Algérie: la crise profonde de représentation

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assemblée populaire nationale
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La répression policière et judiciaire de grande ampleur engagée contre les animateurs et/ou activistes du Hirak montre à l’évidence la volonté du pouvoir en place de transformer la pause imposée au Hirak par la pandémie covid 19, en un arrêt définitif des manifestations. Un arrêt des manifestations signifie-t-il pour autant la sortie de la crise ouverte par la prolongation des mandats présidentiels de Bouteflika ? Rien n’est moins sûr. Le Hirak est certes un mouvement de contestation de l’ordre établi, l’expression d’un droit de révolte contre l’Etat autoritaire. Mais il est aussi l’aboutissement du déséquilibre de la représentation qui s’est installé dès le 3ème mandat de Bouteflika. Il est le produit d’une crise profonde de la représentation.

La représentation par la dictature populaire

Depuis 1962, les équipes qui se sont succédé au pouvoir n’étaient pas issues d’élections démocratiques. Les simulacres d’élection trompaient peu de monde. Pourtant, le régime en place offrait non seulement les apparences mais la réalité d’une représentation populaire. Dans les premières années de l’Indépendance, Ben Bella suscitait un appui enthousiaste de larges catégories de la population comme en témoignent les meetings qu’il aimait tenir à l’esplanade du Palais du Gouvernement. Dans l’élan de la guerre de libération, il réussissait à donner l’espoir (ou l’illusion) d’une Algérie partant à la conquête du progrès et de « l’égalité sociale ».

Il semblait représentatif des aspirations de larges couches sociales. Même le conflit avec la Kabylie dirigée par la Wilaya 3 historique et le FFS de Ait Ahmed se terminait par un accord donnant l’espoir d’une nouvelle configuration de la représentation nationale. Très vite Ben Bella épuisa son crédit auprès des citoyens, son pouvoir s’effondra à la suite du coup d’Etat militaire du 19 juin 1965.

Le nouveau pouvoir dirigé par Boumediene s’attela malgré son caractère autoritaire et répressif à construire une représentativité populaire. La révolution agraire, désastre économique reconnu, constitua la meilleure opération politique du régime. Conjuguée avec la nationalisation des hydrocarbures et le leadership dans le mouvement des non-alignés, elle permit d’asseoir un pouvoir autoritaire bénéficiant d’une assise populaire certaine. Mohamed Boudiaf, alors dirigeant du parti clandestin d’opposition (le PRS), décida de dissoudre son parti, surpris par le soutien populaire que révélaient les funérailles du défunt Président Boumediene. Ainsi, malgré l’existence de foyers de contestation du régime en place, les pouvoirs autoritaires réussissent à créer un équilibre où autoritarisme et représentation forment un équilibre qui permet le fonctionnement des institutions. A l’instar de Boumediene, Fidel Castro à Cuba et Djamel Abdelnasser en Egypte ont été des dictateurs populaires.

La crise de la représentation

Un premier et grave déséquilibre se produit sous la présidence de Chadli Bendjedid. Le pouvoir perdait des soutiens dans la gauche et l’islamisme. Le FLN, parti unique, se montrait incapable de jouer un rôle stabilisateur. La crise de représentation fut provisoirement éloignée par l’instauration du multipartisme en 1989.

L’entrée d’un ministre FFS de l’économie au gouvernement de Ahmed Ghozali en juillet 1991 atteste encore une fois des tentatives de créer un équilibre de la représentation. La crise de la représentation éclata de nouveau avec la victoire du FIS aux législatives de 1991. La guerre civile des années 90 suspendait la question de représentation.

La parenthèse Zeroual fermée, l’accession de Bouteflika instaurait un nouvel équilibre de la représentation même si les méthodes d’accès à la Présidence de la république se conformaient aux traditions antidémocratiques ancrées depuis l’Indépendance. Signe de la recherche de cet équilibre, le RCD faisait son entrée au gouvernement. Mais l’espoir d’une évolution démocratique du régime se dissipa. Et les mandats suivants de Bouteflika firent entrer l’Algérie dans la crise la plus profonde de représentation symbolisée par un Président se maintenant au pouvoir sans faculté de parler et constamment occupé par des contrôles médicaux.

