Abderrahmane Arar: « Il n’est pas facile pour le système politique de lâcher ses outils »

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Abderrahmane Arar:
Abderrahmane Arar: "Il n'est pas facile pour le système politique de lâcher ses outils"
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Abderrahmane Arar est président du Forum Civil pour le changement (FCC). Le Forum est favorable au projet de révision constitutionnelle qui sera soumis au référendum populaire le 1 novembre prochain. Mais, il a des réserves.

Vous vous êtes prononcés en faveur du projet de révision constitutionnelle. Mais, votre soutien est accompagné de réserves. Pourquoi?

Le Forum Civil pour le changement a accompagné le processus du changement en Algérie depuis les élections présidentielles du 12 décembre 2020. Nous soutenons le projet de révision constitutionnelle par conviction car, pour nous, le changement commence par le haut avant d’aller vers des transformations institutionnelles, légales et législatives.

Nous regrettons que la réforme constitutionnelle n’ait pas été précédée par un processus de dialogue rassemblant toutes les parties, idéologies et orientations. Un dialogue qui aurait pu aboutir à une Constitution consensuelle. Aujourd’hui, nous devons nous adapter à la situation. Notre principe de base est de participer. Aussi, soutenons-nous la révision constitutionnelle malgré quelques réserves.

A propos de quoi?

La non séparation entre les pouvoirs. Le pouvoir exécutif reste dominant sur les autres. La force d’une gouvernance politique, c’est la séparation des pouvoirs. Nous aurions voulu que les prérogatives du président de la République soient réduites. Le président a obtenu plus de pouvoirs dans le projet de révision constitutionnelle au détriment des autres pouvoirs.

Je comprends ce choix, mais il ne faut pas que cela devienne un obstacle pour l’application de la feuille de route pour le changement ou pour l’implication des acteurs qui influencent la scène politique nationale aujourd’hui(…) La Constitution consacre la centralisation du pouvoir. Les partis cherchent la décentralisation et le partage du pouvoir. Pour y arriver, il faut traverser un long chemin

Le système semi-présidentiel est-il un passage nécessaire?

Oui, c’est un passage. L’idéal est d’aller vers le système parlementaire, mais il faut travailler l’environnement.

Vous avez exprimé des craintes sur le rôle futur de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE). Pourquoi?

Oui, nous observons la réduction des prérogatives de cette Autorité malgré son rôle central dans l’organisation des scrutins. Cela ne va pas dans le sens des efforts fournis pour éloigner l’organisation des élections de l’administration et éviter les abus.

Par contre, nous saluons la place donnée à la société civile dans la nouvelle Constitution. Nous avons également salué le non engagement des forces armées algériennes en extérieur que dans le cadre de l’ONU ainsi que la limitation des mandats présidentiels et parlementaires. Nous souhaitons que cette limitation concerne aussi les élus locaux et soit introduite dans les futures loi électorale, de commune et de wilaya.

Le changement va commencer après le 1 novembre 2020 avec les questions qui intéressent directement le citoyen.

Quelles propositions avez-vous faites pour le projet de révision constitutionnelle ?

Nous avons fait 65 propositions, avons plaidé pour le renforcement du rôle de la société civile et pour qu’elle puisse se constituer partie civile devant les tribunaux. Cette proposition sera retenue dans la prochaine loi contre l’enlèvement des enfants. C’est une avancée pour nous. Nous avons également plaidé pour l’engagement de grandes réformes de la justice. La lutte et la prévention contre la corruption sont également un grand chantier.

Nous aurions voulu que les composantes des instances de concertation et de contrôle soient élues, pas désignées. Voulu aussi que la société civile soit partie prenante dans le cas d’un vide constitutionnel dans la gouvernance. Ne sont concernés par ce genre de situations que le Parlement, le président et le gouvernement. Ce que nous avons proposé est que la société civile intervienne en cas de vide constitutionnel (vacance du pouvoir) en saisissant directement la Cour constitutionnelle.

