Cinéma: un biopic incomplet sur Si Mohand Ou Mhand, le poète errant

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Cinéma: un biopic incomplet sur Si Mohand Ou Mhand, le poète errant
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Ali Mouzaoui a tenté de suivre dans un long métrage de 120 minutes le parcours du poète  “Si Mohand Ou Mhand”. Le film a été projeté en avant-première nationale mardi 19 juillet à la salle Ibn Zeydoun, à Alger.
Le biopic ne restitue pas toute la vie et l’œuvre du poète kabyle Mohand Ou Mhand Nath Hmadouch, mort en 1905 à Ain El Hammam après des années de vagabondage et de solitude.


Dans les premières images, on voit le poète, encore enfant, assister à la destruction du village par les soldats français. Rapidement, on voit l’enseignant du coran faire subir la falaqa au jeune Mohand sous les yeux pleurants de Ouardia qui deviendra plus tard son épouse. Le passage de Mohand par la zaouia est expédié en quelques secondes autant que l’éclatement de sa famille, un père exécuté par les militaires français et un maître, Cheikh Arezki, forcé à l’exil en Nouvelle-Calédonie. Deux événements pourtant majeurs dans la vie du poète.
La révolte de 1871 menée par Cheikh El Mokrani à partir des Bibans et qui s’est étendue vers l’est, le centre et le sud-ouest de l’Algérie n’est pas suffisamment montrée dans le film d’Ali Mouzaoui. Même le rôle joué par Si Mohand Ou Mhand lui-même n’est pas clair. A-t-il combattu? Était-il contre le combat? Une scène forte évoque le courage des femmes kabyles.


Marchant sur la route en chantant, un groupe de femme bloque le passage d’une dizaine d’hommes qui s’apprêtaient à se rendre à La Mecque. Une femme, la plus âgée, demande aux hommes de retourner défendre leurs terres contre les colonisateurs français. La résistance passe avant le pèlerinage.


“La visite de l’archange”

Pour Si Mohand Ou Mhand l’arrivée des militaires français en Kabylie ressemblait à un éboulement de terre qui a  emporté le jardin.
L’émergence du poète n’est pas visible dans le film d’Ali Mouzaoui. “Dans la légende, on dit que Si Mohand Ou Mhand a reçu la visite de l’archange. Il devient un poète. Une mission. Il prend la canne abandonnée par l’archange et devient la preuve tangible que cette visite a eu lieu. J’ai préféré montrer l’image du poète en fin de vie, montrer un destin qu’on ne peut pas détourner. Un destin déjà tracé”, a expliqué le cinéaste lors du débat après la projection-presse.  


Ali Mouzaoui a, sans réussir totalement, pris des éléments de la tragédie grec pour raconter l’histoire de Si Mohand Ou Mhand comme un héros empruntant un autre chemin que celui “voulu” par les Dieux.
L’impuissance sexuelle du poète est pudiquement montrée dans le film lors que Si M’Hand confie à son épouse qu’il ne peut pas donner à boire à la jument “parce que la source est gelée”. Cette impuissance et la douleur qu’elle charrie ont alimenté la flamme du poète durant toute sa vie. Il se livre à l’absinthe et au kif avec une pipe qui ne le quitte jamais. Il souffre de l’abandon de ses amis. Des amis qu’on voit furtivement dans le film.


Des ruptures dans le récit

Les routes, longtemps empruntées par le poète errant, sont montrées de loin. L’éloignement de Si Mohand Ou Mhand de son épouse et de sa mère est ignoré. Le spectateur voit que le poète voyage à Tunis retrouver son frère et puis devient vendeur de beignets devant une mine dans l’Est algérien avant d’être chassé.
Il y a dans le film des ruptures dans le récit qui perturbent la narration, la rendent ambigüe, voire incompréhensible. Cela est lié à un scénario mal conçu au départ et à une construction dramatique qui n’a servi ni la poésie ni le biopic lui-même.
“J’ai tenu énormément à travailler sur la symbolique”, a déclaré le cinéaste sans réellement convaincre.


La symbolique ? La rivière, “un espace de purification”, les cuillières, “qui nourrissent et qui servent de la poudre”, l’habit blanc, “expression de la pureté”…Des jeunes filles accrochent des rubans à un olivier géant, “l’arbre des souhaits”….Il appartient donc au spectateur de parfois deviner l’évolution des événements, de comprendre le rapport entre les personnages, de décoder la signification réelle de certaines scènes et de bien se concentrer pour lire le sous-titrage en français.