Le sentiment d’humiliation éprouvé par les citoyens finit de convaincre la Société civile. Le Hirak du 22 Février 2019 surgit alors comme l’expression d’une revendication d’une nouvelle et équitable représentation des citoyens dans la gestion du pays. La chute de l’équipe Bouteflika suscita un nouvel espoir vite déçu. L’élection présidentielle du 12 décembre 2019 menée au pas de charge n’a pas réussi à établir un équilibre de la représentation nationale. C’est donc cette question qui reste pendante. Elle est profonde parce que le niveau de citoyenneté des Algériennes et des Algériens connait une grande progression. Les revendications de libertés individuelles et de démocratie se généralisent. Les méthodes qui ont prévalu dans le passé sont devenues insupportables.

L’impasse politique

Un examen sérieux des moyens de représentation des citoyens laisse apparaitre une situation grave et dangereuse. Le Président de la république élu le 12 décembre 2019 a recueilli les suffrages d’une faible proportion d’électeurs. Les six premiers mois de gouvernement ne montrent pas une évolution sérieuse de sa représentativité.

Le pouvoir ne dispose pas de leviers économiques, sociaux ou idéologiques pour amorcer un mouvement vers l’équilibre. Il n’est pas sûr qu’il réussisse par ces moyens tant l’aspiration aux libertés est puissante. Le parlement, Assemblée populaire et Sénat, est discrédité. Les partis politiques du pouvoir et de l’opposition sont laminés.

Les organisations syndicales et de jeunesse ne se relèvent pas suffisamment de la domination des organisations officielles aujourd’hui en souffrance. Ni le sport, ni la culture n’offrent de cadre d’expression des sentiments des citoyens. Le Hirak est devenu le plus important moyen d’expression des revendications citoyennes. Il en est le révélateur. Mais il est la manifestation, pas l’essence du problème politique principal de l’Algérie.

Ce problème politique principal, c’est la crise profonde de représentation qui instaure une relation conflictuelle entre l’Etat et la Société civile. La répression engagée contre les animateurs et activistes du Hirak ne résout pas le problème. Elle le confirme et l’aggrave. Dans cette impasse politique, la représentation des citoyens ne concerne pas seulement les citoyens. Elle est, pour le pouvoir politique, un fardeau qui s’alourdit avec le temps. Plutôt la conscience de sa solution inévitable interviendra, moins élevé sera le coût pour le pays.

Construire la démocratie représentative

Il peut paraitre paradoxal de considérer que la recherche d’un nouvel équilibre de la représentation des citoyens concerne également le pouvoir en place. Même les dictatures ne s’appuient pas seulement sur la coercition. L’important effort de propagande qu’ils déploient traduit bien une volonté de gagner le soutien de couches aussi larges que possibles de la population.

C’est ce besoin de représentation de l’Etat autoritaire qui offre à la Société civile, de plus en plus exigeante dans ses revendications de libertés individuelles, les possibilités de compromis pour avancer par des réformes démocratiques vers l’Etat de droit. L’illusion de la mise à profit de la trêve imposée par la pandémie encourage les mesures répressives. Des succès momentanés du pouvoir ne sont pas à écarter.

Des succès momentanés qui ne résisteront pas à la montée grandissante des libertés individuelles et de la démocratie. Une nouvelle culture se développe dans la Société civile. Elle est en expansion et durable. Des esprits éclairés le comprendront-ils rapidement? Ceux qui instrumentalisent l’idée utopique de l’unité nationale à des fins répressives admettront-ils enfin que c’est la relation Etat-Société civile qui doit sortir de l’affrontement pour aller vers des relations plus harmoniques. Il n’y a pour cela qu’une voie, celle de l’évolution vers la démocratie représentative assise sur le socle des libertés individuelles inaliénables et inviolables.

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