Vous êtes contre le bicaméralisme aussi…

Oui. Nous aurions voulu qu’il ait une seule chambre parlementaire. Avec deux chambres (APN et Conseil de la nation), on reste dans l’ancien schéma. Il n’est pas facile pour le système politique de lâcher ses outils. C’est pour cela qu’il faut travailler sur la confiance, aller vers le dialogue.

Qu’en est-il des droits et des libertés dans le projet de révision constitutionnelle ?

Il y a un plus par rapport aux droits et libertés dans ce projet, comme pour le droit de la défense, la détention abusive, la détention provisoire, etc. Il y a aussi la question de la réduction des procédures dans la création des associations. Il y a introduction de nouvelles dispositions qui concernent la famille et le secteur de l’éducation. La neutralité des établissements scolaires est consacrée. Idem pour la gratuité de l’enseignement. Il faut là aussi militer pour que ces avancées soient traduites sur le terrain.

D’abord, il faut engager de grandes réformes au sein de l’administration. L’administration doit être neutre et transparente. La nouvelle instance chargée de la lutte contre la corruption doit pouvoir travailler fortement pour que son action soit ressentie. Je souhaite que le pouvoir ouvre un dialogue après le 1er novembre pour élaborer collectivement une cartographie globale du changement en Algérie.

Craignez-vous que les nouvelles dispositions de la Constitution ne soient pas appliquées sur le terrain?

Il y a encore de la résistance. La bureaucratie et la corruption sont toujours là. Certaines parties de la I’issaba (bande) sont encore actives dans les rouages de l’État et de l’administration. Cette présence risque de freiner la mise en application des nouvelles dispositions. Aussi, faut-il adapter des mécanismes de contrôle et de suivi de l’exécution sur le terrain.

Il ne s’agit pas d’aller vers la dissuasion, mais d’accompagner l’application des dispositions en s’appuyant sur des cadres compétents qui n’ont pas été impliqués dans la corruption de ces dernières années. Pour gagner la confiance du citoyen, une action collective forte impliquant l’opposition est nécessaire. On constate à travers les déclarations du président de la République qu’il existe une réelle volonté d’aller vers le changement. Reste à concrétiser tout ce qui a été annoncé.

Là, la responsabilité de toutes les institutions est engagée, y compris celle de l’ANP qui a suivi les transformations. Allons nous vivre les droits collectifs et individuels ? On verra. Dans la pratique, il y a toujours des pressions. Les Algériens ne sont pas à l’aise dans leur expression sur les réseaux sociaux. L’opposition n’accède toujours pas aux médias lourds. Il n’est pas permis à tout le monde d’organiser des réunions publiques. Ces pratiques sont déjà contraires par rapport à la Constitution et les lois. Le fond de la question est là. Certaines libertés sont garanties dans les textes, mais pas dans la réalité.

Une partie de l’opposition estime que le projet de révision constitutionnelle ne répond pas aux demandes politiques du hirak. Qu’en pensez-vous?

L’attente des Algériens est énorme. En politique, on ne peut jamais avoir le 100 %. C’est pour cette raison qu’il faut lutter, rester sur le terrain, occuper l’espace, ne pas rester à la maison et se plaindre de la non réponse du projet de révision constitutionnelle aux demandes de changement. Il y a quelques avancées, quelques brèches qui permettent de croire à la possibilité de changer.

Il faut continuer le combat. Le changement n’est ni pour aujourd’hui, ni pour demain, c’est un long parcours…Il s’agit de continuer le militantisme. En tant qu’acteurs, nous devons convaincre le pouvoir d’ouvrir davantage d’espaces pour les libertés collectives et individuelles, pour l’action politique et pour la démocratie. Cette conviction existe mais ne s’exprime pas encore. Si les choses évoluent dans le bon sens, même la nouvelle Constitution sera amendée.

Pensez que le projet de révision constitutionnelle marque une rupture avec le régime d’Abdelaziz Bouteflika ?

