Cinq leçons à propos des Accords d’Évian

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Casbah, Alger, 1962 (DR)
Casbah, Alger, 1962 (DR)
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La période de 60 années qui nous sépare des Accords d’Évian est assez longue pour permettre de considérer -dans certains de ses aspects au moins- cet évènement dans sa perspective historique, et d’essayer d’en tirer quelques leçons au regard de la situation mondiale actuelle.

Aujourd’hui, le processus de décolonisation est presque achevé à travers le monde. Ne persistent encore que les cas du Sahara occidental et de la Palestine – incidemment, deux territoires proches de l’Algérie, aussi bien géographiquement qu’historiquement.

Par rapport aux autres pays sous domination coloniale, la décolonisation de l’Algérie se distingue notamment par la nature et la durée de la colonisation subie (une brutale entreprise de meurtres de masse, de dépossession, de prédation, une colonisation de peuplement de 132 ans) ainsi que par la violence de la guerre qui y met un terme.

Une caractéristique fondamentale de la domination coloniale française en Algérie a été le systématique travail de sape de la culture du peuple algérien et la destruction des bases de l’alphabétisation et de l’éducation de plusieurs générations. Ainsi la colonisation est parvenue à endommager durablement les ressorts vitaux de la société algérienne et, notamment, à annihiler ses élites et la possibilité même de leur formation. C’est dans ces conditions désastreuses que le peuple algérien trouve au fond de lui-même les ressorts de la révolution qu’il mènera contre le colonialisme français et qu’il forgera dans la lutte les instruments militaires, politiques ou diplomatiques de son combat.

D’emblée, dans la proclamation du 1er novembre 1954, le Front de Libération Nationale (FLN) définit son action comme une lutte anti-coloniale intégrant ses dimensions nationale et internationale et définit parmi ses objectifs « l’internationalisation du problème algérien ». Au moment où il déclenche la guerre de libération nationale, le FLN, dans son acte de naissance même, affirme « son désir de paix et sa volonté de limiter les pertes en vies humaines et les effusions de sang, et avance une plate-forme honorable de discussion aux autorités françaises » avec l’objectif qu’elles reconnaissent le « droit du peuple algérien de disposer de lui-même ». Le FLN demande également l’ouverture des négociations avec les porte-parole autorisés du peuple algérien sur les bases de la reconnaissance de la souveraineté algérienne, une et indivisible.

Il est tout à fait remarquable que la guerre de libération nationale (1954-1962), malgré un rapport des forces extrêmement défavorable aux combattants algériens, ait abouti à la réalisation totale des objectifs du 1er novembre 1954, comme en témoignent la négociation et la conclusion des Accords d’Évian.

Quelles sont les principales raisons (et les leçons) de ce succès historique ?

Si la décision de déclencher la guerre de libération intervient à un moment de très grave crise au sein du mouvement national (divisions, démobilisation, doutes…) et en particulier de son principal parti, le PPA-MTLD, cette décision est prise par un petit groupe de militants révolutionnaires formés et aguerris par de longues années de lutte politique contre le colonialisme. Ces militants ont une vision claire de l’objectif : la conquête de l’indépendance nationale. Ils sont conscients de la faiblesse de leurs moyens, mais sont animés d’une grande force de conviction, et savent qu’ils reflètent une profonde aspiration populaire.

Jusqu’à la signature des Accords d’Évian, les dirigeants de la révolution ne dévieront pas de l’objectif de la conquête de la «souveraineté algérienne, une et indivisible », et ce malgré les obstacles érigés l’un après l’autre sur le chemin, notamment l’intensification de la guerre par la deuxième armée du monde après le retour de De Gaulle au pouvoir, les manœuvres de division du FLN et de l’ALN (rencontre à l’Élysée entre De Gaulle et les chefs de la Wilaya 4), les tentatives de partage de l’Algérie (plan Hersant, plan Peyrefitte), la tentative de séparer le Sahara de « l’Algérie du nord »… La clairvoyance et la fermeté intransigeante des dirigeants algériens et les immenses sacrifices consentis par le peuple algérien ont permis d’atteindre l’objectif de l’indépendance et de la souveraineté, une et indivisible.