Une vie tourmentée

“En deux heures, on ne peut pas évoquer toute la vie d’un poète. Ce qui a été déterminant dans la vie de Si Mohand Ou Mhand est son destin contrarié. Un homme qu’on prépare à être un aalem finisse en errance”, a souligné le cinéaste.  
La rencontre du poète avec Cheikh Mohand Oulhoucine, “qui a rayonné durant toute sa vie sur la Kabylie”, selon Ali Mouzaoui, est filmé comme un moment passager alors qu’elle était importante dans la vie de Si Mohand Ou Mhand.


Pour écrire son scénario, Ali Mouzaoui s’est appuyé sur les ouvrages de Amar Saïd Boulifa,  Mouloud Feraoun et Mouloud Mammeri. Les trois auteurs se sont intéressés aux Isefra (poèmes) de Si Mohand Ou Mhand et à sa vie tourmentée.
“J’ai rencontré Mouloud Mammeri et je lui ai parlé du projet du film. Il m’a dit de le faire en kabyle. On ne peut pas contester l’ouverture d’esprit de Mammeri, mais il avait tenu à ce que le film soit fait en kabyle. Je suis de ceux qui pensent que la langue ne fait pas un cinéma algérien ou amazigh, mais c’est l’image qui le fait. La langue est secondaire. Lorsqu’on parle d’un poète, il y a des situations où l’on ne peut traduire cette poésie”, a relevé Ali Mouzaoui.  


Le long métrage Si Mohand Ou Mhand est produit par Centre Algerien de Développement du Cinéma (CADC) et Sediprau, une société dirigée par Amar Khiar. Il est partiellement financé par la Sonatrach. Il rassemble des comédiens encore peu connus du public à l’image de Djamal Mohammedi , M’hemed Mohammedi, Dalila Harim, Mohammed Chabane, , Slimane Hamel , Dahmane Aidrous…
La musique de Djaffar Ait Menguellet a quelque peu sauvé un long métrage décousu qui se rapproche du théâtre filmé. 

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2 Commentaires

  1. Le cinéma Algérien est mis à mort depuis la dissolution du Fonds de développement de l’art, de la technique et de l’industrie cinématographique (Fdatic), ce signe purement et simplement, « la mise à mort du cinéma algérien. Lorsqu’on sait que sur les 500 salles qui existaient en 1962 il n’est reste pratiquement rien exceptées ces salles des maisons de la culture. Que reste t il alors de la réalisation avec ces coupes budgétaires . Ce sont en effet des coupes de réalisation qui s’en suivent sur une histoire , toute l’histoire d’Algérie, non maîtrisée.

  2. Quand je lis la critique de Fayçal (que je lis toujours avec plaisir), deux questions s’imposent d’elles-mêmes : ce film est-il à ce point dépourvu d’intérêt ? Est-il mauvais au point de ne pas lui trouver de qualités, hormis la bande son?

    Je m’interroge car ayant lu et apprécié le livre de Ali Mouzaoui consacré à Si Muhand (“Comme un nuage sur la route”, publié aux Éditions Frantz Fanon), poète de l’errance, à commencer par son écriture symbolique et imagée, et vu son expérience dans la réalisation, je m’attendais -et je m’attends toujours- à une oeuvre cinématographique d’une grande qualité, à la hauteur de ses précédentes réalisations.

    Un autre point : le journaliste fait référence aux sous-titres comme limite du film. Au-delà de l’impact du sous-titrage sur l’appréciation d’une oeuvre de fiction (la VO est toujours la mieux indiquée, quand c’est possible), il est peut-être utile de rappeler que ceux-ci, dans le contexte linguistique qui est nôtre, sont nécessaires et utiles pour permettre aux Algériens arabophones de découvrir ce film, ce grand poète et l’écriture/ réalisation de Ali Mouzaoui. C’est plutôt un point positif et une approche inclusive, à mettre à l’actif de M. Mouzaoui, vu que le film est en kabyle, la langue du poète et celle de sa poésie, non ? Sauf si c’est une critique indirecte du choix du kabyle comme langue du film, ce qui serait incompréhensible.

    Personnellement, malgré cette critique au vitriol, j’irai voir ce film à sa sortie, car l’écriture poétique de Ali Mouzaoui (notamment pour ses scénarii) a toujours su trouver un chemin éclairé vers ses réalisations. J’espère juste que ce long métrage sortira bientôt dans le peu de salles qu’il nous reste. Une information pratique importante qui manque dans cet article (erci de le mettre à jour, si possible).

    PS : l’auteur de cette critique a-t-il lu le roman “Comme un nuage sur la route” de Ali Mouzaoui avant d’aller voir son film ? (Question sincère et non pas polémique)

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