Arezki L’Bachir et Ben Zelmat : les seigneurs de la forêt

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Exécution d'Arezki El Bachir
Exécution d'Arezki El Bachir
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Il existe un personnage à la fois réel et mythique et qui est commun à beaucoup de régions du pourtour méditerranéen : c’est le «bandit d’honneur. » En réalité, seul le mot « bandit » est à mettre entre guillemets, parce qu’il est inapproprié pour qui connait leur histoire, histoire qui présente des similitudes parfois troublantes, s’agissant de pays aussi éloigné les uns des autres que peuvent l’être les deux rives de la Méditerranée.

Cependant, le cadre géographique et l’aire de parcours sont les mêmes : régions montagneuses et forêts , loin du pouvoir central ou régional et livrées à l’arbitraire de responsables locaux sans scrupules.

Si en France, les bandits d’honneur sont honorés à ce jour, la France coloniale traitait les bandits d’honneur algériens de hors-la-loi, même si, comme leurs homologues outre méditerranée, ils n’ont réagi qu’ à l’injustice.

En ce qui concerne l’Algérie, le phénomène est la conséquence d’une histoire bien précise : la colonisation et les abus qui s’ensuivirent, c’est-à-dire expropriations, taxes faramineuses, injustices caractérisées, dont le Code de l’indigénat en fût l’aboutissement extrême. De plus, l’Algérie profonde n’acceptait pas la justice des Français et persistait à recourir aux coutumes et mœurs locales en la matière.

Le point de départ est presque toujours un problème personnel ou familial : une injustice, un abus de pouvoir, une expropriation. Le tout subi directement ou indirectement. À l’arrivée, c’est la défense de la communauté, de son mode de vie, face aux étrangers et à leurs alliés locaux.

La fin est souvent la même : après avoir défié et toujours moqué l’autorité, directement ou à travers ses représentants, le paysan justicier est finalement vaincu, souvent à cause de la trahison d’un proche

La notoriété de ces personnages dépasse rarement le cadre local ou régional restreint. Seul la mémoire collective en garde un souvenir épique, chanté par les femmes. Il est aimé et craint en même temps. Sa révolte demeure généralement individualiste, parce que mue par la réponse à une injustice. Il ne tue qu’ en cas de légitime défense ou pour exécuter un traître. Il prend aux riches pour donner aux pauvres.

Deux noms brillent au panthéon algérien des « bandits » d’honneur : Arezki L’Bachir (1857-1895) en Kabylie et Messaoud Ben Zelmat (1894-1921) dans les Aurès. Naturellement, la liste est longue de ces personnages qui ont marqué l’histoire coloniale de l’Algérie jusqu’ au déclenchement de la révolution.

Arezki L’Bachir, Ul Bacir en berbère, est né vers 1857 dans le village de Aït Bouhini (commune de Yakouren). Âgé de quatorze ans, il assiste au soulèvement d’El Mokrani et à la répression féroce qui s’ensuivit. Son terrain de parcours se situait entre les forêts de Mizrana, de l’ Akfadou et de Yakouren. Il s’est révolté à cause des agissements des administrateurs, des agents forestiers et leurs représentants locaux , tous prévaricateurs. Il devint le chef incontesté de toute la région. Organisation et discipline lui permirent d’imposer sa loi et de résister aussi longtemps face aux forces coloniales. Il avait ses propres représentants dans les villages qui veillaient à ce que ses ordres soient exécutés.

L’Bachir était en guerre contre l’administration et ses représentants et ceux qui étaient en rapport avec elle : gardes champêtres, chefs de douars, etc…Mais sans soutien, il n’aurait jamais tenu aussi longtemps. On lui donne argent, vivre et armes. Tout mouvement lui est signalé. Même des colons, installés dans des zones isolées, apportaient un soutien à L’Bachir en échange de la sécurité.

Cependant, l’administration française va bientôt être excédée par la popularité de L’Bachir. Elle va déployer des forces disproportionnées par rapport à celles de L’Bachir et contrôler toutes les zones de passage qu’ il utilise avec sa troupe. La répression s’abat sur tous ceux qui lui apportait un soutien, quel qu’ il fût. L’étau se resserre et ses proches sont éliminés l’un après l’autre. Beaucoup de ceux qui le soutenaient se rangent maintenant du côté du plus fort, c’est-à-dire des Français. La population, son principal soutien, finit par le lâcher, soumise qu’ elle était aux pressions violentes et incessantes des soldats.

Arezki L’Bachir est finalement arrêté le 24 décembre 1893 à Ighil Medjber près de Seddouk par le Caïd qui le reconnait. Au moment de son arrestation, L’Bachir ces simples mots : « Nous sommes dans les mains de Dieu. J’aurais aimé être pris par Lui plutôt que par un individu de mon pays. »

À l’issue de son procès, L’Bachir est condamné à mort et guillotiné le 14 mai 1895 à Azazga, ainsi que plusieurs de ses lieutenants. Il a fini comme finissent tous les héros de la nuit coloniale, après avoir défié pendant presque deux décennies l’autorité des Français.

Messaoud Ben Zelmat, Ug Zelmat en berbère, est né dans les Aurès, près de T’Kout, vers 1894. Son frère aîné Ali, condamné injustement, évadé puis insoumis, sera retrouvé mort. Messaoud prend sa place comme chef de bande pour le venger.

Véritable Robin des bois des temps modernes, lui aussi prend aux riches pour donner aux pauvres, qui le lui rendent bien en lui apportant nourriture et vêtements, et surtout en l’informant sur tout déplacement des forces de l’ordre. Sans soutien des paysans, il n’a aucune chance de subsister.

La particularité de Ben Zelmat est qu’ il ne s’attaque pas systématiquement aux Européens, qui souvent lui apportent la même aide que ses congénères, en contrepartie de la sécurité. Par contre, il n’a aucune pitié pour les oppresseurs locaux (caïds, amines).

Ce qui fait la notoriété de Ben Zelmat et des autres « bandits » d’honneur , ce n’est pas tellement l’aspect chevaleresque que la résistance à l’autorité. Tenir tête aux Français et à leur puissance est le summum de l’héroïsme. De façon plus générale, défier l’Etat et sa puissance est toujours héroïque, en tous temps et en tous lieux.

Ben Zelmat sera abattu en 1921 par trois goumiers, dans le massif de l’Ahmar Khaddou. Il est enterré à Tihammamine. Un kerkour (tas de pierres votives) a été dressé à l’endroit de son assassinat. Sa courte vie a donné naissance à une légende locale suffisamment tenace pour parvenir jusqu’à nous, à travers poèmes et chansons :

« Sa ceinture est faite de cartouches Il porte des fusils croisés sur son dos Son visage est voilé Il règne sur la montagne ».

Les derniers « bandits » d’honneur rejoignirent le combat révolutionnaire dès le premier novembre 1954. Ils comptent d’ailleurs parmi les tous premiers martyrs. Ce fut le cas pour Belgacem Grine, mort le 29 novembre 1954, et de son adjoint mort plus tôt encore, le 3 novembre au cours du premier accrochage de l’ALN avec l’armée française.

Peut-on affirmer que le bandit d’honneur est la première expression historique des combattants de l’indépendance ? La question mérite d’être posée. Pour Jean Sénac, ils représentaient « l’orgueil, l’indépendance et l’espérance secrète des communautés opprimées. »

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