Une autre raison du succès des négociateurs d’Évian réside dans la capacité du GPRA de maintenir son unité malgré l’affrontement de lignes politiques conflictuelles au sein de la direction du FLN, naturellement exacerbées par les inimitiés et les rivalités personnelles, affrontements qui aboutissent parfois à la paralysie du gouvernement (qui finit par s’en remettre aux « militaires » comme dans le cas, en 1959, de la « réunion des 100 jours » ou « réunion des 10 colonels », ou encore, de façon tragique, au recours à la violence (procès expéditifs, liquidations physiques). Mais malgré ces graves dangers pour la poursuite du combat, le FLN est toujours finalement parvenu à faire prévaloir en son sein le compromis sur la confrontation ouverte, et donc à minimiser ses contradictions internes et à présenter un front uni dans la négociation avec la France.

Haut niveau d’éthique


Une troisième raison se trouve dans le haut niveau d’éthique qui a prévalu chez les dirigeants du FLN et chez ses négociateurs. La collégialité de l’organisation et de l’action de la délégation n’a pas été prise en défaut malgré les manœuvres de l’autre partie. Ainsi lorsque, à un moment crucial de la négociation d’Évian, le chef de la délégation française, Louis Joxe, demandera à rencontrer en tête-tête le chef de la délégation algérienne, Krim Belkacem, celui-ci se rendra à la rencontre mais ne s’engagera sur rien avant d’en référer aux autres membres de la délégation. Selon le même principe, le GPRA ne manquera jamais d’informer et de consulter ses ministres en détention (Ait Ahmed, Ben Bella, Bitat, Boudiaf, Khider), de même qu’il informera au préalable et fera approuver par vote le contenu des accords par le Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA).


Cette éthique démocratique de la direction du FLN se retrouve également dans le rôle accordé par le GPRA à l’expertise disponible dans les rangs nationalistes. Face à la première diplomatie du monde, face aux experts militaires français, face aux juristes parmi les plus réputés au plan mondial, les Algériens ont mobilisé le savoir disponible dans leurs rangs. De ce point de vue, on peut voir que l’état d’esprit (patriotique, démocratique, respectueux de la compétence) qui a prévalu chez les dirigeants algériens a permis de valoriser au mieux le savoir disponible et de faire aboutir au mieux des intérêts de l’Algérie et de son peuple dans une négociation extrêmement difficile.


Enfin, il faut souligner la pertinence de la stratégie diplomatique des révolutionnaires algériens. En effet, ils refuseront de façon claire et non équivoque, toute trêve dans les combats avant que l’objectif (l’autodétermination) ne soit atteint. Le maintien de cette position est d’autant plus admirable que dans les deux dernières années de la guerre, l’Armée de Libération Nationale (ALN) de même que la population dans son ensemble avaient été terriblement éprouvées par la férocité d’une guerre, systématisée et intensifiée par De Gaulle, qui, à défaut de pouvoir empêcher l’indépendance de l’Algérie, visait à réduire au maximum les rangs des combattants, à les priver du soutien de la population et à saper la position des négociateurs. Le cessez-le-feu n’interviendra donc qu’après la signature des Accords d’Évian et la reconnaissance du droit des Algériens à l’autodétermination et à l’indépendance de leur patrie, une et indivisible.

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1 commentaire

  1. Que doit on retenir , fondamentalement, des accords de Evian ? C’est l’aboutissement de négociations , oui de négociations entre les algériens et leur ennemi la France . Oui , on doit négocier avec n’importe quel adversaire ou ennemi , sauf qu’aujourd’hui un président comme Zelinski ne veut pas négocier avec la Russie en entraînant son peuple dans une guerre frasticide.
    Si au début de l’invasion russe, ce président avait déclaré ne pas rentrer dans L OTAN , il aurait évité autant de pertes et de mouvements de foules.
    Les russes et les ukrainiens ne doivent pas écouter tous ces vautours de guerre qui ont dévasté l’Irak , la Syrie ainsi que la Libye. , mais écouter leurs coeurs communs.
    Les accords d’Evian ont été l’oeuvre du côté algérien de jeunes militants qui se sont confrontés aux vieux briscards de la France : le courage d’agir.

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