionnelles de la souveraineté du peuple

Si l’on se réfère à l’alinéa 2 de l’article 7 de la Constitution, la réponse est claire : « La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple». Précisons que cette « souveraineté nationale » recouvre la démocratie directe à travers référendum et élections des représentants, et la démocratie représentative par le biais des élus du peuple. Rappelons aussi la définition du mot « souverain » : « Qui détient en droit ou en fait le pouvoir suprême dans l’État».

Mais la Constitution limite cette souveraineté du peuple. En effet, l’article 234 de la constitution met hors de portée de toute révision constitutionnelle le caractère républicain de l’Etat, la démocratie, le multipartisme, les libertés et le plafond des deux mandats du Président de la République. Cette limitation emprunte à la démocratie constitutionnaliste qui traduit la suprématie du Droit.

En effet, à titre d’exemple, la constitution américaine, dans son premier amendement, interdit au Congrès des Etats-Unis de voter toute loi qui remet en cause les libertés individuelles. S’agissant de l’Algérie, on peut donc considérer la limitation constitutionnelle de la souveraineté du peuple conforme au Droit énoncé par la Déclaration universelle de 1948 et le Pacte international de 1966 sur les droits de l’homme. Les rédacteurs de la Constitution veulent mettre les fondements d’un Etat démocratique à l’abri de toute mauvaise humeur des électeurs ou de leurs représentants. C’est universellement admis. Les langues nationales et officielles sont également exclues du champ de la révision constitutionnelle. Elles relèvent du Droit mais le droit des cultures et langues est ici incomplet.

Les limitations ne s’arrêtent pas là. Le même article 234 exclut de toute révision constitutionnelle, donc de la souveraineté du peuple, l’Islam religion d’Etat, l’emblème national et l’hymne national. Dans les premières limitations, nous avons reconnu la suprématie du Droit, Droit qu’il ne faut pas confondre avec la législation. Ce Droit est énoncé dans les documents cités des Nations-Unis.

Mais dans cette deuxième série de limitations, l’Islam religion d’Etat contredit les libertés individuelles. Nous avons vu dans l’article « les origines chrétienne et européenne de la religion d’Etat » (lire), que la religion d’Etat, principe contenu dans le Traité de Westphalie de 1648, disposait que la religion du souverain d’un Etat s’imposait à ses sujets. Cette disposition mettait fin à la « Guerre de trente ans » qui opposa les Etats catholiques et les Etats protestant de 1630 à 1648. Mais depuis ce 17ème siècle meurtrier, les Européens ont progressivement abandonné ce principe au profit des libertés de conscience et de culte. Donc, on peut au moins considérer que cette disposition contredit le Droit. Une autre limitation attire l’attention.

L’emblème national et l’hymne national sont soustraits du choix du peuple. Nous connaissons l’attachement des Algériennes et des Algériens à ces deux symboles. Il n’est pas question ici de modification ou d’un quelconque abandon. Cependant, une question fondamentale se pose : quelle souveraineté la Constitution algérienne place-t-elle au dessus de la souveraineté du peuple ? Nous savons pour ces dernières limitations que ce n’est pas le Droit.

Le Souverain dans les constitutions algériennes

Aucun article de la Constitution ne désigne explicitement ce souverain placé au dessus de la souveraineté populaire. Nous en avons seulement les manifestations, ces limitations qui ne relèvent pas du Droit. Une lecture attentive du préambule de la constitution permet cependant d’avancer dans son identification.

En effet, le préambule de la constitution décrit une histoire sublimée de la Nation algérienne depuis l’antiquité. C’est le « roman national » fait de légendes, de succès, de réalisations exemplaires. Les « fils » de cette Nation sont des « bâtisseurs d’Etats démocratiques et prospères dans les périodes de grandeur et de paix ».Cette Nation possède «le passé glorieux » au sein duquel «le 1er Novembre aura solidement ancré la guerre de libération nationale ».