Nous sommes dans une intersection. Ce projet de révision constitutionnelle marque le début de cette rupture. Il faut du temps et des moyens pour réaliser la rupture totale avec les anciennes pratiques et les anciennes têtes. Le changement est un combat continu sur le terrain.

Il y a une place plus grande pour la société civile dans le projet de révision constitutionnelle. Aura-t-elle un plus grand rôle dans le futur?

C’est un saut qualitatif, une opportunité. La société civile a été absente et on fait en sorte qu’elle le soit depuis les années 1990 jusqu’à ce jour. La société civile est un vecteur de pratique de la citoyenneté. Elle est un maillon très fort dans les autres pays. En Algérie, il existe des milliers d’associations. La quantité y est, mais pas la qualité. Peu d’associations maîtrisent des concepts tels que le réseautage, le pilotage des projets, la responsabilité sociale ou le plaidoyer politique.

Aujourd’hui, la dimension politique donnée à la société civile est une opportunité pour nous de se mettre en avant et s’améliorer. C’est aussi une occasion pour donner une chance aux jeunes cadres pour prendre part à la gestion des affaires publiques, à la démocratie participative, aux politiques publiques, au suivi du processus du changement. Les gens vont chercher de nouveaux visages crédibles qui sont dans leurs quartiers, leurs communes, leurs cités…La société civile peut produire des cadres mais elle ne doit pas devenir un parti politique ou remplacer les élus ou les institutions officielles. La société civile doit travailler en interactivité avec les autres acteurs pour les questions nationales et politiques, donne son avis, fait des plaidoyers, pousse vers les changements…sans sortir de son couloir.

Une quinzaine de dispositions concernent la société civile dans la nouvelle Constitution comme partenaire dans le redressement de l’État, dans la lutte contre la corruption. C’est une grande évolution. Mais sommes-nous prêts? Avons-nous toute la capacité nécessaire ? Beaucoup d’associations existant ne maîtrisent pas les outils d’action de la société civile. Les associations doivent être crédibles et transparentes dans leurs activités. Il va falloir engager un grand travail à l’intérieur de ces associations pour qu’elles puissent jouer leur rôle correctement.

Si la nouvelle Constitution sera adoptée, pensez-vous que la société civile aura plus d’espace en Algérie, sera plus écoutée par les pouvoirs publics, aura son mot à dire?

En tous cas, elle aura un espace plus important et plus pertinent parce qu’elle sera un partenaire. Un partenaire dans tout le processus des politiques publiques, de la gestion de ces politiques et de la gouvernance sociale, culturelle, économique et politique. La société civile a toujours lutté pour avoir cet espace et ce rôle. Maintenant, l’opportunité est là, à nous de la saisir.

Ne craignez-vous pas une politisation de la société civile?

Si les véritables acteurs n’occupent pas rapidement le terrain, l’utilisation politique aura lieu. Il faut être intelligent, investir les réseaux, établir des relations, faire passer les messages, recourir à plusieurs outils. En dépit de tout, il existe des associations qui activent d’une manière sérieuse sur le terrain. Il faut donc investir davantage le terrain dans la diversité même si certains ne s’intéressent qu’à l’obtention de postes. Aussi, est-il important de ne pas leur céder le terrain.

Des partis islamistes qualifient le projet de révision constitutionnelle de laïc. Qu’en pensez-vous?

Je pense qu’il faut éviter ce genre de débats. Le hirak a fait tomber tous les masques. Il faut aujourd’hui travailler sur les normes du droit humain, sur les droits de la femme, sur les libertés, sur la pratique démocratique. L’important pour nous est de savoir si cette nouvelle Constitution va dans le sens des droits et libertés selon les critères internationaux. De plus, il n’y a aucune disposition dans la Constitution qui porte sur la fermeture des mosquées en Algérie. A-t-elle interdit la pratique musulmane? A-t-il imposé un programme pédagogique laïc dans les écoles … ?

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