De l’appropriation de l’histoire dans les séries israéliennes

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Début mars 2018, l'association BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanction) a appelé au boycott de la série Fauda, qui représente les palestiniens comme une menace permanente, hostile à la paix et gangréné par le Hamas puis par Daech. Des tissus de mensonges. Une appropriation de l'histoire
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Betipul, Shtisel, Fauda… Israël n’en finit plus de « divertir », grâce à ses productions que l’industrie locale exportée et qui quelquefois sont adaptées avec succès (comme en Thérapie/Betipul sur Arte ou Hatufim/ Homeland) . 

Fauda, en arabe : فوضى  (qui signifie « chaos, anarchie), met en scène des agents du Mossad sous couvertures infiltrés en territoires palestiniens. Une série diffusée sur Netflix mais également les Shtisel, Euphoria, Our Boys ou encore On the spectrum ? La série a cumulé prix et récompenses, et classée par le New York Times au huitième rang des trente meilleures séries internationales de la décennie.

Début mars 2018, l’association BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanction) a appelé au boycott de la série Fauda, qui représente les palestiniens comme une menace permanente, hostile à la paix et gangréné par le Hamas puis par Daech. 

La guerre se fait également par le biais culturel. 

Colonisation, guerre et appropriation de l’histoire

Fauda, louée par une partie de la presse française, produite en 2015 par deux vétérans de cette unité de Tsahal, Avi Issacharoff et Lior Raz, nous raconte les « aventures » des mista’aravim (littéralement les « arabisés »), dont la mission est d’opérer derrière les lignes ennemies en se déguisant en civils palestiniens, ce qui est rappelons le interdit au regard du droit international.

Ainsi, Fauda propose une réflexion pour le moins orientée sur l’identité arabe, en distinguant de « bons arabes », notamment les Mizrahim, la communauté juive installée en Israël venant de pays arabes dont Lior Raz un des deux scénaristes est issu et les Bédouins d’Israël, considérés comme « loyaux », et des Palestiniens cantonnés au statut d’« ennemi ». 

Par exemple dans la saison 2, le père de Doron Kabilio (le personnage principal) entretient des relations amicales avec la communauté bédouine vivant à côté de chez lui. Il incarne une arabité « apaisée »voire nostalgique des « mizarhim », ces Juifs d’Irak ayant été confrontés au racisme de la majorité ashkénaze d’Israël lors de leur immigration.

Le gouffre qui sépare la Palestine fictionnelle de Fauda du quotidien des Palestiniens vivant en Cisjordanie a été une source de controverse. En effet aucune mention des arrestations et détentions de mineurs, des routes fermées aux conducteurs non juifs, des exercices militaires conduits au milieu de la nuit, des propos racistes des soldats, des démolitions de maisons palestinienne, la construction de colonies juives passés sous silence …

Les personnages palestiniens vivent dans de belles demeures sans qu’aucun d’eux ne travaille, alors que la Cisjordanie connaît un taux élevé de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (13,9 % en Cisjordanie et 53 % à Gaza).

Fauda c’est aussi une guerre contre les Palestiniens

De fait Fauda relaie une lecture du conflit israélo-palestinien chère à la droite israélienne.

Dans la saison 2, le Fatah et le Hamas sont exclus du champ politique au profit de Daech, ce qui permet d’appuyer l’hypothèse du « pas de partenaire pour la paix » revendiquée par la droite et le centre israéliens. Thèse qui a été formulée par Ehud Barak en octobre 2000 

Le « deal du siècle » présenté par l’administration Trump a entérine ainsi cette idée en écartant de la table des négociations les Palestiniens.

Une telle lecture du conflit induit la justification de l’emploi de la force armée : puisque les dirigeants palestiniens ne renoncent pas à l’utilisation de la violence, ils ne peuvent pas être des partenaires politiques crédibles, et les « éliminer » en utilisant la force armée ne poserait pas de problème politique ni même moral . Cela permet de soustraire Israël à ses obligations internationales en matière de respect du droit CQFD.

Les séries TV ont aujourd’hui un impact réel (1 million de spectateurs en 48h pour le premier épisode de la troisième saison de Fauda ) qu’il est nécessaire de développer un regard critique et vigilant sur ces productions, de les déconstruire, en particulier lorsqu’elles portent sur des sujets politiques aussi sensibles. 

Une réflexion éthique apparaît d’autant plus nécessaire que les créateurs de ces programmes font le portrait d’un groupe de personnes subissant une domination et comme le rappelle l’intellectuel palestinien Sayed Kashua : « L’arrogance et la prise de possession de l’histoire palestinienne sont la conséquence nécessaire du régime militaire de la vie palestinienne. Comme les soldats, de nombreux artistes créateurs israéliens ne respectent pas les frontières. Certaines personnes exproprient des terres, d’autres exproprient une histoire. »

« Penser autrui relève de l’irréductible inquiétude pour l’autre » a écrit aussi le philosophe juif Levinas

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1 commentaire

  1. Bonjour,
    J’ai regardé ces séries et je les ai appréciées, à commencer par Hatufim. Globalement, je les trouve bien faites. Les scénarii sont bien ficelés; les histoires bien prenantes. En gros, ce sont de bons divertissements qui me changent de l’approche Hollywoodienne.
    Quant à Fauda, je me permets de nuancer un peu votre propos. Durant les 3 saisons, cette série met en scène des enlèvements de palestiniens, des exécutions extrajudiciaires, des tortures physiques et psychologiques. Cela montre un visage plutôt hideux des Tsahal et Shabak, contrairement à toute la communication officielle. Je ne pense pas qu’Israël soit fier d’un tel tableau. Aucun État ne peut s’en enorgueillir, surtout pas ce pays qui tient à son image de marque en dehors des pays arabo-musulmans. Enbsomme, cette série ne fait pas dans la dentelle et montre la face cachée d’une guerre violente sans images : celle menée en immersion par les forces spéciales. Partout.
    Concernant les Palestiniens, on apprend, depuis hier, que Mahmoud Abbas reporte les élections prévues ce mois-ci et en juillet à une date inconnue. Il est président depuis 15 ans, malgré la fin de son mandat depuis 10 ans. Aucune élection. Le Hamas règne sur Ghaza durant cette période. Sans élections. Les Palestiniens sont empêchés par leurs propres dirigeants d’exprimer leur libre choix (aussi limité par le contexte géopolitique). Si une série israélienne mettait en scène cette réalité, on dirait qu’il s’agit de la propagande. Pourtant, la réalité dépasse souvent la fiction.

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