Cette Nation ne se réduit pas au peuple algérien. Elle s’étend aux générations passées particulièrement représentées par « les chouhadas », « leurs ayants droit » et les « moudjahidines ». C’est une histoire purifiée, embellie qui fonde la Nation algérienne mythique. C’est l’Algérie éternelle, transcendant le temps. Voilà le souverain, l’autorité ultime, qui surclasse la souveraineté populaire dans nos constitutions. C’est cette souveraineté mythique qui a construit le drapeau national et l’hymne national.

Il ne peut appartenir donc à une autre souveraineté bien terrestre d’en modifier le contenu. A contrario, la première constitution algérienne de 1963 disposait dans son article 75 : «Provisoirement, l’hymne national est Kassamen. Une loi non constitutionnelle déterminera ultérieurement l’hymne national.». Ce qui montre bien le durcissement de l’idéologie officielle. Cette sacralisation de la Nation confère une charge psychologique lourde aux notions « d’unité nationale », « d’indépendance nationale », et de « territoire national ». Même l’Armée que certains réduisent à « un corps de fonctionnaires » est drapée de la charge historique.

Le rappel régulier de « l’héritage de l’ALN » participe à fonder cette Nation mythique. Il se crée un grave malentendu, un quiproquo sérieux, entre les Algériens qui veulent prendre en main le destin de leur pays et ceux plus souvent en place dans les institutions de l’Etat qui leur opposent cette Nation mythique dont les choix sont « ancrés » dans l’histoire du pays et qui ne peuvent souffrir l’évolution voire la contestation. Bien entendu cette notion de Nation mythique sert l’Etat autoritaire. Elle limite la souveraineté populaire. Elle transfert par conséquent des pouvoirs vers une autre autorité.

Les fondements de l’Etat autoritaire.

La Nation mythique est une abstraction. Elle a besoin d’une incarnation, d’une manifestation dans une forme humaine pour exercer son pouvoir ultime, sa souveraineté. L’article 88 de la constitution de 2020 attribue cette fonction au Président de la République : «Le Président de la République, Chef de l’Etat, incarne l’unité de la Nation ». Comme précisé plus haut, la Nation ne se confond pas avec le Peuple. Le Président de la République représente certes le peuple qui l’a élu.

Mais il est également porté par les voix des générations d’Algériens qui sont mort pour la patrie. Il est l’incarnation de la Nation mythique. Le système présidentiel mis en place lui attribue des pouvoirs étendus sans contre pouvoirs conséquents. Une comparaison entre les régimes présidentiels américain et algérien est sans appel. Le Président algérien n’a ni chambre des représentants, ni sénat, ni cour suprême pour lui limiter les pouvoirs. Bien au contraire, l’article 144 de la Constitution dresse la liste des domaines où le parlement peut légiférer. Toute énumération constitue une limitation. Les constitutionnalistes américains en étaient conscients qui ont consacré le 9ème amendement pour préciser : « L’énumération de certains droits dans la Constitution ne pourra être interprétée comme déniant ou restreignant d’autres droits conservés par le peuple. ».

L’article 152 de la constitution algérienne semble confirmer l’idée de limitation des prérogatives du parlement en énonçant : « Les matières autres que celles réservées à la loi, relèvent du pouvoir réglementaire du Président de la République ». Ainsi, des dispositions constitutionnelles ne confirment pas totalement l’alinéa 2 de l’article 7 selon lequel « La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple». Les mandats du précédent Président de la République ont été assimilés à une monarchie. Avec la nouvelle constitution le risque de récidive reste entier. L’usage abusif de l’accusation « d’offense au Président de la République » n’est pas fait pour rassurer sur ce risque. Faut-il rappeler que cette accusation est « l’héritière républicaine » du délit de lèse-majesté brandi contre les contestataires du Roi de droit divin.

Ainsi, à la question posée en titre, nous pouvons répondre sans hésitation que les dispositions constitutionnelles traitent les Algériennes et les Algériens comme des citoyens par la reconnaissance théorique de leurs droits fondamentaux. Elles implantent dans le même temps les conditions qui les soumettent à l’Etat comme des sujets.

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